Aujourd’hui, je suis très heureuse de vous présenter un nouvel ouvrage qui a été offert à la Bibli Volante des VI : Le guide de l’allaitement naturel – Nourrir son enfant en toute liberté. Un ouvrage écrit par la (célèbre) sage-femme Ina May Gaskin* et qui n’a été que récemment traduit en français, pour être publié par Mama Editions.

J’ai inséré une mini biographie en fin d’article et également un petit lien Wikipédia ci-dessus pour présenter l’auteure mais je crois que Michel Odent, qui a préfacé la version française de son livre, le fait en des termes beaucoup plus appropriés :

Depuis Spiritual Midwifery, la parution d’un livre d’Ina May Gaskin est toujours un évènement de dimension historique. Il en va ainsi de ce livre sur l’allaitement, qui est important pour de multiples raisons. La première raison est que son auteur est une sage-femme authentique, c’est-à-dire une femme « sage », avec une énorme expérience de la vie, et dont les horizons ne sont pas limités par les œillères habituellement associées à la spécialisation. Ce simple fait est un rappel éloquent et subtil de la continuité physiologique entre l’accouchement et la lactation.

Il est plus urgent que jamais de réaliser à quel point la qualité et la durée de l’allaitement sont influencées par la façon dont les mères mettent au monde leurs bébés. […]

Les livres d’Ina May Gaskin aident à prendre conscience de la situation sans précédent dans laquelle se trouve l’humanité. L’accouchement et l’allaitement des mammifères supposent la libération de mélanges hormonaux qui, d’après la science moderne, sont de véritables cocktails d’hormones de l’amour. Est-il acceptable de rendre caduques ces hormones de l’amour dans les périodes critique de la vie du mammifère humain que sont la naissance et l’allaitement ? L’humanité est-elle en train de se mettre dans un piège ? Comment sortir de ce piège ? Non seulement les livres d’Ina May Gaskin suggèrent de telles questions, mais ils apportent aussi des réponses en aidant à redécouvrir les besoins de base des mères et des bébés pendant la grossesse, l’accouchement et l’allaitement.

J’ai déjà lu ou consulté plusieurs livres sur l’allaitement, avant mon accouchement et en cours d’allaitement pour mon fils. J’en ai trouvé certains très pertinents – et je les ai recommandés autour de moi. Mais je n’en avais jamais lu aucun d’aussi complet. Ce livre est un petit pavé mais c’est avant tout une grosse mine d’informations diverses autour de l’allaitement. Tout comme son auteure à l’esprit ouvert – on le comprend en étudiant un peu son parcours -, le livre ne s’arrête pas aux frontières habituelles pour traiter le sujet. On y sent aussi bien sûr toute la passion et l’engagement de cette femme : le plaidoyer en faveur de l’allaitement est clair et net, sans toutefois qu’elle se montre jamais intolérante ou blessante pour les personnes ayant fait un choix différent. Elle précise notamment (page 28/29) :

Même si j’encourage les nouveaux parents à faire tout leur possible pour allaiter leur bébé, je crois essentiel que ceux qui y réussissent s’abstiennent de juger ceux qui ne réussissent pas. […] On peut très bien sensibiliser sans avoir recours à des formules culpabilisantes.

Nota : il faut savoir qu’Ina May Gaskin est américaine. Aussi ses exemples comme ses arguments s’appuient essentiellement sur le système de soins américain (même si son expérience et ses déplacements lui ont permis d’acquérir une culture de l’allaitement et de l’accouchement qui dépasse largement ces frontières – preuve en est dans les témoignages et anecdotes qu’elle relate). Cependant, les traducteurs ont su ajouter ça et là des précisions visant à éclairer le lecteur sur l’équivalence en France ou en Europe des chiffres ou protocoles que l’auteure pourra citer.

Je vous présenterai l’organisation du livre de façon assez académique mais avec, parfois, des extraits qui m’ont parus intéressants et des commentaires si nécessaire. Le livre s’organise donc de façon plutôt chronologique, du début à la fin de l’allaitement :

  • Des données et informations sur l’allaitement en général : les raisons « De la supériorité de l’allaitement » (introduction), puis « Comment fonctionne l’allaitement et comment il s’apparente au maternage » (chapitre 1) et de quelle façon « Se préparer à l’allaitement » (chapitre 2)
  • Les débuts de l’allaitement, comment le faciliter : « Le déroulement de l’accouchement a un effet direct sur l’allaitement » (chapitre 3) puis « Commencer à allaiter : les bases » (chapitre 4),

