Ah, l’évolution !

Que les choses soient claires dès le départ, je ne suis pas certaine qu’une fille et un garçon, ce soit exactement la même chose à la morphologie des parties génitales près.

J’avoue que je ne serais pas complètement étonnée que biologiquement, quelque chose d’autre nous différencie. Quelque chose qui fait que, globalement, les filles s’intéressent encore naturellement un poil plus aux poupées et les garçons aux constructions. Un moyen qu’a trouvé l’évolution pour nous faire arriver où nous sommes, grâce à des femmes qui ont l’instinct maternel et des hommes qui vont faire on ne sait pas trop quoi d’ailleurs, mais apparemment c’est en rapport avec des constructions Légo.

Nous nous sommes intéressés à des bébés âgés d’un jour. Nous leur avons proposé de regarder soit un objet mécanique, soit un visage, et avons filmé le temps d’observation de chacun des deux objets par l’enfant. Nous avons constaté que plus de garçons s’attardaient sur l’objet mécanique, et plus de filles s’attardaient sur le visage. À un jour de vie seulement, c’est à dire, avant même l’introduction de jouets, avant que la culture n’ait pu introduire un quelconque biais, ou préjudice.

[Simon Baron-Cohen, psychologue – entrevue à voir ici, vers la minute 23, traduction libre]

Ou pas après tout. Je me permets une mise à jour de l’article suite à un lien vers un article qui m’a été glissé à l’instant.

Paola Escudero et ses collègues ont recruté 24 garçons entre quatre et cinq mois, et autant de filles du même âge. Ils ont également fait participer 48 adultes des deux sexes à l’expérience. Le principe est simple et fréquemment utilisé dans les recherches menées sur les bébés : on suit leur regard en considérant que ce qui est épié le plus longtemps est préféré par les nouveau-nés.

Ainsi, des photos de visages d’hommes, de femmes, de jouets, de poupées, de voitures et de fours ont été présentées à tous les participants. Qu’en ressort-il ?

Tous les groupes manifestent plus d’attention pour les visages réels, surtout pour ceux du sexe opposé (même chez les tout-petits). Quant aux objets, les poupées fascinent davantage les bébés que les voitures, y compris chez les garçons. Pas de différence liée au genre dans la petite enfance, donc.

[Futura Science]

Bref, difficile de faire la part des choses quand les études n’indiquent pas les mêmes résultats. (Instant parano : à moins que ça ne soit lié aux financements derrière tout ça ? Fin de l’instant parano.) Perso, ça me donne un peu envie de faire une virée à la maternité du coin pour vérifier tout ça de mes propres yeux.

Mais en même temps, est-ce que c’est important ?

Imagine un peu, si à un an de vie, tu annonçais à ta famille que tu adores la glace à la vanille, et qu’ensuite on ne te proposait plus que de la glace à la vanille. Pour le restant de ta vie. Et qu’on n’imaginait d’autre futur pour toi plus tard que vendeur/se de glace, à la vanille, bien entendu.

Ce que je veux dire, c’est qu’outre un éventuel aspect design et évolution, il y a quand même toute une dimension culturelle et sociétale qui entre LARGEMENT en jeu dans la différenciation homme-femme que l’on observe aujourd’hui, qu’aucune « étude scientifique sur les bébés » du monde ne saurait cautionner. Et je crois bien qu’on est en train de toucher à la fameuse notion de « genre » qui fait couler tellement d’encre.

Genre : [U]n système de bicatégorisation hiérarchisée entre les sexes (hommes/femmes) et entre les valeurs et représentations qui leur sont associées (masculin/féminin).

[Introduction aux études sur le genre, de Laure Bereni, Sébastien Chauvin, Alexandre Jaunait, et Anne Revillard]

(Et puis je sais pas toi, mais je nous sens quand même assez loin de l’homme préhistorique. Pour te dire, chez moi il y a l’eau courante et un micro-onde qui sait me préparer un mitonné de pintade et ses ravioles aux cèpes en quinze secondes chrono… Je crois donc de toute façon qu’on peut aujourd’hui se détendre un peu et à commencer à élargir notre champ de possibilités.)

Attention, personne ne veut l’indifférenciation sexuelle…

Seulement je pense, il faut arrêter d’en rajouter une couche et de se mettre des barrières, des cases bleues pour les garçon ou roses pour les filles (le rapport entre les couleurs et l’évolution ?), des poupées et des poneys à paillettes d’un côté, des Power Rangers et des camion-missiles destructeurs de l’autre. Mine de rien, l’idée de cet article m’est quand même venue de mon fils de deux ans me demandant de lui acheter une poussette rose.

On est allés trop loin.

On a extrapolé la petite inclination naturelle des uns et des autres, s’il en est, pour s’enfermer dans une idée de ce que l’on doit être dans la vie selon le sexe annoncé à l’échographie des cinq mois. Et peut-être que la continuation logique de l’évolution de l’espèce humaine, c’est ça : se détacher de ce qui a permis la survie de nos ancêtres pendant un temps, pour se rendre compte qu’on peut maintenant se permettre d’être CE QUE L’ON VEUT. On n’est plus en mode survie, mais en mode civilité, politesse, intelligence. On débat.

Et ça ne veut en aucun cas dire que l’espèce humaine en est au début de sa fin. Parce qu’une femme, qu’elle soit secrétaire médicale ou ingénieure informaticienne, ça aime le sexe de la même manière. T’inquiète, des êtres humains, il va continuer à (trop) y en avoir.

