Bonjour à toutes et tous,

Tout d’abord, je souhaite à toutes les lectrices, lecteurs, contributrices,  contributeurs ainsi qu’à toutes et tous ceux qui soutiennent le projet des Vendredis Intellos, une nouvelle année aussi riche et épanouissante que possible… Puisse ce projet grandir, dans le respect et la tolérance du point de vue de chacun, qui depuis le début, ont fait la force des réflexions en émanant…Puisse-t-il apporter sinon des réponses, de nouvelles questions aux parents (et non-parents !!) que nous sommes afin que chacun puisse trouver une place pour ses idées au cœur de ces questions essentielles que sont l’éducation, la parentalité, et la place de l’enfance…

Aujourd’hui, je reprends la plume en tant qu’auteure sur ce blog pour m’essayer à un nouvel exercice, une synthèse de plus grande ampleur (que je promettais depuis longtemps !!) visant à donner des perspectives et prendre du recul sur un mois entier de contributions… Les idées se pressent dans ma tête depuis des semaines mais malgré tout, je ne suis pas encore certaine de savoir me montrer à la hauteur de cet exercice périlleux…

Cette synthèse ne visera pas à la totale exhaustivité mais s’attachera à rendre compte au travers d’un fil conducteur de nombres de thématiques qui auront questionnées les neuroneuses et neuroneurs tout au long de ce mois de décembre… Dans ce cadre, je laisserai par exemple de côté les contributions de la semaine du 23 décembre, que nous avions exceptionnellement décidé de centrer sur le thème de la fête.

Pour faciliter la lecture, j’articulerai principalement cette synthèse sur la base des minis-débriefs des Marraines qui présentent l’intérêt de contenir déjà des éléments de synthèse. En outre, ils me permettent aussi d’user d’une petite escroquerie intellectuelle puisque, étant responsable de l’élaboration des sujets des minis-débriefs (mais non de leur traitement !!),  je bénéficie de l’avantage de synthétiser et d’organiser une pensée qui m’est déjà en partie familière…

Bref, de quoi a-t-il été question dans ce dernier mois de l’année 2011 ?? Quels sujets ont animés le cœur et l’esprit des neuroneuses et neuroneurs ?? Quelles questions, quelles problématiques ceux-ci sous-tendent-ils ? Voilà donc ma mission du jour…

Après moult agitations neuronales,  il m’est apparu que l’on pouvait regrouper les contributions sous quatre grands thèmes qui sont :

  • L’articulation entre sphère publique et sphère privée et la détermination ce qui appartient à l’une et l’autre. 
  • Le rapport à la norme mais aussi aux valeurs, aux sanctions et aux rôles implicites assignés à l’individu.
  • La question de la transmission familiale d’une part et sociétale d’autre part
  • Et enfin une partie plus conclusive, plus axée sur la question des perspectives qui visera à s’interroger sur  la façon de penser l’individu dans le contexte précédemment discuté au travers de la notion de choix, de respect, de revendication aussi…
  1. 1.       L’articulation entre sphère publique et sphère privée et la détermination ce qui appartient à l’une et l’autre. 

Voilà la question qui, en définitive, est sous tendue au travers de la polémique autour du projet de loi « anti-fessée » dont il a été question dans un article très commenté des VI qui portait sur le contexte suédois.

Car ce n’est pas tant la question du POUR ou CONTRE la fessée qui divise (la majorité des parents admettant généralement son caractère peu constructif et nocif) mais de savoir si OUI ou NON, il est légitime et supportable de voir ainsi l’Etat s’inviter au cœur des foyers. Et si oui, jusqu’où cette intrusion l’est-elle (pour certains la mise en danger de la vie de l’enfant est la seule limite acceptable, pour d’autres toute atteinte physique à l’enfant le justifie, pour d’autres encore, la limite devrait inclure également les atteintes morales et menaces verbales…) ? Bien évidemment, aucune réponse n’existe dans l’absolu (d’où la polémique) mais se négocie en fonction des valeurs dominantes du moment…

De manière peut être moins saillante (parce que nous l’avons admis depuis plus longtemps), nombreux sont les sujets où des instances de régulation centrales (pas toujours bien déterminées d’ailleurs) interviennent de manière plus ou moins autoritaires sur des décisions individuelles.  Les intentions de ces actions peuvent être louables (minimisation de tel ou tel risque par exemple, préservation de la santé de l’individu, etc..) mais nombre d’entre elles sont aussi plus arbitraires car fortement marquées par des valeurs et des idéaux qui ne sont pas universaux.

