Si le titre du livre d’Ina May Gaskin, offert par les Editions Mama aux Vendredis Intellos, peut laisser songeur (est-ce un réquisitoire contre les technologies médicales, un plaidoyer pour l’accouchement à domicile ? ), le sous-titre est, lui, plus prometteur : « Retrouver le pouvoir de son corps ». On est là au cœur du sujet comme l’auteur l’explique dans son introduction :

Ce livre est une invitation à découvrir les véritables facultés du corps de la femme pendant le travail et l’accouchement. Il ne s’agit pas d’un abrégé des connaissances médicales actuelles, ou d’une simple vulgarisation du jargon de l’obstétrique. Les rayons des librairies regorgent de ce type d’ouvrages. Quand je parle des véritables facultés du corps des femmes, je fais allusion à celles dont elles font l’expérience dans leur corps, que celles-ci soient reconnues ou non par l’autorité médicale.

C’est le pouvoir du corps de la femme qu’Ina May Gaskin cherchera à démontrer tout au long du livre en s’appuyant sur des témoignages, dans la première partie, et sur son expérience d’une quarantaine d’années en tant que sage-femme confortée par des études scientifiques, dans la seconde.

  • Belles histoires d’accouchement (Partie I)

On peut y lire un grand nombre de témoignages de femmes qui ont accouché à The Farm, village où vit et travaille Ina May Gaskin. Pour elle, ils permettent de comprendre ce qui se passe vraiment pendant l’accouchement du point du vue non pas des médecins mais de la femme elle-même. Ils apportent aussi un regard nouveau, à l’opposé des récits d’accouchements difficiles qu’on entend la plupart du temps.

Pour contrer l’effet des histoires horribles, je ne connais rien de mieux que de lire ou d’entendre des histoires qui nous apportent un sentiment de puissance. Je veux parler de celles qui nous changent, quand on les lit ou quand on les entend, parce qu’elles nous apprennent quelque chose, ou nous font changer d’opinion.

Ces récits sont très complets, on est à la fois au coeur de l’action et dans la tête de l’actrice principale. C’est passionnant et très émouvant. Il s’agit de montrer le côté merveilleux de l’accouchement mais sans taire les difficultés, les peurs et la douleur. Ces témoignages décrivent l’accouchement comme un rite de passage dont les femmes ressortent plus fortes.

Après la naissance d’Evan, je me sentais physiquement endolorie et fatiguée. Mais à l’intérieur, je me sentais si forte et si victorieuse.

Même si j’ai apprécié cette partie (j’en reconnais grandement l’utilité), je l’ai trouvée un peu longue. Peut-être ne faut-il pas les lire tous à la suite. Le but étant de démontrer que l’accouchement est une expérience positive, on ne trouve que ce genre de témoignages. Tout en lisant, je me demandais si ce n’est pas un peu utopique ou culpabilisant pour celles qui l’ont mal vécu. Dans la deuxième partie justement, il est question de nous montrer pourquoi l’accouchement est mieux vécu à The Farm qu’ailleurs.

  • Les secrets de l’accouchement (Partie II)

Cette partie explique tous les détails de l’accouchement et toutes les techniques médicales qui l’entourent afin d’éviter les manoeuvres inutiles et de donner à la femme la possibilité d’être complètement active.

Dans notre contexte social, l’acte d’enfanter est devenu assez difficile à comprendre, étant donné l’ensemble des mythes culturels largement répandus à son sujet.

La grande force de ce livre est de ne laisser de côté aucun aspect de l’accouchement. On y retrouve des chapitres assez « classiques » sur le suivi de grossesse (chapitre 5) et les étapes du travail (chapitres 2, 6, et 9), entre guillemets parce que l’accent est mis ici sur les facultés du corps. Des clichés et idées reçues sont également discutés : certaines femmes ne peuvent pas accoucher par voie basse (chapitres 4 et 12), l’épisiotomie est souvent nécessaire (chapitre 8), la technologie médicale est toujours moins risquée (chapitre 11).

Si un travail ne se conclut pas par un accouchement normal au terme d’une durée « raisonnable », c’est qu’il est ralenti ou entravé par le manque d’intimité, la peur et la stimulation du cerveau qui n’est pas la bonne.

D’autres chapitres ouvrent de nouvelles perspectives : l’importance de la connexion entre le corps et l’esprit (chapitre 1), l’opposition entre les sensations (plaisir ou douleur, chapitre 3), le fonctionnement des sphincters et leur lien entre eux (chapitre 4), l’importance de la pesanteur et de la liberté de mouvement pendant l’accouchement (chapitre 7). L’ouvrage est jalonné de conseils pratiques pour mieux vivre l’accouchement, le chapitre 13 en particulier « Choisir un bon praticien ». Enfin, deux chapitres proposent une réflexion sur l’art d’être sage-femme (10) et une nouvelle vision de la mère et de la sage-femme (14).