J’espère que les chapitres précédents vous auront permis d’apaiser tous les doutes que vous auriez conservés sur votre capacité innée à produire du lait pour votre bébé dans les jours qui suivent sa naissance. […] Et même si, à cause de votre culture, vous êtes mal à l’aise vis-à-vis de l’allaitement (en fonction du lieu où vous vivez), sachez que vous faîtes toujours partie d’une espèce qui a prospéré sur cette planète depuis au moins deux mille générations et qui ne compte sur les laits artificiels que depuis un peu plus d’un demi-siècle. Encore un bienfait de la nature : sachez que le corps de votre bébé a le même niveau de sagesse innée que le vôtre et qu’il est programmé avec une aptitude à la survie tout aussi extraordinaire que la vôtre.

En même temps, pour un démarrage facile de l’allaitement, il est important de reconnaître que votre capacité à produire les hormones appropriées au bon moment, pendant et après la naissance, dépend beaucoup, et peut-être plus que vous ne l’imaginez, de l’environnement dans lequel vous allez donner naissance et des pratiques qui y ont le plus souvent cours. […] Choisir le lieu et la façon dont vous donnerez naissance est la décision qui aura la plus grande influence sur la réussite de votre allaitement. (pages 73/74, chapitre 3)

  • Les premiers temps – ceux où il y a souvent de petits ajustements à faire, où mère et enfant doivent trouver leur rythme –  avec « Vos besoins et ceux de votre bébé pendant la première semaine » (chapitre 5), « Résoudre les problème durant la première semaine » (chapitre 6) ;
  • L’organisation pratique : « Organisation du sommeil » (chapitre 7) et « Si vous travaillez à l’extérieur » (chapitre 8)
  • Un soutien plus particulier pour les « nébuleux » 3 premiers mois, avec : « Les trois premiers mois » (chapitre 9), « Vous, pendant les trois premiers mois » (chapitre 10) ;
  • Une fois que l’allaitement est sur les rails… : « Votre bébé grandit » (chapitre 11) ;
  • Les situations pouvant nécessiter des « aménagements » : « Allaiter des jumeaux, et plus… » (chapitre 12), « Quand les bébés tombent malades ou qu’ils sont hospitalisés » (chapitre 12) ;
  • La fin de l’allaitement : « Le sevrage – Quel est le meilleur moment pour sevrer ?« 

N’oubliez pas que l’attitude de votre enfant vis-à-vis du sevrage sera largement influencée par la vôtre. Si vous n’êtes pas prête émotionnellement, il y a de grandes chances qu’il ne le soit pas non plus. Si vous pensez que le sevrage constitue une épreuve pénible pour lui, alors il vaut mieux l’allaiter le temps qu’il vous faudra pour réussir une transition en douceur. (page 298)

  • Eléments historiques et de réflexion : avec deux chapitres que je qualifierai davantage de « libre expression » (non pas que l’auteure se soit censurée auparavant !!), où l’auteure cherche à élargir l’horizon du lecteur, à lui fournir des connaissances moins traditionnelles autour de l’allaitement : « L’allaitement partagé, les nourrices et autres traditions oubliées » (chapitre 15) et surtout à le faire réfléchir sur le paradoxe actuel de l’allaitement, très bien illustré dans un chapitre 16 que j’ai lu avec grand intérêt et plaisir « La tétonphobie : comment l’éradiquer en créant une culture de l’allaitement« .

La méconnaissance du corps féminin et des processus physiologiques

L’auteure relate une anecdote où des mères ayant assisté à un cours d’anatomie furent surprises d’entendre le professeur affirmer que le lait sortait des seins de la femme par un seul trou. C’est en retournant se pencher sur son livre de référence à la fin du cours qu’il réalisa son erreur.

Le professeur d’anatomie n’est qu’un exemple, qui illustre la confusion dans laquelle la plupart des gens vivent dans nos sociétés complètement déconnectées de la nature. Quelqu’un qui aurait grandi dans une ferme n’aurait jamais fait ce type d’erreur, même s’il n’avait jamais vu de femme nourrir un bébé : il aurait observé les animaux nourrir leurs petits comme la nature l’a prévu. Quoi qu’il en soit, avec un nombre toujours plus faible de gens ayant grandi dans une ferme, l’ignorance des capacités du corps humain s’accentue et s’étend. Il ne faut pas longtemps pour que des capacités humaines qui étaient connues de tous, et par des milliers de générations, s’enveloppent de mystère. (page 314 – chapitre 15)