Dans ce cadre, le mini-débrief de Mum Addict a évoqué plusieurs points illustrant ces catégories : la question de l’addiction au tabac pendant la grossesse (intervention forte justifiée par une politique de santé publique), la question du choix de l’accouchement au travers de la pratique de la césarienne de convenance (je parle bien des femmes qui réclament une césarienne « de convenance » et non de pratiques de praticiens peu scrupuleux…) ou encore la pratique du cododo (de moins en moins condamnable sur la base de résultats scientifiques mais pourtant assez souvent rejetée pour des motifs idéologiques).

Le mini-débrief de Vaallos s’inscrit également dans un contexte similaire en relayant d’autres sujets classiques de « frottement » entre choix individuels et injonctions sociétales. Parmi eux, la reprise du travail des mères après une naissance est un sujet de choix pour lequel il n’existe aucune réponse définitive sur ce qui serait, dans l’absolu, meilleur pour la femme et l’enfant, mais qui n’en demeure pas moins le terrain d’un affrontement permanent entre enjeux sociétaux de nature diverses : enjeux féministes (l’égalité homme-femme), enjeux financiers (l’emploi des femmes, le chômage, les retraites), enjeux éducatifs (prime éducation à la maison VS en structures collectives), etc… La question de l’allaitement (maternel ou non) traité (par exemple car c’est un thème récurrent sur les VI !) ici et là en est un autre parfait exemple. A l’extrême, il semblerait même que la société s’invite au cœur de nos perceptions les plus intimes telle que notre vision de la douleur de l’enfantement.

L’intrusion, légitime ou non, explicite ou non, revendiquée ou non, de la société (au travers de ses injonctions) au cœur de nos choix individuels ne s’arrête pas à la maternité et à ses implications médicales… elle se poursuit de manière extrêmement forte tout au long de l’éducation de l’enfant. A titre d’exemple, je suis toujours un peu attristée d’entendre de toutes nouvelles mamans me raconter quelle appréhension elles ressentent à avouer au pédiatre de leur enfant qu’à 6 mois passés « il ne fait pas encore ses nuits »… et quelle est leur stupéfaction lorsque je leur réponds qu’elles ne sont pas obligées de le dire. Soyons clairs, le pédiatre est un spécialiste de la santé, il peut (dans la majorité des cas) être considéré comme une référence pour tout ce qui a trait au maintien de l’enfant en bonne santé… mais il n’est pas un spécialiste de l’éducation, il n’a pas vocation à être directeur des consciences, il n’est pas un spécialiste de l’attachement, il n’est même pas un spécialiste en psychologie !! Tant que l’enfant va bien, s’épanouit, grandit, grossit, apprend : en quoi cela regarde-t-il le pédiatre de savoir s’il appelle ses parents une fois ou deux dans la nuit ? Et quand les parents, honteux, en arrivent tout de même à avouer leur faute et à se faire réprimander : est-ce l’expression d’un savoir médical ? Ou la simple projection des idéaux éducatifs que ce pédiatre nourrit au même titre que tout être humain ?

Tel est plus ou moins le sujet du mini-débriefing de Kiki the Mum… Qui évoque en premier lieu la question de l’école, avec ses rigueurs et son « moule » qui ne coule pas de source aussi bien pour les uns que pour les autres et sur laquelle nous reviendrons dans la deuxième partie de ce débrief… Il est souvent bien difficile pour nous de garder à l’esprit que l’école ne véhicule pas que des savoirs et que quand même bien nous nous réduirons à n’analyser que ceux-ci, nous nous apercevrions qu’ils sont très loin d’être exempts de toute empreinte idéologique (sans aller jusqu’à parler de l’éducation civique, le seul enseignement de l’énergie en sciences physiques au collège introduit après les grands chocs pétroliers en est un exemple marquant…)… mais je vous concède que sur ce point, un Guest serait le bienvenu  (j’y travaille!!). Terminons par deux autres illustrations de l’impact sociétal sur nos décisions individuelles, plus éloignées cependant de ce qui relève des injonctions institutionnelles, plus diffuses et inconscientes aussi mais tout aussi déterminantes, avec la question du port des bijoux chez les enfants et celle du choix des jouets.

Avant de poursuivre mon analyse….

