Comme tout parent de plusieurs enfants, j’ai une idée de la fratrie qui correspond à une projection idéale, voir idéalisée. Parce que même si mes fils se frittent assiduement, je veux croire qu’ils s’aiment et s’aimeront toute la vie. Je veux croire qu’ils aimeront et protégeront leur petite soeur. Je veux croire que mon beau-fils finira par s’attacher fortement à elle aussi.

Je veux croire en tout ça. Profondément, viscéralement. Parce que le contraire me briserait le coeur.

Et pourtant, je sais que c’est faux. Que ça sera peut-être le cas. Mais peut-être pas.

Parce que j’ai un frère, de 2 ans plus jeune que moi, et que notre fratrie est l’exemple que ça ne marche pas forcément comme ça. Que tout n’est pas aussi simple.

Nous n’avons jamais été très proches, enfants, nous n’avions pas les mêmes centres d’intérêts ni les mêmes amis. De plus, avec le recul, je réalise que nos parents avaient plutôt tendance à nous mettre en concurrence. J’étais l’enfant sage et lui le turbulent, il était brillant scolairement et moi simplement normale. Nos différences étaient jetées au visage de l’autre comme pour lui signifier qu’il lui manquait « ça » pour être l’enfant parfait, mais que « l’autre » lui l’était.

Ces différences se sont accentuées au fil du temps, pour se transformer en indifférence.

Mon frère est parti exercer son travail loin de la cellule familiale, a construit sa propre famille, tout comme moi. Nous ne nous voyons plus qu’1 à 2 fois l’an, à l’occasion de ses retours. Et parce que ma mère nous réunie. Ou pour des fêtes familiales (Noël, mariages, baptêmes).

Ce week-end justement avait lieu le baptême de ma fille. Mon frère était présent. Physiquement. Mais c’est tout. Il ne s’est pas intéressé, pas impliqué, il a fait acte de présence, point. Pour ma mère. Pas pour moi ni pour ma fille. Dimanche, j’ai réalisé qu’un lien avait été cassé. Et que, même si ça me faisait mal de le constater, je devais honnêtement reconnaître que je n’avais pas vraiment envie de le réparer non plus, probablement parce que je sens bien que ce serait de l’énergie gaspillée pour rien. Je sais qu’une fois que ma mère ne sera plus là, le lien qui nous uni encore s’effacera totalement. ça m’a attristée de le constater.

Et j’ai voulu comprendre comment cela était analysé sociologiquement, comment nous avions pu en arriver là, et si ce type de situation était fréquente. Pour moi, mais surtout pour mes enfants. Pour, peut-être, anticiper et leur éviter certains écueils.

J’ai donc fais des recherches sur le net, et j’ai trouvé un ouvrage d’Evelyne FavartFrères et soeurs, pour la vie ? Les relations fraternelles à l’épreuve du temps, EDIMAF Cortext, 2007 que j’ai l’intention de commander.

En attendant, j’ai lu cette analyse que l’on doit à Karine Mari . Je vous en propose des extraits.

Évelyne Favart explore les tensions qui parcourent les relations entre frères et sœurs.

Elles peuvent se résumer à une opposition plus ou moins nette entre « se ressembler et se différencier » ou entre « origine et originalité ». Dans la construction des trajectoires individuelles au sein d’une même famille, on peut distinguer deux tendances : celle qui consiste à maintenir le cap, à se conformer au modèle d’origine (l’objectif est d’alors suivre la voie) (NDLR ici, mon frère) ; la deuxième s’y oppose puisqu’il s’agit de rompre avec ce modèle, de revendiquer son indépendance et son originalité (ici, il s’agit de trouver sa voie) (NDLR : en l’occurence moi).

Bien sûr ces deux tendances ne sont pas exclusives et il peut y avoir des ruptures dans les deux parcours. Il faut aussi noter que l’interprétation qui est donnée des parcours de chaque membre de la fratrie ne sont pas le fait uniquement de l’individu. Vient s’y ajouter le regard des autres frères et sœurs. Le choix de ses parcours et les tensions qui peuvent en résulter sont aussi le fait d’une hiérarchisation des différentes appartenances familiales de l’individu : généralement, l’alliance conjugale l’emporte sur l’appartenance à la fratrie (ainsi qu’à la place accordée à la fratrie par alliance.

Enfin les tensions identitaires proviennent aussi de l’évaluation que la famille a des parcours individuels et du sentiment de justice ou d’injustice qui s’ensuit. À l’intérieur d’une même fratrie, on peut comparer réussite professionnelle, réussite conjugale et familiale, sociale, personnelle… C’est alors le registre de la concurrence qui est invoqué ici, chacun mesurant sa place sur l’échelle considérée (matérielle, culturelle, affective…).

Les interactions qui ponctuent la vie des individus avec le reste des membres de sa fratrie confirment la permanence du lien fraternel. Ces interactions se matérialisent sous la forme de réunions familiales, de repas festifs à l’occasion de plus ou moins grandes occasions. Les parents ont souvent un rôle fédérateur dans l’organisation de tels événements puisqu’ils se chargent généralement de réunir la famille. La participation à ces rassemblements devient alors un gage de loyauté familiale.

Évelyne Favart explique qu’il existe parfois un décalage entre la bonne entente qui est mise en scène pour ces événements et la réalité de l’état des relations fraternelles. C’est la raison pour laquelle elle parle de « fraternité mondaine » (NDLR : nous en sommes là…).

Pour conclure, l’ouvrage explique que les relations fraternelles, dans des fratries d’adultes confirmés, ne se réduisent ni aux expériences du passé (à la mémoire familiale) ni à celles du présent. Elles sont un mélange de passé actualisé (et réinterprété), de présent et de devenir et s’insèrent dans un réseau plus large de parenté (alliance conjugale, fratrie par alliance…) dans lequel frères et sœurs ont plusieurs rôles à jouer et à hiérarchiser.

Lire cet article m’a fait du bien, déculpabilisée en quelques sorte. Ouvert certaines pistes de recherche aussi, qui me permettront peut-être d’instaurer une certaine paix intérieure. Et de protéger ou d’aider mes enfants à construire une plus jolie relation fraternelle que la notre, dans leur vie d’adulte.

J’ai hâte de trouver ce livre désormais.

Madame Frimousse