Une fois n’est pas coutume, j’ai le très grand plaisir de vous proposer ce mois-ci une deuxième contribution invitée pour revenir sur le « buzz » qui eu lieu sur twitter il y a quelques semaines autour du hashtag #payetonuterus. Des dizaines de femmes sont alors venues témoigner des violences médicales qu’elles avaient pu subir (contraception, suivi, grossesse, avortement, etc…) au cours de leur vie, parce qu’elles étaient en position de faiblesse (comme tout patient en demande de soin) mais aussi parce qu’elles étaient femmes, d’où l’intitulé du hashtag.

La thématique des violences médicales et obstétricales a très souvent été abordée sur les Vendredis Intellos que ce soit au travers des revendications pour plus de respect au moment de l’accouchement, pour la dénonciation de pratiques obsolètes, inutiles et/ou dangereuses lors de celui-ci (comme ici ou encore ici), pour le droit à la diffusion d’informations impartiales et sans pression morale, pour le droit à l’IVG ou à la stérilisation définitive ou encore dans les questionnements sur la naissance et la reproduction de ces violences médicales.

MWAujourd’hui, pour revenir sur ce mouvement spontané (et sur l’agressivité que celui-ci n’a pas manqué de susciter chez certains médecins qui se sont sentis jugés dans leurs pratiques), nous avons l’immense plaisir et honneur d’accueillir un auteur dont la pensée a nourri la création des Vendredis Intellos et qui apparaît pour nombre d’entre nous comme le pionnier de la dénonciation des violences médicales en France. Il s’agit bien entendu du Dr Marc Zaffran, plus connu sous son nom de plume Martin Winckler à qui je laisse donc la parole.

Le volcan

Imaginez : vous marchez dans la rue et, brusquement, sans que vous l’ayez vu venir, vous vous retrouvez par terre. Vous avez mal aux fesses ou aux genoux, et vous vous sentez confus.e, mortifié.e.

Quelqu’un vous tend la main et vous aide à vous remettre debout.

Parfois, vous vous relevez tout.e seul.e. Vous y tenez. Vous êtes reconnaissante que ce quelqu’un se soit arrêté et qu’il ou elle attende que vous soyez de nouveau sur pied. Vous le/la remerciez. Parfois, vous avez quand même besoin de son aide. Et parfois, vous ne pouvez pas vous relever du tout, même avec de l’aide, et vous êtes rassuré que ce ou cette passante soit resté.e vous tenir compagnie en attendant l’ambulance.

Mais imaginez que la personne qui se penche vers vous dise :

– C’est de votre faute, z’aviez qu’à faire attention !

– Vous faites n’importe quoi, alors faut pas vous étonner.

– Ah, tant que vous n’aurez pas perdu vingt kilos, faut pas me demander mon aide.

– Vous seriez pas en train de faire vot’cinéma, là ?

– Z’avez mal ? Ah ben oui. Faut souffrir, dans la vie !

– Avant que je vous aide, faut que vous sachiez : c’est soixante euros.

Vous, en entendant ça, vous vous relevez seul.e ou vous vous tournez vers quelqu’un d’autre, et vous vous dites : « Quel connard/connasse. » Au besoin vous le lui exprimez à haute voix. Et vous l’envoyez paître.

A présent, imaginez que vous venez d’entrer chez un médecin et que c’est lui ou elle qui vous parle sur ce ton.

Ce n’est pas seulement con, c’est insupportable, pour trois raisons au moins.

La première c’est que c’est son boulot, de vous aider. Il ou elle a choisi d’accueillir les gens qui se sont cassé la figure (ou risquent de le faire) et ont mal.

La deuxième, c’est parce que vous attendiez de ce médecin des choses simples. De l’attention. Une aide, si nécessaire. Un soutien, s’il ne peut pas plus.

La troisième, c’est parce que quand vous allez voir un médecin, c’est pour aller mieux, ou au minimum, aller moins mal.

L’entendre vous traiter de manière méprisante, menaçante ou insultante c’est, à tous égards, une trahison.

Et vous avez beaucoup de mal à vous lever et partir, comme vous l’auriez fait dans la rue. Le type dans la rue, vous ne le connaissiez ni d’Eve ni d’Adam. Il était là par hasard. Vous ne le reverrez jamais. Le médecin, vous l’avez choisi. Qu’il y en ait dix ou qu’il soit le seul à la ronde, vous avez fait le choix de le voir, lui. (Vous auriez pu aller en voir un autre, ou n’aller voir personne.)

La maltraitance venant d’une personne investie d’une autorité symbolique est très difficile à combattre quand il s’agit d’un médecin, parce que cette autorité, c’est nous qui la lui donnons, en notre for intérieur : nous allons le voir pour lui confier des choses personnelles. Nous y allons parce que nous nous sentons vulnérables. Nous y allons pour nous livrer. Nous lui accordons d’emblée notre confiance.