Je préfère vous prévenir : il ne faut pas avoir peur de voir une photo d’accouchement ou de lire des détails crus. Il n’y a là aucun tabou. Mieux vaut d’ailleurs garder l’esprit ouvert car certaines pratiques peuvent aller à l’encontre de celles de notre société. Mais c’est très enrichissant.

J’ai moi-même accouché deux fois et j’ai pourtant appris énormément en lisant ce guide. Je me suis rendue compte que je n’avais pas remis en question certaines pratiques et que je ne connaissais pas non plus tous les moyens pour accompagner le travail de l’accouchement. Je me sens plus forte pour la prochaine fois. C’est donc un livre à mettre entre toutes les mains. Il ne faut simplement pas être du genre angoissée, sinon les détails difficiles, les conséquences dramatiques de certains choix peuvent être durs à digérer, si on est soi-même enceinte. Ce livre est également à conseiller à tout le personnel médical travaillant avec les femmes enceintes.

Et s’il n’y avait qu’un conseil à retenir, ce serait celui-ci :

Laisser faire la primate qui est en vous pendant le travail n’est que la manière la plus courte de vous dire qu’il ne faut pas laisser votre mental hyperactif interférer avec la sagesse ancestrale de votre corps.

J’émets tout de même une réserve. Je crois en l’expérience d’Ina May Gaskin mais je ne peux pas m’empêcher de penser que sa lecture de certaines études scientifiques peut être biaisée par la démonstration qu’elle cherche à faire. Certains passages m’ont laissée perplexe, peut-être parce que j’aurais aimé avoir l’étude sous les yeux, comparer et me faire ma propre idée. Il s’agit de rester ouvert et de garder son esprit critique. Mais chaque question a le mérite d’être soulevée et discutée, c’est cela que je retiens.

On peut avoir parfois l’impression qu’elle cherche à nier la douleur très souvent éprouvée pendant l’accouchement. En lisant, je me sentie un peu faible quant à la façon dont j’ai géré le travail. Pourtant, ce n’est pas son intention. Je me permets donc de vous donner cet extrait – fil conducteur de l’ouvrage – à garder à l’esprit :

La douleur du travail offre un éventail de sensations plus large et plus nuancé que nos croyances culturelles ne l’admettent. Quand je dis « nuancé », je ne parle pas tant du ressenti de la douleur des contractions que de l’attitude qui peut en altérer la perception. J’ai souvent vu une femme en travail passer, en l’espace de quelques secondes, de l’enfer au paradis après avoir dépassé la terreur pure et compris comment travailler avec l’énergie de la naissance.

Bien sûr, il est beaucoup plus facile de prêter attention à ces changements subtils d’état d’esprit lorsqu’on reçoit le soutien continu d’une personne qui n’est pas elle-même effrayée par l’accouchement. Pendant une contraction, il se peut que vous ayez la sensation d’être horriblement blessée dans votre chair, mais le calme de votre sage-femme, son attitude sereine ou ses paroles rassurantes vous disent qu’aucune blessure ne vous est réellement infligée. En avoir la certitude dans ce genre de moments est tellement rassurant qu’il devient possible de sentir la douleur diminuer, ou votre faculté à le supporter croître. Il m’est impossible de dire combien de fois j’ai vu les yeux d’une femme s’écarquiller d’effroi en ressentant la puissance brute des contractions qui accompagnent la dilatation complète du col de l’utérus. Quand je vois ce regard, je connais les paroles qui soulageront la peur irrationnelle qui s’est emparée d’elle.

Je lui dis : « N’aie crainte. Je n’ai jamais vu une femme exploser ou se fendre en deux. » Le soulagement est souvent immédiat et complet.

Si je constate que mes paroles ont eu un effet apaisant, je poursuis : « Seul le bébé va sortir. Ton corps est d’une grande sagesse. Il n’expulse que ce qui doit l’être. »

Dans ces cas-là, le soulagement et la gratitude s’accompagnent d’une décharge d’endorphines, les opiacés naturels du corps. La douleur diminue. Il s’ensuit un soulagement, de la gratitude et une meilleure efficacité des endorphines. La femme acquiert une compréhension nouvelle de la sagesse de la nature telle qu’elle s’exprime dans son corps. Quand elle commence à comprendre que le fait de se réjouir et d’être reconnaissante facilite le cours du travail, elle commence à cultiver ces sentiments. Le travail peut continuer avec force, mais dorénavant elle y met tout son cœur. Au lieu d’avoir peur de son corps, elle lui accorde sa confiance ».

A la fin de l’ouvrage, vous trouverez également le « Mamascope » : répertoire d’adresses utiles et bibliographie complète sur les questions relatives à la maternité. C’est dire si ce livre est complet !

Pour conclure, vous l’aurez compris, je ne peux que vous conseiller cet ouvrage. Véritable apologie du corps de la femme, ce guide lance un message d’espoir face à ce qui est véhiculé sur l’accouchement en général.

Clem la matriochka