Allaitement partagé et lactation spontanée

L’auteure relate ses lectures et sa propre expérience lors de voyage ou rencontres, faisant état de nombreux cas de femmes, souvent grands-mères, capables de nourrir leurs petits-enfants, parce que la demande existant, elles étaient toujours capables de produire du lait (exemples de nourrices ayant produit du lait et nourri des enfants jusque très tard dans leur vie, de grands-mères ayant nourri leurs petits-enfants pour pallier l’absence de lait de la mère ou simplement réconforter l’enfant qu’elles avaient en garde, etc). Et l’auteure en vient à nous expliquer :

[…] de nombreuses femmes m’ont raconté – et j’en ai fait moi-même l’expérience – que lorsqu’elles entendent pleurer un bébé, elles ressentent parfois une sensation de picotement dans leurs seins qui ressemble à s’y méprendre à ce que l’on ressent au moment d’une montée de lait. C’est ce que j’appelle une poussée de prolactine. (page 320 – chapitre 15)

Même s’il est vrai que la lactation spontanée peut être le symptôme d’une tumeur au cerveau située près de l’hypophyse, il semble que la plupart des professionnels de santé ne sachent pas qu’une jeune femme en bonne santé et particulièrement sensible aux bébés puisse produire spontanément du lait après une modification hormonale normale, sans qu’il y ait la moindre pathologie. (page 323 – chapitre 15)

C’est seulement lorsque les femmes se sentiront libres de raconter leur vécu que nous commencerons à avoir une idée de la fréquence de la lactation spontanée non pathologique. A mon avis, elle est beaucoup plus fréquente que nous le pensons (page 324 – chapitre 15)

La tétonphobie

J’ai beaucoup aimé son chapitre sur la « Tétonphobie », dans lequel j’ai relevé, en plus d’une information passionnante, plusieurs notes d’humour, qui contribuent à une lecture fluide et intéressante de son ouvrage. J’y ai notamment appris que les USA avaient été l’un des rares pays à refuser de ratifier le Code de commercialisation des substituts à l’allaitement maternel (la France l’a signé, c’est pour cela que la pub pour les laits infantiles « 1er âge » est interdite et que les fabricants de lait infantile mentionnent le fait que le lait maternel est le meilleur aliment pour bébé, conformément aux recommandations de l’OMS). L’auteure se désole de l’attitude de son pays à cet égard :

En votant contre le code, le gouvernement fédéral fit le choix décisif de privilégier les intérêts des industriels au détriment de la santé des mères et des bébés aux Etats-Unis, et, par ricochet, dans le monde entier. […] C’est peu après ce vote que des cas de harcèlement de mères allaitantes ont commencé à être rapportés à travers le pays par la télévision et les journaux locaux.

Si la télévision, le cinéma ou les réseaux sociaux n’ont le droit de montrer qu’une seule façon de nourrir les bébés, celle-ci devenant de facto une forme de monopole. Si on suscite chez les femmes de l’anxiété et de la honte  au sujet de leurs seins, il est peu probable qu’elles choisissent d’allaiter. […] Pensez par exemple, à la façon dont le symbole du biberon est devenu une métaphore de l’alimentation infantile, que ce soit dans les dessins animés, les magazines, les livres pour enfants ou les films. Et le gouvernement fédéral ne fait pour ainsi dire aucun effort pour contrebalancer l’impression que l’alimentation artificielle est plus fiable et socialement plus acceptable pour nourrir un petit humain.

Dans ce chapitre, l’auteure décortique aussi (ainsi qu’à d’autres passages du livre), comme a fait le Norvège pour passer d’un taux d’allaitement aussi faible qu’aux Etats-Unis au début des années 1970, à plus de 90% de bébés allaités aujourd’hui. Toujours intéressant de voir qu’avec un peu de volonté politique, c’est possible !!

D’autres extraits de ce chapitre qui m’ont passionnée :

Définition du terme tétonphobie : peur irrationnelle, fascination, attraction, répulsion, culpabilité et confusion provoquées par la vue d’un téton féminin adulte (voire l’illusion d’en voir un). […] D’innombrables campagnes de publicité ont fait croire à la plupart des Américains que la seule manière de traiter les maladies est de prendre des médicaments ou de se faire opérer. Fort heureusement, la phobie des tétons peut être traitée avec succès sans utiliser des moyens aussi drastiques, coûteux et risqués. Tout ce qu’il faut, c’est une saturation par stimulation visuelle. Traduction : les personnes atteintes ont besoin de voir davantage de tétons féminins adultes hors d’un contexte spécifiquement sexuel. Une fois la saturation obtenue, les symptômes du malaise décroissent et la vie peut reprendre son cours. Les personnes atteintes de phobie des tétons souffrent de ne pas en avoir vu quand ils étaient bébés ou enfants. Il en résulte une reconceptualisation du sein comme étant purement un organe d’attraction sexuelle.

