Michel Odent est le chirurgien et obstétricien qui a dirigé le service chirurgie et la maternité de l’hôpital de Pithiviers.  Il est fortement impliqué dans la lutte contre la surmédicalisation des femmes et des bébés, avant, pendant et après l’accouchement. C’est à lui que nous devons le développement de la technique des bébés kangourous, qui consiste à prendre en compte le besoin de contact et de caresses du bébé prématuré et à le mettre, le plus souvent possible, en contact avec sa mère, dans une poche de portage comme un petit kangourou, plutôt que dans une couveuse. Michel Odent a également contribué au développement des accouchements dans l’eau, de l’allaitement juste après la naissance, du chant prénatal, et plus généralement à ce que les femmes accouchent en salles de naissance « comme à la maison ». Il milite pour que partout, la physiologie soit respectée pendant l’accouchement, et pour que les femmes bénéficient de respect, de liberté de choix, et de choix éclairés.

Le bébé est un mammifère est l’un des premiers livres qu’il a publiés sur la naissance naturelle en 1990 (à l’époque sous le titre Votre bébé est le plus beau des mammifères), et qui est considéré comme le livre fondateur de sa pensée. Il a depuis publié d’autres ouvrages et préfacé ceux d’Ina May Gaskin sur la naissance naturelle, commenté par Clemlamatriochka ici, et sur l’allaitement naturel, commenté par Madame Sioux ici.

C’est donc avec un a priori très positif que j’ai ouvert ce livre. Et j’y ai trouvé des choses intéressantes!

Par exemple sur le besoin d’intimité pendant l’accouchement: le lieu idéal pour favoriser un accouchement serait ainsi une pièce familière, de petite taille, un peu en désordre (une pièce rangée et ordonnée renverrait une impression d’inconfort) , avec une lumière tamisée (le sens de la vue serait le plus intellectuel de nos sens et stimulerait le néocortex, qui inhiberait l’action du cerveau primitif crucial au déroulement de l’accouchement), avec un lit spacieux et bas, et sans témoins directs, ou en tout cas des témoins qui sauraient se faire discrets et ne parleraient pas à la parturiente (la parole, comme la lumière, étant un stimulant du néocortex). Bref, tout le contraire des salles de naissance, avec leur lit haut et étroit, leur lumière agressive, leur passage incessant et l’intrusion systématique dans l’intimité de la future mère, notamment avec des examens qui ne sont pas nécessaires, des « interrogatoires » médicaux, des instructions données sur les positions à prendre ou le rythme des poussées, ou même des paroles rassurantes qui pourraient en fait avoir pour effet de retarder le travail. Michel Odent va même jusqu’à dire que la longueur d’un accouchement est proportionnelle au nombre de personnes alentour

Il met aussi en lumière la continuité physiologique entre l’accouchement et la lactation:  pour favoriser l’allaitement, il faudrait laisser le petit avec sa mère plutôt que de procéder aux gestes qui suivent systématiquement la naissance (pesée, mesure, évaluation du score d’Apgar, injection de vitamines, aspiration, gouttes dans les yeux, toilette, habillement… ) qui relèvent pour lui de violences médicales.

Enfin il décrit le réflexe d’éjection du fœtus et la phase de désespérance (sur laquelle on peut lire un très bon article de Clemlamatriochka ici), trop souvent méconnues et qui peuvent surprendre.

Ce sont des choses que personnellement j’ai très profondément ressenties… Je voulais m’enfermer dans les toilettes ou dans le placard pour qu’on arrête enfin de me persécuter. La moindre parole, sans même parler des touchers répétitifs, m’agressait! Puis, quand on ne m’a pas donné  mon bébé né après extraction aux forceps – on me l’a montré de loin mais je n’ai pas vu son visage parce que je ne portais pas mes lunettes – et qu’on on me l’a amené 20 mn après sa naissance, malgré la fatigue de 26 heures d’accouchement, je crois avoir éprouvé une des plus incontrôlables RAGES de ma vie. Si je n’avais pas été paralysée par l’anesthésie,  j’aurais pu mordre une ou deux jugulaires, je pense!

Mais ce que j’ai lu dans ce livre m’a aussi parfois amusée, parfois agacée, voire choquée !

