Du féminisme dans l’allaitement maternel [mini-debrief]

Donner le sein ou ne pas le donner ? La question peut paraître simple à trancher, elle l’est même pour certaines femmes (j’en fais partie), mais elle révèle en réalité bien des aspects de notre société et de notre façon de penser. Si l’on se pose la question d’abord, c’est que l’on a le choix. Ensuite, les différents avis donnés par notre entourage ou les personnels médicaux nous montrent qu’il y a des enjeux derrière ce choix que nous faisons (ou pas). Enjeux de santé un peu, enjeux économiques un peu plus, enjeux idéologiques beaucoup. Car s’opposent là différentes visions de la féminité et de la maternité. Des pressions s’exercent, plus ou moins consciemment, sur les femmes « pour » ou « contre » l’allaitement maternel, ce qui est en fait le plus malheureux dans cette histoire. Et le pire, c’est que même si elles ont changé, il y en a toujours eu…

Nous le voyons chez Muuuum, qui cite Dolto pour nous montrer que les choses ont bien changé depuis l’époque de celle-ci, que le féminisme est passé par là, mais qu’il n’empêche pas d’allaiter au sein. Il y a encore quelque temps, le choix de donner le sein était influencé par deux choses : la volonté de l’homme ou des hommes de la famille et les coutumes (de la famille et/ou de la classe sociale). Aujourd’hui, si les femmes donnant le sein attendent du soutien de la part du père de leur enfant, elles sont les seules à faire ce choix. Ainsi, alors qu’on a pu opposer féminisme et allaitement maternel à cause d’une idée reçue selon laquelle la femme serait esclave de son enfant en l’alimentant avec son lait, on se rend compte qu’il n’en est rien.

Et si malheureusement certaines mères se félicitent de ne plus vivre pour pouvoir donner leur lait à un bébé qui demande le sein toutes les trente minutes le jour comme la nuit, la très grande majorité des « mères allaitantes » savent bien qu’il n’est pas du tout nécessaire de se mettre plus entre parenthèses avec ce mode d’alimentation qu’avec un autre… et que donner le sein permet de rester une femme pour un homme qui n’a plus le droit d’imposer sa volonté.

Désormais, hommes et femmes ont les mêmes droits. Et ce n’est pas la contribution de Conseils éducatifs qui me contredira, puisqu’elle s’interroge sur le féminisme, ce qu’il est et ce qu’il implique. Tant de questions sont soulevées… qui toutes n’ont pas de réponse. Quelques phrases de Despentes viennent mettre en lumière les travers dans lesquels nous sommes tous susceptibles de tomber en éduquant nos enfants. Car nous éduquons des filles et des garçons, pas simplement des enfants. Alors, élevons-nous des machistes et des féministes ? Ou notre défi n’est-il pas de faire en sorte que le respect soit simplement mutuel, que le machisme s’apaise et que le féminisme soit un moyen de se défendre sans agresser ? Un féminisme qui serait simplement là pour autoriser les femmes à faire des choix sans devoir sans cesse se soumettre aux choix des hommes – dans la vie professionnelle comme dans la vie personnelle.

Du côté de Kawine, on assume même tellement ses choix de femmes que l’on clame haut et fort que l’allaitement au sein est un plaisir et peut procurer un plaisir physique. Car non, allaiter n’est pas que douleurs et temps perdu. Allaiter au sein est aussi un temps précieux de tête à tête et de peau à peau avec le bébé, sans douleur et même parfois avec un plaisir favorisé par les sécrétions hormonales (mais pas que). Cette dernière notion, comme le souligne Kawine, est trop souvent occultée. Sans doute parce qu’il est tabou de ressentir du plaisir en donnant le sein à son enfant. Sans doute aussi parce que l’on a longtemps préféré considérer les mères allaitant au sein comme de vulgaire mères nourricières esclaves plutôt que comme des mères ayant fait un choix et en étant heureuses.

