Parce qu’il faut bien que la tête passe !

Soyons honnête, pour une nullipare ou un homme, l’idée même que la tête d’un bébé puisse passer à travers un vagin et une vulve semble tout simplement inconcevable ! Même avec tous les arguments biologiques qui existent (dilatation des tissus et des muscles, relachement des ligaments dus à l’imprégnation hormonale, sécrétion d’endorphines pour supporter la douleur etc…), la tête d’un bébé mesure tout de même entre 32 et 36 cm de circonférence, soit 10 à 11,4 cm de diamètre. Or je vous le rappelle, on dit d’une femme en train d’accoucher qu’elle est à dilatation complète lorsque son col est à 10 cm, c’est-à-dire lorsque l’ouverture entre l’utérus et le vagin justement fait 10 cm de diamètre. Et les os du bassin forment une cylindre coudé dont le diamètre varie entre 10,5 cm sur un axe et 13,5 cm sur l’autre. A cela il faut rajouter les tissus mous et muscles par dessus… Bien bien bien, certes, mais ensuite, le vagin lui-même, tout ça coincé entre les os du bassin, et la vulve ? Les portes sont elles grandes ouvertes ? Pas si simple…

Un récent article d’actualité paru dans la célèbre revue scientifique américaine Science m’en a appris de bien belles à ce sujet, alors je partage avec vous ! Cet article commente une étude scientifique portant sur le cerveau de nos ancêtres australopithèques, elle-même parue en mai dans les Proceedings of the National Academy of Sciences (PNAS, en gros la revue de l’académie des sciences américaine, on ne peut pas faire plus sérieux !).

Le vendredi c’est anatomie

Prenons un peu de recul, et examinons le règne animal (c’est un sujet qui me taraude, car je suis biologiste de formation, et que par ailleurs j’ai proposé un jour un article à Mme D sur les douleurs durant l’accouchement chez les mammifères, mais que pour l’instant je manque de matière :-) Donc, l’article de Science dit (traduction by myself, merci de votre indulgence) :

 

Pour les chimpanzés et autres primates, l’accouchement est relativement facile. Le volume d’un cerveau de chimpanzé nouveau-né est d’environ 155 centimètres cubes (cc), deux fois moins que celui d’un nouveau-né humain, alors que la taille globale de la filière pelvi-génitale (à savoir les os du bassin et les tissus mous) est à peu près la même que chez l’homme.

Pourtant, il ya une grande différence de forme entre le pelvis d’une chimpanzé et celui d’une femme. Alors que le bassin humain s’est considérablement élargi au cours de l’évolution, les exigences de la marche debout ont fortement contraint sa largeur. La bipédie a également conduit à un raccourcissement vertical marqué du bassin, ce qui conduit à ce que les chercheurs appellent le “dilemme obstétrical » : le compromis difficile entre les exigences de la bipédie et la mise au monde de bébés.

 

Dilemme obstétrical, une façon de poli de dire « mais p****n de b****l de m***e, puisque je vous dis que ça fait trop mal, ça passera jamais ! » que pense toute femme au moment de l’expulsion, du moins celles qui ont accouché sans péridurale ou à doses légères.

Alors comment se fais-ce ?! Et bien ça passe, oui ça on le sait toutes. Et c’est grâce aux os de la tête du bébé, qui au moment de la naissance ne sont toujours pas soudés ce qui permet au crâne d’être relativement malléable durant l’accouchement. D’ailleurs, certains bébés naissent avec un crâne aplati ou en forme de pain de sucre, à cause des forceps ou de contraintes mécaniques naturelles mais très importantes et/ou trop longues lors du passage à travers le bassin justement. Témoin de cette tectonique des plaques encore intense, les fontanelles, des petits espaces cartilagineux, souples mais résistants, qui existent entre les différents os du crâne et qui vont peut à peu se solidifier. La taille et la consistance de ces fontanelles sont régulièrement surveillées par le pédiatre durant les premières années de bébé (lorsque j’ai allaité mes filles, je me souviens très bien voir pulser la peau recouvrant la fontanelle principale de leur crâne, en rythme avec leur succion !) L’article explique aussi :

 

Grâce à ces os du crâne non fusionnés, la tête du bébé peut être moulée pour s’adapter à travers le canal pelvien, mais aussi s’adapter à la croissance explosive du cerveau qui a lieu après la naissance : dans les premières années de la vie, le cerveau humain double de taille, passant d’environ 400 cc à 800 cc, et atteint finalement une moyenne chez l’adulte d’environ 1400 cc.

 

Chez l’être humain, ces fontanelles sont en général soudées après l’éruption des premières molaires, vers 2 ans (voir ici pour une très bonne explication de la croissance du squelette humain).