Dans le registre amusant, je ne résiste pas à citer un passage sur les chats auxquels un chapitre entier est consacré, et que personnellement, j’ai parfois trouvé à la limite du ridicule:

Si mon attention a été attirée par les chats, plutôt que par les chiens ou autres animaux domestiques, c’est qu’ils ont un comportement bien particulier pendant l’accouchement. Leur discrétion est absolue. Ils passent inaperçus, mais ils sont là. Tout en gardant un air indifférent, ils semblent savoir ce qui se passe. Ils semblent sentir l’importance de l’évènement, voire son caractère sacré. Il y a comme du recueillement dans leur attitude quasi méditative.

Je précise que j’ai été élevée parmi les chats et que j’espère bien finir vieille dame aux chats, je les adore. Mais de là à voir une sorte de pouvoir magique (Expelliarmiaouu! Paf le jambon!) dans leur regard indifférent, euh… je crois qu’en fait, peut-être à de rares exceptions près (La Chatte de Colette en est une!), le chat se fout véritablement de la femme enceinte ou en train d’accoucher comme de sa première croquette allégée. Ma théorie est que son amour de la femme enceinte, comme son amour des malades alités, des radiateurs, et des unités centrales d’ordinateurs, n’est rien de plus qu’une attirance pour toute source de chaleur… La femme enceinte a un corps bien chaud et moelleux – et souvent tente d’éviter les chats pour la toxoplasmose. Or le chat, d’après mon expérience personnelle, illustre parfaitement le proverbe « Suis moi je te fuis, fuis moi je te suis… ». Quant à dire qu’avoir un chat raccourcit la durée de l’accouchement: J’ai 9 chats = accouchement de 26h = REMBOURSEZ!

Mais il y a bien plus grave dans cet ouvrage, je crois.

La naissance est une affaire de femmes

Pour Michel Odent, les sages-femmes telles que nous les connaissons ne sont pas des « sages-femmes authentiques ». A ce titre, elles ne sont pas les accompagnantes idéales de l’accouchement. Pour lui, une sage-femme « authentique » :

– N’a pas forcément besoin d’une formation académique, une formation par expérience aurait beaucoup plus de valeur. En particulier, elle doit avoir eu des expériences de naissances à la maison.

– Doit avoir eu des enfants afin de ne pas avoir peur de la naissance et de diffuser (en silence ! il faut prendre exemple sur le chat !) ce sentiment rassurant que tout ce qui se passe est normal : elle est idéalement une femme plus âgée (matrone) à laquelle on associe inconsciemment douceur, savoir, et sagesse.

D’ailleurs Michel Odent soutient les doulas, qui n’ont pas de fonction médicale, et dont la légitimité est fondée sur l’expérience plutôt que sur la formation (bien que des organismes privés délivrent des certifications, il n’y a pas de formation reconnue pour les doulas en France).

Par ailleurs, bien qu’ayant assisté lui-même de nombreux accouchements à domicile, Michel Odent questionne le bien-fondé de la présence des hommes dans la pièce où a lieu l’accouchement. Pour lui, non seulement une sage-femme homme n’est pas une bonne idée, mais encore il semble que le rôle du père ne serait pas d’être là avec sa femme mais de rester à l’entrée de la salle d’accouchement et d’assurer un rôle de protection :

L’attitude de certains jeunes hommes qui ont tendance à rester près du lieu de naissance, mais à l’extérieur mérite réflexion. Ils semblent protéger l’intimité de leur femme. Si quelqu’un veut pénétrer dans la pièce, ils font un geste semblant signifier « Non, pas maintenant, elle est en train d’accoucher ». Malgré l’image stéréotypée actuelle du couple « donnant naissance », ces jeunes hommes semblent redécouvrir spontanément ce qui a peut-être été à l’origine, l’un des rôles principaux des hommes : protéger le monde des femmes et des bébés

Un simple regard du père pourrait ainsi empêcher ou retarder l’accouchement. A l’appui de cela, Michel Odent fait également référence à l’ouverture des sphincters (Attention ! Votre mari va vous voir faire caca Mesdames les Princesses!) et affirme que la vie sexuelle du couple pourrait en être compromise, certains hommes étant incapables de voir leur femme comme une amante après avoir vu une telle scène.

