Les violences subies par les étudiants en médecine

Dans le numéro 10 de la revue « Ethique et Santé », est paru un article très intéressant intitulé : « Que faire des violences rapportées par les étudiants ? » par Karin Parent.
Médecin et enseignante des soins palliatifs, elle a proposé à ses étudiants (entre 21 et 23 ans) un exercice de rédaction centré non pas sur les patients, mais

« centré sur la reconnaissance de l’étudiant comme personne, avec son histoire, ses expériences de soin personnelles ou professionnelles, son affectivité, son désir d’exercer une médecine porteuse de sens, et ses pleines capacités réflexives à nourrir pour qu’il les développe »

J’hésitais à publier ce billet sur les Vendredis Intellos, et puis, finalement, il m’est apparu que la formation des professions de santé étaient bien au cœur des problématiques qui sont souvent évoqués ici :

  • L’éducation, la formation des « enfants ». Oui, ce sont des grands enfants, mais n’oublions pas que leurs premiers stages en milieu médical a lieu à l’âge de 19-20 ans
  • La pratique des soignants. Cette pratique se construit avec l’expérience, lorsque les médecins, infirmier-e-s, sage-femmes sont en activité. Mais elle se construit avec le cadre qui a été défini pendant les études.

Alors voilà. Lorsque K. Parent a lu ces mémoires, elle ne s’attendait pas à cela :

« Ce qui s’exprimait-là, sur des sujets variés, était un vécu de violence si fort qu’après avoir lu la moitié des écrits, poursuivre la lecture m’est devenu insupportable« .

Pourtant, en soins palliatifs, on doit en voir de la violence ! La violence du patient qui va mourir, de celui qui souffre, sans autres horizons que celui de sa fin.

C’est que, pour l’auteure, la violence que subit ces étudiants est de 2 types :

  • Le premier correspond à une violence inévitable, inhérente au métier de soignant : la souffrance du malade, sa nudité, sa vulnérabilité; la transgression des interdits sociaux :le médecin doit voir le corps nu, le toucher, sonder l’intimité…
  • Le second correspond à une « surviolence« . Une violence évitable, injustifiable : la maltraitance, « l’abus de pouvoir sur le patient vulnérable« 

Vous aurez bien compris qu’il ne s’agit pas ici de bizutage ou de violence par les pairs au cours de beuveries organisées par les bureau des élèves. Lors de sa formation, le futur soignant doit apprendre à supporter la souffrance d’autrui, sa finitude. Mais trop souvent, c’est au cours de ces mêmes études qu’on leur demande de transgresser leur propre éthique, et de blesser, humilier, les patients.

Une situation, à la fois banale, et à la fois terrible est décrite :

En deuxième année, les étudiants n’ont pas 20 ans. Un chef de service emmène un petit groupe d’étudiants dans une chambre. Il demande à la patiente de se mettre à quatre pattes, lui enlève son sous-vêtement et dit aux étudiants : « Entraînez-vous au toucher rectal, je reviens dans dix minutes ». Le médecin parti, les étudiants se regardés, se sont excusés, ils ont rhabillé la patiente et ils sont sortis.

Il n’y pas d’autres témoignages dans cet article, qui ressemble plutôt à un acte de colloque par ailleurs. Mais il est aussi question d’une jeune étudiante qui est témoin d’actes de maltraitance relevant du pénal…

K. Parent évoque le terrain qui permet ces maltraitances ces abus de pouvoir : intrinsèquement, la nature de la relation entre le médecin et son patient est « asymétrique » : l’un a l’ascendant sur l’autre. Cette situation est propice aux abus de pouvoir, mais, normalement, l’éthique et la déontologie du soignant permet d’éviter totalement ces dérapages. L’institution médicale (l’hôpital, l’Ordre des médecins, …), en exerçant une autorité directe sur les médecins (on retrouve aussi une relation « asymétrique »), doit aussi jouer un rôle fondamental de régulation de ces abus, pour les sanctionner, et les supprimer. Hélas, les expériences telles qu’elles ont été communiquées ne montrent pas une régulation effective…

