dico des filles 2014

Lorsque j’ai reçu le Dico des filles 2014 pour la bibli des VI, je savais déjà que ce bouquin ne me plairait pas… mais je pensais néanmoins être en mesure de le chroniquer d’une façon constructive, qui mette en lumière les aspects positifs et négatifs, les éléments avec lesquels je ne me sentais ou pas en accord. En règle générale, j’aime me confronter aux opinions contradictoires, aux points de vue divers, j’aime l’idée que tous puissent cohabiter dans le respect les uns des autres…

Certes la probabilité de trouver un point de vue progressiste dans ce bouquin édité par les très sexistes  Editions Fleurus de près de 500 pages d’un doux papier glacé, entièrement pailleté était maigre, très maigre. Mais je ne m’attendais pas y trouver ce que j’y ai trouvé.

De rapides recherches sur le net nous apprennent que Fleurus est également une maison d’édition de sensibilité catholique. Je le signale car beaucoup auront ainsi le sentiment que « tout s’explique ». Pour moi, le problème de fond reste inchangé: premièrement parce que la diffusion de ce livre dépasse de loin le cadre restreint des aumôneries (toutes les grandes surfaces en particulier le proposent à l’achat), deuxièmement parce que ladite sensibilité n’a rien d’explicite (le lecteur attentif notera la présence des sections « dieu » et « foi » dans lesquels les seuls exemples donnés renvoient à la chrétienté) et troisièmement parce que de plus en plus de catholiques refusent les points de vue rétrogrades, passéistes et sexistes qui sont véhiculés par une fraction d’entre eux (un exemple ici).

J’ai commencé ma lecture jeudi soir. Passées les 66 premières pages de simili-mag-féminin-décérébré de base (conseils modes, maquillage, pubs à gogo), les choses ont commencé à se gâter. Plus j’avançais, plus je me disais « bon sang mais c’est pas possible d’écrire un truc pareil! ». Dans la foulée, j’ai commencé à partager des extraits de ce bouquin sur twitter (Une jeune idiote a gentiment collecté et compulsé tout ça ici), à moitié pour vérifier que NON je ne vivais pas en 1950, à moitié pour faire en sorte que ce bouquin soit si possible rayé d’un maximum de listes de cadeau de Noël…

Bon alors me direz-vous c’est QUOI que tu lui reproches à ce bouquin????

De diffuser des informations erronées

« Certaines MST ne se transmettent pas seulement par les relations sexuelles mais aussi par le sang […] C’est le cas du sida. Et aussi de l’hépatite B qui se transmet également par la salive ». p314

Cette donnée est fausse, le risque de transmission par la salive est nul comme le précise cette page de l’INRS (organisme chargé de l’évaluation des risques en milieu professionnel, donc plutôt au courant les mecs)

« La jeune fille émancipée a les mêmes droits qu’une personne majeure, sauf celui de voter et d’être élue, et celui de se marier sans leur autorisation. Mais une jeune fille qui se marie avant 18 ans (avec l’autorisation de ses parents) est automatiquement émancipée » P.288

C’est également faux. Depuis 2006, plus personne ne peut se marier avant 18 ans, autorisation des parents ou pas. De façon exceptionnelle et pour motif grave (grossesse généralement), le préfet (euh non, mes doigts ont ripé, c’est le procureur de la république bien entendu… merci Lili d’avoir pointé cette erreur!)  peut néanmoins accorder une dérogation (source: et).

« Cancer du col de l’utérus: il peut affecter les femmes dès la puberté, à partir du moment où elles ont des rapports sexuels » p.373

C’est également faux. L’adolescente peut être en contact avec le HPV (virus extrêmement répandu, entraînant dans de très rares cas des cancers du col de l’utérus) dès son premier rapport sexuel mais il faut environ 8 ans pour qu’une telle infection donne des cellules pré-cancéreuses… comme le rappelle Martin Winckler sur son site.

De véhiculer, défendre et entériner les stéréotypes de genre dont il a été prouvé qu’ils sont à l’origine des inégalités de genre.

  • Véhiculer

« Les hommes sont en général plus forts en raison de leur puissance musculaire. Mais la différence physique radicale, c’est que seules les filles pourront être enceintes! […] A ces différences physiques, on a l’habitude d’associer des différences psychiques. On attribue aux filles une intelligence concrète, aux garçons une plus grande capacité à l’abstraction. On parle d’intuition et de finesse pour les filles, de clarté et de concision pour les garçons. Les femmes auraient un don pour l’analyse, les hommes une capacité de synthèse.

[…] On peut facilement remarquer que les filles s’expriment davantage que les garçons sur ce qu’elles sont et ce qu’elles vivent. Elles parlent entre elles de leur sentiment, alors que les garçons partagent plutôt projets et actions. Elles sont capables de faire plusieurs choses à la fois, alors que les garçons, dit-on, préfèrent se consacrer à une seule tâche. »p.231

Ce sont typiquement ce genre de clichés qui font (entre autres) que les filles se croient naturellement peu douées pour les maths, mais plutôt pour les arts ou la littérature… ce qui est à la base d’une auto-limitation inconsciente bien préjudiciable pour elle et pour la société tout entière… Pour comprendre que le cerveau n’a pas de sexe, vous pouvez toujours retourner visionner l’excellente vidéo de Catherine Vidal.