Et l’éducation dans tout ça ?

Moi et le père de mes enfants étant en accord total sur tous ces sujets, nous avons donc décidé qu’on laisserait nos enfants faire comme bon leur semble. Et que, entre autres, le féminisme était quand même une chouette cause à défendre.

Les études montrent qu’il y a dans les albums de jeunesse destinés aux enfants de moins de 9 ans deux fois plus de héros que d’héroïnes et dix fois plus quand les personnages sont des animaux « humanisés ». L’écart le plus important entre le nombre de héros et d’héroïnes existe dans les livres pour les 0-3 ans. Il s’amenuise ensuite pour s’inverser dans la littérature proposée aux enfants de plus de 9 ans, âge auquel les fillettes, qui à l’instar des garçons préfèrent des personnages principaux de leur propre sexe, commencent à vraiment choisir les livres par elles-mêmes. Et comme ce sont de plus grandes lectrices que les garçons, le marché s’adapte. Mais pour les enfants jusqu’à l’âge de 9 ans, les adultes restent largement prescripteurs. Beaucoup considèrent comme « neutre » un livre dont le héros est masculin et pensent qu’il conviendra autant aux garçons qu’aux filles, alors qu’une héroïne ne saurait intéresser un petit garçon.

[Association Adéquations, Guide pratique de la boîte à outils 20 albums de jeunesse pour une éducation non sexiste]

Être féministe concrètement, ça veut dire qu’on est pour l’égalité des droits et des opportunités pour les hommes et les femmes, mais dans nos sociétés machistes ça revient à prendre le parti de la femme.

On est donc pour que Madeleine puisse être pilote de chasse un jour si elle veut, ou plombier, ou Power Ranger. Et on n’a aucun problème à lui coller les habits récupérés de Paco et à lui mettre dans une main un tractopelle, et dans l’autre un ballon de foot deux fois plus grand qu’elle.

Ouais, à Madeleine, son futur est assuré.

Et puis un jour, on est allés dans un magasin de jouets avec Paco pour lui choisir quelque chose.

Paco a trouvé cette poussette. Un truc dégueulasse, rose du tissu à fleurs jusqu’aux roues en plastique moche, en passant par les petits noeuds de fixation. Il a trouvé cette poussette, et il a commencé à s’amuser avec elle dans le magasin. On l’a sommé de la ranger. Il a fallu qu’il réitère en fait deux ou trois fois pour qu’on se rende compte que depuis le début, on lui colle sous le nez des boîtes à outils, des bateaux et des petits trains, alors que clairement ce qui l’intéresse, c’est cette poussette moche rose.

Aïe. Ça fait quand même plutôt mauvais genre pour des gens qui remplissent ton feed Facebook d’articles dénonçant le sexisme dans nos sociétés machistes en mal d’émancipation.

On a bien sûr acheté la poussette. Mais ça m’a laissée pensive.

Je me trompe peut-être, mais la nécessité pour les femmes de pouvoir accéder aux fonctions traditionnellement occupées par des hommes me semble aujourd’hui, en France, relativement bien intégrée. (Du moins je l’espère.) Et avec elle la normalité de voir une petite fille jouer aux voitures, pêcher, ou passer l’après-midi avec son train électrique.

À l’inverse, l’importance pour les hommes de pouvoir s’adonner, sans honte, à une activité classifiée comme « de fille » et plus tard s’orienter vers un métier à représentation largement féminine, complètement OCCULTÉE. Et pourtant, c’est le pendant absolument nécessaire au combat des femmes pour l’égalité des droits ; sans ça, les femmes qui accèdent aux filières masculines resteront une exception, elles seront celles qui ont échappé au secrétariat, au cabinet de psychologue ou à la caisse du supermarché. Et elles continueront à être discriminées.

Comme quoi, cette histoire de sexe fort et de sexe faible ça nous suit.

Comme si c’était l’évolution logique qu’une femme prétende faire des trucs d’homme, mais que l’inverse serait presque perçu comme une régression.

Tu vois je ne pensais jamais être le genre de personne à avoir de problème avec la dé-sexualisation des jouets.

Mais ce jour de poussette rose, ça m’a fait bizarre. Pas que je croyais que ça allait le « transformer » en homo, LOIN DE LÀ (j’ai pas 95 ans). Juste, il y a eu comme un air de « c’est pas naturel ». Et même si je déteste l’idée d’avoir eu ce sentiment, je dois avouer que je l’ai eu quand même.

Alors pour te dire, je conçois que tout ça demande un effort. Mais, il faut qu’on le fasse, cet effort. Parce que parfois ce que l’on ressent au fond de nous comme étant « bien » ou « mal », « naturel » ou « contre-nature », c’est juste du gros n’importe quoi qui mérite d’être questionné, et correctement.

Alors viens, on va se promener dans la rue.

Avec des pancartes marquées : OUI aux poussettes roses pour les garçons, OUI aux danseurs étoiles, OUI aux hommes sage-femme, OUI aux coiffeurs hétéros.

Et bien sûr, ça vaut le coup de le rappeler, oui aux tractopelles dans les petites mains de Madeleine, oui aux femmes président de la république, et oui aux astronautes à zézette. Même si ça, (normalement,) on le sait déjà.

Joana (BabyFactory)