Dans cet article, l’auteure semble démunie contre ces violences inutiles, qui forgent l’éthique dans la pratique de ces futurs médecins. Et elle relate comment l’institution se refuse à prendre en main ce problème, en permettant par exemple aux étudiants d’en parler entre eux, ou d’en parler avec leurs enseignants. Et, comment, lorsque les étudiants sont témoins à des situations choquantes d’abus de pouvoir des soignants, et qu’ils en parlent, on se contente de les changer de service, sans que les auteurs de ces violences.

Les solutions proposées sont pourtant simples, et consistent en permettre aux étudiants de communiquer entre eux, et avec leurs supérieurs. Il s’agit aussi de prendre en compte leurs témoignages, et d’agir sur les établissements et services qui se rendent coupables de violences sur les patients. Hors, pour l’auteure :

« La loi du silence est très puissante dans le milieu du soin. (…) Les institutions n’ont pas le courage pour cela »

La route est donc longue pour voir des changements ô combien nécessaires de la part des hôpitaux et universités de médecines…

Mais au fait, les patients, c’est nous, nos enfants, nos femmes. Les violences que nous subissons, et dont nous témoignons parfois, les abus de pouvoir, les humiliations, en particulier pendant les grossesses et autour de la naissance, prennent naissance dans la formation des soignants. Finalement, la perte de tout sens éthique dès les premières années d’études médicales, à cause de violences inutiles sur les patients qui ne sont jamais dénoncées… N’est-ce pas l’acte premier de cette tragédie de la perpétuation de la violence médicale ?

En écrivant ces quelques lignes, je pense à un billet de JADDO, dans lequel elle se souvient, étudiante, après avoir été témoin d’une humiliation « ordinaire » de se dire: « N’oublie pas, n’oublie pas, n’oublie pas… ».

Vous pouvez aussi lire le billet de mon blog, avec un angle de vue légèrement différent.

Mr Pourquoi

9 réflexions sur “Les violences subies par les étudiants en médecine

  1. La violence subie par les patients ne serait-elle pas aussi – en partie – la conséquence des violences subies par les étudiants eux-même, au cours de leurs études? Le système de formation des futurs médecins devrait aussi être revu, dans le but d’améliorer la prise en charge de ceux qui sont malades. Car j’ai le sentiment qu’en France, les études de médecine sont une école de l’humiliation: humiliation du patient/humiliation de celui ou celle qui apprend. En gros, on finit par faire subir aux autres ce qu’on a soi-même subi…

  2. Dans un de ses livres, Martin Winckler dit que durant les études de médecine, « on n’apprend pas l’humilité, on apprend l’humiliation. » Je crois que ce système ne se limite pas aux études de médecine. Toutes les formations de pouvoir : classes prépas etc. sont construites sur ce modèle. C’est d’autant plus prégnant dans le domaine du soin qui est celui où la compassion et l’écoute devraient être au coeur de la pratique, mais c’est toute la formation des élites qu’il faudrait revoir. Tout le système actuel promeut la servilité vis-à-vis des forts et le mépris des faibles.

  3. Pingback: La violence durant les études médicales | Pourquoi le ciel est bleu…

  4. Mon compagnon a changé de section quand il a vu quels étaient les autres étudiants a avoir réussi leur première année de médecine. Les « pires », au sens éthique (ceux qui trichent, empêchent les autres d’étudier, les plus violents, dédaigneux, brefs…).
    Clairement, l’humanité ne fait pas partie des qualités requises pour soigner.
    Au secours.

    • Ce qui est aussi très souvent dénoncé, c’est que les enseignements sont complètement tournés vers la réussite des « épreuves classantes nationales », qui sont le passage obligé vers l’internat, et les spécialités médicales. Enseigner la déontologie, l’éthique n’a pas vraiment la place dans un tel cursus. Au secours, comme tu dis.

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