A titre personnel, cette vision heurte ma conscience féministe d’une part : une femme serait-elle forcément plus douce ? Entre une femme (même en plein accouchement) et un homme sage-femme, y a-t-il toujours une dimension séductrice ou sexuelle qui empêcherait la femme de se « laisser aller » à la naissance ?  D’autre part je la trouve extrêmement réductrice des compétences des sages-femmes, à partir du moment où l’on considère qu’une formation académique médicale est secondaire. Partant de là, faut-il comprendre que mes chances d’avoir un accouchement « réussi »sont plus grandes si j’accouche chez moi avec mon chat, avec l’assistance de ma grand-mère, une femme sage, discrète, et expérimentée en matière de naissance, puisqu’elle a eu 3 enfants ? Et puis, ai-je définitivement compromis mon couple en invitant mon mari à assister à la naissance de mon fils ? A-t-il accepté d’y assister par peur de mécontenter sa harpie de femme et de paraitre un mauvais père aux yeux de la société ? Pour moi, la présence du père à l’accouchement est une décision personnelle et intime. Je crois qu’il n’y a pas de règles, et si certains hommes en effet préfèreront rester à l’écart, d’autre je pense seraient très attristés d’être mis à la porte. Même chose pour les mamans, certaines se sentiraient probablement plus libres hors du champ de vision de leur homme, et d’autres (comme moi) peuvent puiser la force nécessaire dans sa présence. Et affirmer qu’un choix est meilleur qu’un autre me semble une intrusion dans l’intimité des couples. Faire peser sur eux la menace d’un accouchement plus long, plus douloureux, plus dangereux, et de la disparition du désir de l’homme, c’est tenter d’influencer ce choix.

La révolution colostrale

Entre la naissance et la montée de lait, les seins de la maman produisent du colostrum, une substance riche en protéines et surtout en anticorps auxquels elle a été exposée. Cette substance est très digeste et très riche, donc elle convient parfaitement aux nouveaux nés, et elle a parfois été qualifiée « d’or liquide ». Pour l’élevage des veaux et des poulains, on supplémente même les petits en colostrum artificiel afin de garantir une bonne immunisation, et certains sportifs l’utilisent comme produit dopant.

Mais pour Michel Odent, le colostrum serait bien plus que ça : le colostrum changerait la personnalité des bébés, et réduirait leur agressivité, pour toute leur vie ! Cet extrait d’une article du magazine Clés (qui n’existe plus) résume très bien sa théorie :

Pourquoi diable les humains, même ceux qui vivent proches de la nature et sont habituellement si prodigieusement intuitifs, ont-ils rejeté le nectar du colostrum en interdisant aux femmes enceintes d’en donner à leurs nouveau-nés ? La réponse de Michel Odent s’inscrit dans une thèse anthropologique stupéfiante : la privation de colostrum aurait été “ inconsciemment décidée ” par les humains, à partir du Néolithique, c’est-à-dire par les humains “ civilisés ”, comme l’une des cruautés de base destinées à préparer le nouveau-né, dès l’heure de son arrivée, à devenir agressif et donc, avec un peu de chance, futur bon guerrier et homme conquérant, règle socio-géo-politique n°1 aujourd’hui encore sur toute la planète (…). Ce dont l’humanité macho et conquérante a besoin, ce n’est pas de beaux athlètes, mais de frustrés agressifs et ambitieux !

Le révolution colostrale est donc nécessaire pour que l’humanité ne soit plus qu’amour, respect des autres et de l’environnement!

Je suis convaincue des bienfaits du colostrum au niveau immunologique et nutritionnel. Mais, de même que cela m’irrite d’entendre que le lait maternel favorise l’attachement à la mère, le développement d’un QI élevé, prévient l’obésité, le cancer du sein, de l’utérus, du colon et du gros orteil gauche, fait revenir l’être aimé et gagner au loto dans la semaine  (Zoe Williams s’en agace également dans cet article)… Je trouve que ce genre de thèses non seulement dessert la cause de l’allaitement (à un moment donné, les gens finissent par s’apercevoir qu’on les prend pour des petits lapins!), mais encore elle est extrêmement culpabilisante ! A l’appui de cette théorie avancée par Michel Odent : Les éleveurs de chevaux savent bien que les poulains qui ne prennent pas de colostrum ne seront jamais des champions. Personnellement, cela me parait un peu mince.