Lève toi et pense

Bon alors ce que révèle l’étude scientifique de PNAS, c’est que l’existence de ces fontanelles est retrouvée chez nos ancêtres de l’espèce Australopithecus africanus qui, (faut-il que je le rappelle ?!) vivait il y a 3 millions d’années, du côté de l’Afrique du Sud. Chez un jeune australopithèque de 4 ans, les chercheurs de l’Université de Floride ont retrouvé les traces de fontanelles encore non soudées. Pourtant le cerveau de cet enfant mesurait 400 cc contre seulement 460 cc chez un australopithèque adulte…

Comment se fait-il que la fusion des os du crâne ait été plus tardive chez nos ancêtres alors que leur cerveau était plus petit ? Les chercheurs avancent les hypothèses suivantes :

–  le dilemme obstétrical a existé dès que notre ancêtre est devenu bipède, il y a 4 à 6 millions d’années
–  une croissance post-natale très importante du crâne même à ce niveau d’évolution de nos ancêtres
–  la réorganisation du néocortex frontal, dans l’évolution des hominidés, et les contraintes pelvi-génitales (bon là je vous la fait courte !)

En gros, si le crâne de nos enfants est déformables à la naissance, c’est parce que nous, femmes, nous marchons debout, et qu’une fois adultes, nous avons un gros cerveau ! (ok je vous l’accorde, les hommes aussi, mais eux ils n’accouchent pas, point barre.)

Damien Hirst, For Heaven’s Sake (2008). Platinum, pink and white diamonds, 85 x 85 x 100 mm. © 2011 Damien Hirst and Hirst Holdings Ltd, DACS 2011

Ostéopathie crânienne chez le nourrisson

Sauf que ces déformations durant l’accouchement posent parfois problème après.

En cherchant des infos pour ce post, je suis tombée sur le site de la Chambre Nationale des Ostéopathes, où on trouve un article très détaillé à propos des questions du quand et pour quel bébé faire appel à un ostéopathe :

 

Selon Viola Frymann*, uniquement 10% des enfants naissent sans lésions ostéopathies crâniennes.
Il y a donc indication à réaliser des actes d’ostéopathie dans 90% des cas.
Ils sont particulièrement indiqués dans les cas suivants :
– utilisation de forceps ou de ventouses.
– accouchements dystociques.
– accouchements très longs.
– inversements, césariennes, ou accouchements trop courts au cours desquels le crâne n’a pas pu se modeler.

Puis il évoque les pathologies que peuvent entraîner ces lésions : ça va des problèmes de transit ou de troubles du comportement, au strabisme, difficulté de succion, spasme de l’estomac, et même paralysies. L’article fait d’autant plus peur qu’ensuite il laisse à penser que si ces lésions ostéopathiques du crâne ne sont pas prises en charge avant l’âge d’un mois, ensuite ce sera d’autant plus difficile et aléatoire d’intervenir.

Hum hum, est-ce que cela signifie que 90 % de nos enfants ont le crâne mal fichus ??

* Je découvre plus tard que cette Viola Frymann, est « considérée par ses pairs comme une légende vivante du leadership médical ostéopathique » mais qu’elle a aussi été condamnée à deux reprises aux États-Unis, en 1991 et 2000 pour des « actes répétés de négligence grave et d’incompétence » et pour des traitements inappropriés sur deux nourrissons sauvés in-extremis. Ouch…

Alors je répète la question, pour quel bébé et quand faire appel à un ostéopathe ?

Pas facile d’y répondre. Et ce d’autant plus que selon Jean-Michel Pedespan, neuropédiatre au CHU de Bordeaux, dans un Point de vue paru dans Le Monde du 8 août 2011 :

Si ces précautions étaient prises, on ne présenterait pas l’ostéopathie crânienne comme une acquisition innovante et mal comprise des médecins… Il s’agit d’une technique ancienne, utilisée aux USA depuis la première moitié du XXe siècle, qui a montré ses limites comme ses dangers.

…/…

L’efficacité de cette méthode n’a jamais été mesurée et évaluée dans des conditions sérieuses depuis 1930. Elle peut être dangereuse quand elle écarte certains enfants de traitements médicaux ou chirurgicaux appropriés (déviations rachidiennes du nourrisson, torticolis…) et dans des situations marquées du sceau de l’organicité.

Le débat autour de l’ostéopathie crânienne chez les nourrissons est vif donc, et même au sein des ostéopathes !  Pour celles qui veulent creuser la question, sur le site canadien indépendant Passeport Santé, on trouve un article qui présente une vision assez complète du débat : les paradigmes sur lesquels repose l’ostéopathie crânienne (le mouvement respiratoire primaire et sa correction pour traiter et prévenir les maux), ses applications thérapeutiques et les quelques études scientifiques qui ont été menées à ce sujet, mais aussi ses controverses et ses courants.

Et j’espère qu’après m’avoir lue, vous n’avez pas trop mal à la tête ;-)

Miliochka

6 réflexions sur “Parce qu’il faut bien que la tête passe !

  1. Merci pour cette contribution fort intéressante!

    Voir un ostéopathe après la naissance peut parfois être utile pas forcément pour le crane mais pour regarder les cervicales. Plusieurs parents m’ont dit que cela avait soulagé bébé : coliques, régurgitations… Et l’ostéo ne fait pas de grandes manipulations, cela se fait du bout des doigts ! Pour en trouver un bon le bouche à oreilles peut être très utile !

    • Ah non je ne connaissais pas, mais ça illustre parfaitement mon post ! Et suis bien contente de ne pas avoir connu cette image avant mes deux accouchements ;-)
      En même temps, suis bien contente aussi d’être bipède et pensante… !!

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