Beaucoup de témoignages également dans ce livre, toujours justes, qui font réfléchir, comme celui de Farah, une Canadienne d’origine franco-algérienne. Le choc culturel vécu par sa grand-mère, française mariée avec un Arabe, lorsqu’elle s’est rendue en Algérie pour la première fois :

En Algérie, [les femmes] se vêtent de longs voiles pour préserver leur pudeur, seuls leurs yeux, leurs mains et leurs pieds sont visibles. Lors d’un voyage en train entre deux villes, elle vit une femme vêtue de grands voiles blancs, sauf l’un d’entre eux, qui était remonté, exposant ses seins, pour le plus grand plaisir de son bébé qui tétait. Dans le pays d’origine de ma grand-mère, la France, c’était tout le contraire : les femmes montraient leurs cheveux, leur visage, leurs bras et leurs jambes sans la moindre gêne, mais elles n’exposaient jamais leurs seins, et surtout pas leurs tétons, même pour le bien d’un bébé. Bien que la pudeur vestimentaire soit obligatoire dans l’islam, l’allaitement constitue aussi une obligation religieuse. C’est même spécifié dans le Coran : les mères allaiteront leur enfant deux années complètes, c’est-à-dire pour celles qui souhaitent un allaitement complet (Chapitre 2, Verset 233).

Loin de moi l’idée de relayer ici une quelconque idéologie religieuse comme ayant plus de valeur qu’une autre (étant par ailleurs moi-même athée) mais je trouve que l’importance de la culture est ici plus que jamais identifiable : il n’y a donc pas de fatalité ni de vérité absolue concernant la destination des seins humains. Et il ne s’agit pas non plus de rendre normale toute attitude qui serait dite « naturelle » (l’auteure relate ailleurs l’exemple cité par une Américaine choquée par l’allaitement en public, qui prétend qu’au prétexte du naturel, on pourrait donc changer la couche de bébé sur la table où mangent les invités – confondant le naturel des excréments avec celui de l’alimentation !) mais bien d’autoriser un être humain à se nourrir (comme le font les adultes, sans gêne aucune) lorsqu’il en a besoin, sans être obligé d’aller finir son déjeuner aux toilettes (cf les nombreux témoignages du livre concernant des mères sommées d’aller allaiter « plus loin » ou à l’abri des regards… soit souvent dans des toilettes !!) ou de différer un besoin si impérieux et vital pour le confort visuel de personnes atteintes de « tétonphobie » (sic).

  • En fin de livre, on trouve encore :
    • 3 annexes : « Annexe A – Les médicaments et les plantes dont vous pourriez avoir besoin pendant l’allaitement », « Annexe B – Retraits récents du marché de différents laits infantiles », « Annexe C – Dix conditions pour le succès de l’allaitement » ;
    • un « MamaScope », présentant de très nombreuses références et associations francophones sur les thématiques de la grossesse et de l’accouchement, l’allaitement et les soins aux enfants, classées par régions du monde et de France.

Pour conclure ce (trop ?) long article, je ne peux que vous dire que je recommande chaudement cet ouvrage (dont le cousin, du même auteur, sur la naissance naturelle, est aussi présenté aujourd’hui par Clem la Matriochka), pour la qualité et l’abondance de ces informations, la richesse de ses témoignages, ramenés du monde entier par l’auteure, pour l’ouverture d’esprit dont il fait preuve, pour le plaisir que j’ai eu à le lire (j’aime beaucoup le style de l’auteure) et tout ce que l’on peut (selon moi) y apprendre, même si l’on connaît déjà bien le sujet de l’allaitement. En quelques mots : une vraie bible !

Madame Sioux

* Ina May Gaskin a reçu à Stockholm, fin 2011, le prestigieux prix Nobel alternatif (The Right Livelihood Award). Elle y a été déclarée l’une des quatre personnalités les plus importantes de la planète pour son approche de la naissance, approche qui a démontré son excellence en matière de santé et de bien-être pour la mère et l’enfant. Ina May Gaskin a également reçu, en 2009, le titre de docteur honoris causa de la faculté de médecine de Thames Valley (Londres). Ses livres, vendus à plus d’un million d’exemplaires, sont publiés en quatorze langues et font partie de l’enseignement officiel des écoles de sages-femmes dans divers pays.