Allaitement et polygamie

Last but not least : Vous trouviez que l’allaitement est parfois difficile parce qu’il implique des sacrifices au niveau de votre vie sociale et professionnelle ? Michel Odent est d’avis que pour être une bonne mère allaitante, il faudrait également commencer à envisager d’abandonner votre vie sexuelle, et donc a fortiori, votre exclusivité sur votre conjoint par contre, vous pouvez avoir pleins de chat. Le raisonnement est le suivant : Lorsqu’on allaite, on sécrète de la prolactine, « l’hormone de l’amour et de l’instinct maternel » selon l’auteur. La prolactine diminue la libido. Donc dans le cadre de la monogamie, l’homme qui veut que sa femme soit sexuellement disponible le plus vite possible la contraint à arrêter d’allaiter très rapidement (et accessoirement à virer le bébé du lit conjugal). Résultat : Un bébé mal-aimé, frustré et agressif (donc élevé pour dominer son prochain encore une fois), et des parents vautrés dans la luxure… Notons qu’au passage, mine de rien, Michel Odent souligne que la mère allaitante, dans le but de retrouver la ligne pour être sexuellement attirante, empoisonne son bébé puisque les toxines sont stockées dans le gras, donc lorsque le gras des cuisses fond, les toxines vont dans le lait maternel. Donc ne comptez pas non plus compenser le manque de sexe ou d’affection par le nutella, c’est plein d’huile de palme.

Les arguments de défense de la polygamie sont classiques : Nous sommes de fait dans une société polygamique hypocrite : soit nous enchaînons les partenaires les uns après les autres, soit nous avons des relations extra-conjugales. La polygamie permettrait d’éviter le divorce, de faire plus d’enfants, d’éponger le surplus de femmes qui ne trouvent pas chaussure à leur pied… Et surtout, il existe une corrélation entre allaitement long et sociétés polygamiques.

Bon alors je suis peut-être très conservatrice sur ce sujet – quoique ma vision de la polygamie se soit récemment très adoucie lorsque j’ai suivi la série Big Love, que je conseille ! – Mais il me semble que cette conception des choses concentre nombre de clichés sexistes: L’homme animal sexuel, la femme « contrainte » par l’homme à reprendre des relations sexuelles, la femme qui ne demande qu’à partager son lit avec son enfant pendant 5 ans, qui n’a en fait, pas de besoins sexuels en dehors de ses périodes de fécondité. Ni besoin de disposer de son corps. Ni besoin d’indépendance financière, allons, l’homme est là pour la protéger. Quant à partager un homme, oh bin c’est bien, comme ça, elle aura moins de ménage à faire, de quoi se plaint-on.

Et il me semble que la corrélation qui est faite omet le léger détail que les sociétés polygamiques se situent souvent dans des parties du monde où nourriture et eau propre ne sont pas en abondance, donc où l’allaitement est l’option la plus sûre (si ce n’est la seule option) pour la survie du bébé. Qu’en outre les sociétés polygamiques ne sont pas franchement célèbres pour leur reconnaissance des droits des femmes: La polygamie va en fait souvent de pair avec excision, mariage forcé, relations sexuelles subies et non consenties, travail forcé… Bref une soumission totale aux hommes.

En conclusion, non seulement je recommande ce livre, mais encore je crois qu’il est très important de le lire si l’on veut défendre la naissance naturelle, parce que Michel Odent est un véritable pionnier. Mais alors que je parlais dans mon premier paragraphe de respect, de liberté de choix, et de choix éclairés, je le ferme avec la sensation désagréable que l’auteur, dans son élan de vouloir réhabiliter notre côté mammifère, a en chemin oublié que les femmes ont également des aspirations autres que celle d’être mère. Par exemple, celle de travailler ou d’avoir une relation de couple épanouie. Sa vision très stéréotypée des différences hommes-femmes,  et l’exclusion totale des hommes en général et du père en particulier de la sphère mère-bébé, m’ont aussi beaucoup gênée. De plus, certaines affirmations qui me semblent partisanes, ne reposent en rien sur des fondements scientifiques, et n’ont jamais été démontrées, mais elles sont présentées comme des vérités. Ce qui a le don de semer le doute en moi pour ce qui concerne toutes les autres affirmations. Enfin, je crois que cette vision extrémiste donne une image faussée et négative des défenseurs de la naissance naturelle: on peut vouloir lutter contre la surmédicalisation de la naissance sans se lancer dans la maternité comme dans un sacerdoce au point de s’oublier complètement.

Drenka