  • Défendre 

« Sous prétexte de détruire les caricatures, certains en arrivent à vouloir ranger tout le monde dans la même cas. On est tous égaux, donc, on serait censés être tous pareils. Mais non! Une fille ce n’est pas un garçon, et vice versa: quel intérêt y a-t-il à mettre tout le monde au même format? » p.232

« Ne rien faire pour favoriser l’égalité, c’est maintenir les inégalités de naissance. Mais l’imposer coûte que coûte, c’est prendre le risque de ruer tout dynamisme, toute créativité. A quoi bon se donner du mal pour développer ses talents, si l’on n’en tire aucun bénéfice? » p.205

  • Entériner

« Filles et garçons ont des préoccupations et des goûts différents et ne grandissent pas au même rythme. Au même âge, vous avez souvent plus de maturité que ces messieurs! Vous pouvez les trouver bêtes, grossiers, sans culture et obsédés par la drague. Eux, ils vous jugent allumeuses ou coincées, maniérées ou bosseuses. […] Sens pratique et fantaisie, délicatesse et courage, énergie et séduction… vous êtes pleines de qualités et vous pouvez en être fières à juste titre. Aimez-vous comme vous êtes, et ayez la volonté de vous améliorer. » p.233

 » Vous ne pouvez pas vous empêcher d’être une fille, de réagir comme une fille, de vous comporter comme une fille… notamment en présence des garçons. » p.421

D’objectiver le corps des femmes

  • Le corps de la femme est sale

« Par respect pour le médecin et pour vous même, une toilette intime particulièrement soigneuse et du linge propre sont de rigueur ce jour-là [ndlr: le jour du rendez vous chez le gynécologue]… plus encore que les autres jours! » p.249

En réalité, il est déconseillé de trop se récurer, cela fausse les résultats d’analyse des prélèvements qui pourraient être effectués…

« En France, l’usage veut qu’on s’épile. Les gens seraient choqués de vous voir avec des poils sous les aisselles: c’est supposé être très laid. En fait, cela peut donner l’impression qu’une femme ne prend pas soin d’elle ou pire, qu’elle est sale. » p.356

  • Le corps de la femme agresse les hommes

« Dans certains pays, on fait une fête à cette occasion [ndlr: les premières règles] pour introduire la jeune fille dans le groupe des femmes: on lui met des habits nouveaux, on lui donne même parfois un nouveau nom. Chez nous, on est beaucoup plus discret, souvent on n’en parle pas, et surtout pas à ses frères ou à son père. » p.392

  • Le corps de la femme est fait pour l’homme

En moyenne, vous devez prendre 20cm et 20 kg pendant toute votre adolescence. C’est ce qui vous donnera des allures et des formes de femme. La poitrine se développe, la taille s’affine, les hanches s’arrondissent… tout comme les fesses. Envolée la petite fille filliforme. Mais rassurez-vous: les garçons a-do-rent! » p.277

De véhiculer une vision sexiste, hétéronormée et reproductrice de la sexualité (pour une autre vision de ce que peut être l’éducation sexuelle, n’hésitez pas à consulter les recommandations de l’OMS)

  • Hors du coït, point de salut

« L’acte sexuel commence par des préludes amoureux qui permettent aux deux partenaires de parvenir au comble de l’excitation. Puis a lieu la pénétration du pénis de l’homme dans le vagin de la femme. L’homme éprouve du plaisir par le mouvement de va-et-vient qu’il exerce et qui aboutit naturellement, après un temps plus ou moins long, à l’éjaculation qui termine l’acte sexuel. » p.416

  • L’homosexualité comme phobie sociale

« A votre âge, il arrive qu’on vive des relations si intenses avec des amies (surtout sa meilleure amie) que l’on peut se croire homosexuelle. On pense qu’on ne pourra jamais aimer autant que cela un garçon, jamais se comprendre aussi bien qu’entre filles. Ce peut être simplement que les garçons vous font un peu peur parce qu’ils sont trop différents, trop incompréhensibles. Vous avez aussi peut être un peu peur de vous-même, de l’intensité de désirs nouveaux qui surgissent en vous face auxquels vous ne savez pas comment réagir. Alors vous vous sentez plus en sécurité avec des filles parce qu’elles vous ressemblent et que vous pouvez partager avec elles vos sentiments et vos interrogations. » p. 250

  • L’orgasme féminin est aléatoire et secondaire

« La femme éprouve un plaisir plus ou moins intense, essentiellement par l’excitation du clitoris sur lequel le corps et le sexe de son partenaire exercent une pression, des frottements pendant tout le rapport sexuel » p.416

« L’important c’est de bien comprendre que l’orgasme n’est que le sommet du plaisir. Cela veut dire qu’avant d’atteindre ce sommet, il y a déjà du plaisir. Plaisir du corps bien sûr, mais aussi plaisir du coeur quand on fait l’amour… avec amour. Ces plaisirs-là sont tout aussi importants que l’orgasme, qui est très intense, certes, mais aussi très éphémère. […] Dans la réalité faire l’amour avec amour, c’est plus que du plaisir, c’est du bonheur, même sans orgasme! » p352

