L’allaitement, un plaisir inavouable ?

Je lis en ce moment (et de façon un peu laborieuse) le bouquin très intéressant de Geneviève Delaisi de Parseval et de Suzanne Lallemand : « L’art d’accommoder les bébés »

Un sujet m’a interpellé : le plaisir de s’occuper de l’enfant. En particulier dans deux activités : l’allaitement, et le change.
Aujourd’hui, je vais parler de l’allaitement.

Concernant l’allaitement et le plaisir, le livre nous dit ceci :

« La maxime correspondant à la majorité des manuels jusqu’aux années 60 pourrait s’écrire ainsi : « C’est un sacrifice d’allaiter » ou : « C’est un sacrifice d’allaiter et il est bon qu’il en soit ainsi » […] Mais ce sont surtout les manuels récents qui nous apprennent « après coup » que ce n’était guère drôle à l’époque. »

Et il faut bien l’avouer, quand on parle d’allaiter, encore maintenant, tout le monde va vous parler crevasses, montée de lait douloureuse, fatigue etc. Bref, un aperçu bien décourageant pour une future primipare je trouve.

Deuxième extrait du livre, sur les sensations de la mère pendant la tétée :

« Enfin, nous trouvons, en 1976, une réflexion sur les sensations de la mère pendant la tétée qui constitue une petite révolution. Que dit-on? « Certaines femmes ont au moment de la tétée des sensations quasi-voluptueuses. Elles peuvent en être troublées et éprouver un sentiment de culpabilité. […] Vous devez savoir que ce sont là des phénomènes normaux et parfaitement naturels » L. Keisler est […] le seul qui ait abordé cette question. Étrange occultation que celle qui consiste à oublier ou ignorer le seul élément de l’allaitement qui ne soit ni douleur ni argument technique ou pratique, le seul aussi qui concerne la femme et elle seule. »

Ça laisse songeur non, un seul auteur qui parle de ça : le plaisir physique que l’on peut éprouver pendant une tétée. Encore à l’heure actuelle, très peu de gens en parle, comme si c’était gênant, choquant.

Les auteures avancent une hypothèse explicative : « Il semble […] qu’il s’agisse ici […] d’un « je ne veux pas le savoir » comme si le puériculteur s’évertuait à interdire tout plaisir à la mère, la meilleure façon de l’interdire étant de l’ignorer de façon que les mères aient honte. »

Ce n’est qu’une hypothèse, mais c’est vrai que ça peut être troublant, ce plaisir physique dont personne ne parle (ou presque). Et ça casse un peu la dichotomie sein nourricier/sein érotique que l’on a tendance à mettre en place quand on allaite. On se rend compte que ça reste le même organe et que si, intellectuellement, on sépare les deux aspects, physiquement, c’est plus compliqué. Il reste alors à accepter que l’on puisse effectivement ressentir un plaisir physique lors de l’allaitement, sans pour autant perdre cet aspect sein nourricier. Je dois dire que je trouve que si on nous en parlait avant, qu’on était prévenu, ça nous chamboulerait moins, puisque qu’on pourrait y penser et s’y préparer. (Je crois que je n’avais lu quelque chose sur cet aspect de l’allaitement que dans un livre de la Leache League, et encore, c’était 2 phrases… Peu pour quelque chose de passablement perturbant quand on y est pas préparé.)

On parle aussi du plaisir psychologique de l’allaitement : « Il est un autre plaisir dans le fait de nourri un petit bébé, c’est celui que la mère peut trouver dans la relation avec son enfant. Mais, bizarrement, il n’y a que peu de temps que la puériculture en fait état.[…] Auparavant, les spécialistes rivalisaient d’arguments moraux, techniques, médicaux, sans même évoquer la chaleur et la proximité de la relation mère/enfant, étonnante omission que celle là… jusqu’en 1966 »

Pourtant, il est vrai qu’à l’heure actuelle, c’est surtout ça qui est mis en avant (avec les arguments médicaux) pour pousser les mères à allaiter. ( On remarquera au passage la tournure de phrase « nourrir un petit bébé » avec le « au sein » implicite. Faut il comprendre que, pour les auteures, un biberon n’est pas « nourrir »? Vu le reste du chapitre, ça m’étonnerais. Mais la phrase a quand même de quoi surprendre…) Le plaisir physique, lui, est toujours occulté. Il n’est pas forcément facile de dire qu’on a du plaisir en donnant le sein. Et pourtant, si on en parlait un peu plus, ça choquerait moins. Les non-dits sont extrêmement étouffants (et pas que sur ce sujet là d’ailleurs…).