Il me semble important, alors, de garder à l’esprit que la révolution féministe de certains pays s’est faite en intégrant l’allaitement maternel dans la vie des femmes comme un élément d’épanouissement parmi d’autres, pas en le rejetant comme une basse besogne. Le plaisir est-il plus permis là-bas ? Et, donc, l’allaitement au sein est-il mieux vu ?

Par chez nous, comme pour beaucoup de choses, c’est compliqué. Chocophile nous livre une réflexion autour de la promotion (ou non) de l’allaitement maternel. A l’heure où un sondage vient de démontrer que la publicité omniprésente pour les préparations pour nourrissons influencent les femmes sur leur choix, la question est plus qu’intéressante ! Les arguments débattus sont nombreux : la santé de l’enfant, le lien mère-enfant, la possibilité matérielle d’allaiter alors que le congé maternité ne dure que dix semaines post-accouchement, la pression exercée sur les femmes. Pression qui, contrairement à ce qui est dit, n’est pas toujours pour l’allaitement au sein, preuve en est avec cette étude sur la publicité, sans compter mon récent contact avec une maman de mon entourage que l’on a presque forcée à donner un biberon.

Alors, la question de la promotion de l’allaitement se pose-t-elle réellement en terme d’enjeux de santé dans nos pays industrialisés ? Non, très clairement, il n’y a aucun danger à donner des biberons de lait en poudre. Se pose-t-elle en terme de lien mère-enfant ? Evidemment, une maman donnant le biberon aime autant son enfant qu’une maman allaitant au sein. Cela dit, le contact est différent. Pas de meilleure ou de moins bonne qualité, mais différent, c’est un fait. La question se pose-t-elle donc en terme de logistique ? En partie. Disons que la durée du congé maternité ne change rien à la mise en place d’un allaitement maternel, mais les impossibilités d’interrompre une journée de travail pour donner une tétée ou tirer son lait, si.

En fait, le vrai souci de la question n’est-il pas tout simplement que certaines femmes ont du mal à assumer leur choix parce qu’elles sont culpabilisées par d’autres (et je pense notamment à des associations, des forums, des sites, où l’on agresse bien volontiers celle qui ne mène pas un allaitement exclusif jusqu’à au moins 6 mois ou qui pratique un sevrage avant 2 ans…) ? Le débat est bien trop passionnel entre les mères.

Ne peut-on pas considérer qu’une promotion de l’allaitement maternel devrait se faire au même titre que des affiches et des publicités télévisées pour des préparations pour nourrissons emplissent le quotidien des futures et jeunes mamans ? Mais cette promotion ne devrait-elle pas être uniquement factuelle ? Laissant de côté l’aspect « mère parfaite allaitante donc donnant tout », comme l’aspect « mauvaise mère biberonnante » qui ne sont que des clichés totalement faux ? S’il n’est pas dangereux de donner un biberon dans nos pays, nous pouvons dire, en toute honnêteté, que le lait maternel reste le plus adapté à nos bébés.

Cécilie

10 réflexions sur “Du féminisme dans l’allaitement maternel [mini-debrief]

  1. Pingback: L’allaitement et les féminismes | Histoires de nombril

  2. Le problème du choix de l’allaitement est très complexe ! car beaucoup de choses s’en mêlent, notamment la culture, l’éducation, et oui, o que oui la publicité !
    Je suis en train de préparer un article justement sur le sujet, retraçant plusieurs études à travers le monde avec différentes approches.

  3. Comme l’a dit Pascale, tout cela est très complexe… et tu as donné un panorama vraiment passionnant de cette complexité..!!! Merci de ce beau débriefing !!! Le chemin est encore long mais je suis convaincue que nos échanges contribuent aussi à faire avancer les choses!!!