S’il profite de cette confiance pour nous maltraiter, nous houspiller ou nous insulter, la trahison est totale. Et impardonnable.

Pendant longtemps, les femmes qui se sont fait maltraiter – verbalement, physiquement, ou les deux en même temps, et parfois de manière répétée – par certains médecins (gynécologues ou autres) n’ont pas pu en parler. Etre maltraitée par un médecin, à bien des égards, c’est une terrible humiliation. Parce qu’on va mal, parce qu’on s’est confié à lui et parce qu’il en a abusé. On n’a pas envie de revivre cette humiliation en la racontant. Et comme la maltraitance médicale semble moins grave que les violences par conjoint ou le viol par un inconnu, on se dit : « Y’a des femmes qui vivent pire que ça. »

Personnellement, je pense que ça n’est pas moins grave, mais que symboliquement au moins c’est similaire. Et parfois, quand ce médecin vous impose des attouchements, voire des relations sexuelles répétées, c’est exactement la même chose.

Alors bien sûr, la plupart des maltraitances médicales ne vont pas jusque là, beaucoup restent verbales, mais ce n’est pas une raison de ne rien dire.

Et s’il est absolument justifié de porter plainte contre un patron ou un collègue qui vous harcèle, il est tout aussi justifié de réagir contre un médecin maltraitant.

S’il n’y a pas de « petite parole sexiste » ou « de petite blague sans gravité », s’il n’y a pas de harcèlement moral « excusable » ni de « coup sans importance », alors les paroles blessantes ou méprisantes, les insultes, les fins de non-recevoir, les brutalités par spéculum ou échographie transvaginale interposés, les retraits d’implant sans anesthésie locale, les menaces, le chantage – rien de tout ça n’est supportable de la part d’un médecin. En aucune circonstance. Et il faut le dire.

Jusqu’à l’apparition de l’internet et, plus récemment, des réseaux sociaux, il était difficile de sortir du silence : on pouvait penser que certaines douleurs provoquées par tel examen, tel geste médical étaient « normales » ou, à défaut, acceptables ; on pouvait penser qu’on avait peut être mal compris sa remarque – ou que, ce jour-là, on était « trop sensible » ; on pouvait penser qu’un médecin peut être désagréable, ça ne l’empêche pas d’être compétent.

Eh bien non. Il n’est pas « normal » d’avoir mal quand un médecin vous examine. Il n’est pas « acceptable » qu’on vous parle de manière impolie ou insultante. Et non, un médecin constamment désagréable, hautain ou méprisant ne peut pas être compétent.

Aujourd’hui, des femmes échangent leurs expériences sur des blogs, des forums, des réseaux sociaux. Parfois, l’une d’elles lance un hashtag (#PayeTonUterus) et ça explose. Ça étonne les journalistes, et ça irrite un bon nombre de gynécologues. Mais des témoignages, des cris de rage et de douleur, j’en ai reçu des milliers, depuis quinze ans. Et j’en reçois encore. Alors je suis heureux que la colère se fasse entendre.

Si vous avez affaire à un médecin maltraitant, ne vous laissez pas faire.

Quel que soit le médecin. Homme ou femme. Gynécologue ou autre.

Quand vous entrez dans le bureau d’un médecin, avant toute chose, asseyez-vous et dites-lui pourquoi vous venez. N’acceptez jamais de vous déshabiller sans qu’il vous ait écoutée. N’acceptez jamais de vous faire examiner sans qu’il vous explique exactement ce qu’il va faire, et à quoi ça doit servir. Pour vous examiner ou faire n’importe quel geste, il DOIT vous demander votre consentement : c’est écrit en toutes lettres à l’article Article 36 du code de déontologie médicale (article R.4127-36 du Code de la Santé Publique). 

S’il fait la moindre remarque désagréable, dites-lui calmement qu’il n’a pas à vous parler sur ce ton. S’il ne présente pas d’excuses et prend la mouche, n’hésitez pas une seule seconde : levez-vous, rhabillez-vous et sortez. Sans le payer, bien entendu. Il ne pourra rien dire : il n’a pas fait son travail.

Et en partant, entrez dans la salle d’attente, et expliquez aux autres femmes présentes pourquoi vous partez.

Je sais : toutes les femmes à qui je dis ça n’oseront pas le faire. Mais il a suffi d’une seule Rosa Parks, d’une seule femme noire qui refuse un jour de s’asseoir au fond d’un bus, derrière les Blancs, pour qu’il y en ait ensuite dix. Puis cent. Puis mille.

Les milliers de tweets de #PayeTonUterus ne sont que la partie émergée de l’iceberg.

Je devrais dire : de simples fumerolles au-dessus du volcan.

Les tweets, ça ne fait que chatouiller un peu les oreilles des médecins maltraitants.

Il est temps que ça chauffe vraiment.

Marc Zaffran/Martin Winckler

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