Il faut aussi remarquer qu’avant, (du temps de nos grands-mères), les femmes n’avaient pas le choix. Il fallait allaiter pour nourrir son enfant, puisque les préparations industrielles n’existaient pas. (Ou alors, prendre une nourrice si on était assez fortunée)
Mais c’est quand même étrange, cette façon d’occulter la partie plaisir de l’allaitement dans les livres de puériculture. Pourquoi faut il le décrire comme un sacerdoce, quelque chose de contraignant?
J’ai personnellement fait le choix d’allaiter et j’y ai pris du plaisir.
Alors disons le haut et fort : Non, allaiter n’est pas forcément un parcours de la combattante! C’est un choix, personnel et de couple. (J’ai une pensée pour les mères dont le conjoint ne soutient pas la décision, d’allaiter ou non..ca ne doit pas être facile…) Parfois ça se passe moyen, et parfois, ça va tout seul et très bien. Et souvent, tant que ce n’est pas imposé à la mère, c’est une vraie source de plaisir. (et y a pas de honte à ça, nondidjoss à la fin! ^^) D’ailleurs, si c’était vraiment un chemin de croix, l’espèce humaine ne se serait surement pas développée comme elle l’a fait, non?

La Farfa

9 réflexions sur “L’allaitement, un plaisir inavouable ?

  1. Merci beaucoup de ta contribution!!! Comme je disais sur ton blog perso, je pense vraiment que cette notion de plaisir dérange profondément (je renvoie aux contributions dont nous avons déjà largement débattu à propos des positions radicales de Rufo ou Naouri) dans un contexte où la psychanalyse est une référence psychologique majeure et ou donc plaisir équivaut à pulsion et sexe… Ceci étant, je ne fais qu’amorcer ma réflexion… Je pense qu’il serait intéressant de relire la contribution de la Mère Joie au site BV l’allaitement (le lien est sur la page fb des VI) qui évoque énormément et très pertinemment ce sujet…
    Personnellement, autant j’ai beaucoup à dire sur le plaisir psychologique (détente, relaxation, sentiment de bien être…), autant j’ai peu à dire sur le plaisir physique… Avant d’avoir l’APA, j’avais plus ou moins entendu parlé de ces femmes qui parlaient de sensations voluptueuses ou troublantes et je m’attendais à m’y sentir pas forcément à l’aise… ben rien de tout cela n’est arrivé… et je ne le dis pas par tabou…!! Je pense juste que chacune ressent les choses à sa façon et qu’encore une fois nous subissons une norme à un endroit où il n’est en fait question de notre intimité…

  2. Je pense que l’omission de la notion de plaisir, que ce soit dans l’allaitement ou plus généralement dans la relation à l’enfant, n’a rien d’étonnant et est aussi caractéristique de l’époque.
    Dans la première moitié du XXème siècle, tout plaisir, surtout pour une femme, était un peu suspect, et on valorisait plutôt le sacrifice, l’abnégation, etc… Après que des mères aient trouvé du plaisir dans le fait de s’occuper de leurs bébés, ça devait arriver, mais on n’allait surement pas prôner ça dans un manuel de puériculture.
    Après pour ce qui est de parler du plaisir physique dans l’allaitement, moi c’est un truc qui me laisse qd même perplexe parce qu’après plus de 3 ans d’allaitement au compteur, c’est vraiment un truc que je n’ai jamais ressenti. Un sensation de détente à la rigueur (et encore, pas tant que ça)

    • ça m’est arrivé mais pas beaucoup. Peut être 3-4 fois sur 9 mois et demi d’allaitement. Par contre, la détente, le bien-être, ça c’était presque à chaque fois. Bon, c’est juste mon expérience perso, ça n’a pas valeur scientifique hein. ^^

  3. Pingback: Du féminisme dans l’allaitement maternel [mini-debrief] « Les Vendredis Intellos

  4. Merci Kawime pour cet article!
    Je trouve qu’il ouvre une nouvelle réflexion, au-delà du plaisir que peuvent ressentir physiquement certaines femmes (personnellement, pendant 5 ans d’allaitement, je peux effectivement témoigner d’un bien-être, d’un calme).
    Pourquoi nos satisfactions, en tant que maman et femme, sont cloisonnées avec d’un côté l’abnégation maternelles dont tu parles et de l’autre nos satisfactions de femme (sexuelles, professionnelles…)

    Comment savoir à quel sein se vouer? Faut-il couper le sein en deux?. La féminité, le fait d’être femme rentre-t-il dans les cases que l’on nous a transmises…

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