  4. Pingback: Semaine 17: Le débriefing de Mme Déjantée « Les Vendredis Intellos

  5. article intéressant, mais j’émettrais quelques réserves. 1) les « associations, des forums, des sites, où l’on agresse bien volontiers celle qui ne mène pas un allaitement exclusif (…)  » je ne pense pas qu’il y en ait tant que ça, ou alors, je le les ai pas vus. J’en connais bcp, donc celui de LLL -si souvent décrié- au contraire très respectueux du choix de chaque femme. Et ces sites, forums, etc ne font à mon avis pas le poids par rapport à l’omniprésence de la pub pour les laits infantiles et des labos en particuliers. Parlera-t-on un jour du matraquage effectué il y a qq dizaines d’années où du lait en poudre était distribué gratuitement dans les maternités pour inciter les femmes à donner des bibs? Comment peut-on alors accuser d’autres personnes de « matraquer » dans l’autre sens en voulant rétablir la place de l’allaitement ?
    2 ) au vu des nouvelles récentes, est-on sûr que le lait infantile et les biberons ne sont pas sans dangers? (cf scandale de la mélanine dans des laits en poudre et tout récemment, tétines contaminées dans les maternités…)
    On peut rétorquer que le lait maternel peut être contaminé aussi selon l’alimentation et le mode de vie de la mère. Se pose alors globalement la question de savoir quel est le « moins nocif ». Et je crois que toutes les études s’accordent pour dire que le lait maternel est le plus adapté.
    3) en parlant de féminisme et d’allaitement, j’aurais attendu un paragraphe sur cette fameuse « liberté » tant revendiquée par nous les femmes. Et parler ainsi d’un argument que j’ai toujours du mal à comprendre, à savoir que donner des biberons rend la femme plus libre.
    (Il faudrait quand même mettre en parallèle le temps passé à préparer, stériliser, laver, mesurer, compter, acheter…. les biberons et celui de se poser pour donner le sein.)

    En effet, le débat est difficile car souvent passionnel, mais justement, pour bien en discuter il faudrait établir les faits qui ont amené à cette situation.

    • Merci de tes remarques, les mini-débriefs ne peuvent prétendre à l’exhaustivité puisque leur rôle est de présenter les contributions des semaines précédentes et sont donc plus ou moins limités par le contenu des auteurs… Néanmoins, la question des liens entre féminisme et allaitement, justement parce qu’aucun argument matériel n’est tenable dans un sens comme dans l’autre, justement parce que l’allaitement maternel n’est pas intrinsèquement féministe ou non, mérite d’être explorée, discutée, disséquée pour être comprise.
      C’est la raison pour laquelle j’ai sollicité une contribution Guest auprès d’une sociologue en train de réaliser sa thèse sur ces thématiques. Elle devrait nous livrer son travail pour les fêtes!!! Je l’attends avec impatience!!!

      • Bonjour Mme Déjantée, quelle réponse rapide, merci !
        Je ne connais pas en détail le fonctionnement de ton blog, je viens d’arriver là par l’intermédiaire de la Poule pondeuse et de A tire d’ailes. Maman depuis 10 mois, je découvre la blogosphère de la « maternitude » et autres sujet de parentalité. Je découvre aussi la polémique autour de l’allaitement que j’ignorais complètement avant avant la naissance de ma fille !
        Donc je m’incruste dans les discussions… Je ne tiens pas de blog personnellement, mais aime bien tout de même chatouiller mes neurones, pas encore complétement atrophiés par la maternité…

        Au plaisir de te lire, ainsi que les nouvelles contributions !

        • Bienvenue par ici alors!!! Il est vrai que l’allaitement maternel suscite beaucoup de débats, dont personnellement je ne comprends pas entièrement la raison profonde… J’ai souvent l’impression que certain-e-s se trompent de cibles, car nous nous devons d’être toutes unies POUR promouvoir l’information éclairée, le respect de la femme et de ses choix, quelqu’ils soient. C’est une des raisons pour lesquelles j’essaie de fouiller autant que je peux pour y voir plus clair, mais c’est apparemment une lourde tâche!!!

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