Ceux qui me lisent depuis les débuts savent que la question de l’investissement par la sphère publique de la sphère privée est un sujet qui m’interpelle beaucoup… notamment lorsqu’il s’applique à la place de la médecine ou de l’école. Il était déjà en partie à l’origine de la création des Vendredis Intellos et même si, rappelez-vous, j’avais déjà fait appel à un Guest pour commencer de l’aborder, il est clair que beaucoup de mes questions étaient restées en suspens… Cela fait donc plusieurs mois que je cherche à l’approfondir, et c’est suite à l’épluchage de la bibliographie de l’ouvrage L’art d’accommoder les bébés de G. Delaisi de Parceval et S. Lallemand que j’ai découvert la référence que je souhaite vous proposer aujourd’hui à titre de « petit pas supplémentaire » sur le chemin de la réflexion…

Cet ouvrage s’intitule Prime Education et Morale de Classe et a été rédigé par le sociologue Luc Boltanski en 1969 (rien de très récent donc mais il faut bien commencer par le commencement…). Je me propose donc de vous livrer à la fin de chacune de mes parties quelques extraits de cet ouvrage donc j’espère que comme moi, il vous donnera quelques perspectives supplémentaires sur les thèmes que nous abordons.

En quoi cet ouvrage peut-il nous éclairer quant aux limites entre sphère publique et sphère privée, notamment dans le cas de l’intervention médicale et scolaire et plus précisément encore, dans ce sous domaine de l’intervention médicale et scolaire qui s’intéresse à la maternité et au petit enfant ?? 

En cela qu’il décrit comment « La diffusion de la puériculture ne s’est pas faite […] spontanément ni au hasard ; elle est le résultat d’une entreprise systématique qui, commencée à la fin du siècle dernier, se poursuit encore aujourd’hui, et ne constitue qu’un élément à l’intérieur d’un projet plus vaste, plus ambitieux : régler la vie, particulièrement celle des membres des basses classes, régler tous les actes de la vie, y compris les plus intimes et les plus privés, ceux qui s’accomplissent à l’intérieur de la maison, au sein du foyer » (p.15).

Nous y retrouverons donc les différents points que j’ai annoncés lors de mon plan : j’essaierai de vous proposer des extraits qui montreront dans quel contexte et avec quel objectif l’intervention de la sphère publique sur la sphère privée s’est opérée (partie 1), de quelle façon celle-ci a impliqué l’imposition de nouvelles normes au prix d’une éducation très interventionniste d’une partie de la population (partie 2) et comment la transmission sociétale par le biais de l’éducation notamment a peu à peu supplanté la transmission familiale (partie 3).

L’ouvrage de Boltanski s’ouvre sur l’exposé du problème très général auquel étaient confrontés  les pouvoirs publics à la fin du XIXème siècle et qui finalement a donné naissance d’une part à l’école et d’autre part à la puériculture (l’un étant l’outil de mise en place des principes édictés par l’autre). Ce problème tient en ce lieu commun : « C’est une opinion courant, vers le milieu du XIXème siècle, que la condition malheureuse des classes laborieuses est la cause […] ou le résultat […] d’un esprit vicieux, d’une vie immorale, désordonnée, libérée de toute règle et de toute contrainte collectif. Et, en effet, dans la perception commune, ce qui caractérise les classes populaires, c’est moins leur immoralité que le caractère déréglé et anarchique de leur existence. » (p. 28) La réponse à ce problème tient en un mot : l’école. « Il faut « coloniser » les barbares de l’intérieur […] et neutraliser ainsi les dangers qu’ils font courir à la civilisation et à la culture. » (p.29) La solution se précise même et justifie notamment l’instruction des filles : « Si c’est principalement par le moyen de l’enseignement ménager que l’école prétend accomplir son œuvre civilisatrice, c’est qu’il est tout à la fois plus utile et plus facile de domestiquer la femme. Plus utile d’abord : ce qu’il convient maintenant de régler c’est la « vie privée », ce sont les conduites qui s’exercent dans l’intimité du foyer, dans le domaine de la femme. Plus facile aussi : la femme est tenue pour naturellement plus douce, plus facile à contraindre, moins sujette aux violences physiques et aux rebellions intellectuelles que l’homme. Qui plus est, la femme est « une éducatrice ». Ce que l’on attend de la femme, c’est qu’elle devienne à son tour une missionnaire, une auxiliaire de l’école, qu’elle convertisse son mari et ses fils. » (p. 30)

C’est ainsi que l’avènement des statistiques dans la première partie du XIXème siècle a amené « chez les administrateurs, les médecins, mais aussi dans le public, une prise de conscience de la mortalité infantile et de son importance. » (p.55) faisant germer dans leur esprit la nécessite d’ « imposer un « style de vie nouveau », une « nouvelle morale » » (p.56) à ceux dont les mœurs sont tenues pour responsables de cette situation dramatique que sont les classes laborieuses. Ce changement prenant pour base l’école, vue comme outil d’acculturation propre à instaurer et asseoir la légitimité et le pouvoir du médecin tout en bannissant les traditions populaires et familiales.

 

La suite la semaine prochaine… le temps que vous vous en remettiez…

et moi aussi !!!

Mme Déjantée