  • La masturbation rend sourde (mais c’est à prendre au second degré)

« Autrefois, les adultes cherchaient à en dissuader les jeunes en affirmant que cela [ndlr: la masturbation] rend sourd! Même si aujourd’hui plus personne n’utilise ce pauvre argument, il y a quelque chose à tirer de cette histoire: c’est vrai qu’une pratique assidue de la masturbation rend d’une certaine façon « sourd »… aux autres. Cela reste une expérience pauvre, où il n’y a pas toute la dimension d’échange que l’on peut trouver quand on est deux. » p.417

D’alimenter la culture du viol

« On peut avoir envie de caresses sans forcément vouloir aller plus loin. L’important, c’est de le savoir et de le dire, mais aussi de ne pas laisser le garçon s’embarquer trop loin dans le désir pour dire « stop » au dernier moment. Un garçon ne fonctionne pas comme une fille et il ne comprendra pas forcément que vous passiez des heures à vous laisser cajoler sur un lit si ce n’est pas pour avoir une relation sexuelle. » p.134

D’être anti-avortement

« Si la loi permet cet acte, elle ne le rend pas pour autant juste ou moral. L’avortement reste un acte grave qui pose des questions sur la valeur que l’on donne à la vie humaine » p.107

« Le recours à l’avortement est toujours une blessure qui met longtemps à cicatriser. Les femmes qui y ont recours disent souvent qu’elles ont du mal à « se pardonner ». Heureusement, cela ne veut pas dire qu’elles ne pourront pas, par la suite, accueillir avec bonheur un enfant et être de bonnes mères ». p.107

« La jeune fille peut choisir de mener cette grossesse à terme, c’est à dire très concrètement de mettre un bébé au monde. C’est un choix pour lequel elle aura besoin du soutien de ses parents […]. Choisir d’élever son enfant malgré les difficultés que cela présente quand on est jeune et sans moyens matériels est un engagement difficile à prendre, un engagement de longue durée, qui transforme toute une vie mais qui n’est pas impossible à tenir si l’on est bien entourée. La jeune fille peut aussi ne pas vouloir recourir à l’avortement ou ne pas le pouvoir (il est trop tard), tout en se disant qu’elle est trop jeune pour élever un enfant. Dans ce cas, elle peut confier le bébé à l’adoption dès sa naissance. Ce n’est pas forcément une décision qui sera facile à tenir quand on sentira son bébé grandir en soi et qu’on le découvrira à la naissance. Si après avoir examiné toutes les solutions possibles, la jeune fille décide de ne pas mener à terme cette grossesse, il lui faudra recourir à un avortement. C’est une décision grave et forcément douloureuse: même quand on ne se sent pas capable d’élever un enfant, on a au fond de soi un désir de vie. » p.247

Sur ce point, je ne saurai que vous renvoyer une fois encore au tout nouveau site d’information officiel sur l’IVG (qui arrive désormais en tête des requêtes google!!!!).

Voilà.

Pour moi, tout ceci suffit amplement à considérer ce livre comme hautement toxique pour les jeunes générations. Celles et ceux qui auront parcouru ce bouquin me diront peut être qu’une rubrique est tout de même consacrée au sexisme (réduit essentiellement à une problématique de pays émergents, à l’exception de l’égalité salariale), qu’il est plusieurs fois fait mention du respect de soi et de l’autre, que les termes tels que « sodomie » « fellation » « cunnilingus » sont définis, que le clitoris et son emplacement sont dûment signalés, et que peut être tout n’est pas à jeter aux orties.

Je pense que quelques propos acceptables ne peuvent en aucun cas contrebalancer la vaste entreprise de désinformation que constitue cet ouvrage vendu comme « grand public ».

Et après?

Depuis jeudi, vous avez été nombreux-ses sur twitter à vous insurger contre ces propos, à interpeller les principales organisations féministes (Planning Familial, Osez le Féminisme, etc..) afin qu’elles réagissent au contenu de ce livre.

Vous avez été nombreux-ses aussi à réaliser qu’on vous avait offert une édition précédente de ce livre quand vous étiez plus jeunes ou que vous (ou quelqu’un de votre famille) vous apprêtiez à l’offrir à une jeune fille…. sans avoir eu l’occasion de réaliser les présupposés idéologiques qui y étaient véhiculés (et leurs conséquences potentielles) et ce, alors même que vous n’y adhériez pas.

Vous avez été nombreux-ses à vous demander que faire? Comment transformer une critique, une prise de conscience, en action? Quelle information alternative proposer aux jeunes? Une information juste, tolérante, bienveillante, respectueuse des diversités, émancipatrice…

En guise de début de commencement de réponse, voici quelques liens vers des contenus existants (n’hésitez pas à me soumettre de quoi compléter cette liste!)

Des initiatives se sont aussi montées pour proposer une rédaction collective de contenus alternatifs à ce dico…

La révolution est en marche (en tout cas j’ai envie d’y croire!)!!! 

Mme Déjantée