Je suis très heureuse de pouvoir apporter ma contribution aux vendredis intellos et encore plus en ayant l’opportunité de parler de ce livre et de tout ce qu’il soulève.

La domination adulte, l’oppression des mineurs, de Yves Bonnardel est sorti il y a à peine un mois et pour moi c’est la preuve qu’en tant que parent, je commence à rattraper le train en marche. En effet, j’avais déjà beaucoup lu sur l’enfance, l’éducation et le métier de parent avant de tomber dessus, par un heureux hasard comme c’est souvent le cas pour les lectures enrichissantes. Je commence à me sentir vraiment à l’aise dans ces domaines voisins et voilà pourquoi je me sens autorisée à en parler ici. :)

Il me semble important, avant de commencer à vous parler du livre, d’expliquer pourquoi être parent est pour moi un exercice si subtil, si compliqué. Je n’ai eu ni parents, ni substitut de parents. La parentalité était (et est encore largement) une Terra Incognita pour moi. Aussi je suis très consciente de pouvoir faire d’innombrables erreurs, ce qui explique mon orgie de livres à ce sujet.

En effet, ce livre parle étonnamment aussi bien au parent que je suis qu’à l’enfant que j’ai été et à l’enfant qui est le mien. Il dresse un constat d’une variable que je retrouve quotidiennement dans ma relation avec mon fils : un conflit né d’une tentative constante (et involontaire) de domination. Oui, l’enfant, me semblait t-il, doit rester à sa place, être MON enfant, m’obéir à moi plus qu’à toute autre. Tant que je ne remettais pas ce dogme en place, les choses n’allaient pas si mal. Il y avait des frictions, c’est vrai, mais tout autour de moi (sauf mon fils donc) me disait que j’avais raison. Depuis que j’ai lu Yves Bonnardel, le sol s’est dérobé sous mes pieds. Non, me dit-t-il, je n’ai pas le droit de manquer de respect à mon fils, d’écorcher sa dignité humaine et d’ailleurs, non, il n’est pas si évident qu’il soit MON fils, ma chose.

Yves Bonnardel nous dresse d’abord une liste (non exhaustive) des luttes des mineurs, soigneusement passées sous silence, et nous verrons pourquoi. Que ce soit pour améliorer leurs conditions de vie, avec l’exemple frappant du droit au travail, pour participer (car ils en ont bien évidemment le désir, au même titre que n’importe qui) de participer à la marche du monde, avec le récit des enfants résistants, en France ou en Allemagne, lors de la seconde guerre mondiale ou, tenez vous bien, pour fuir leur famille. « Fuir leur famille ? » pensais je. « Eux, qui ont la chance d’en avoir une ? ». C’est que la famille, de simple organisation initiale sans prétention au début de l’histoire humaine a été placée sous la tutelle, la protection et la surveillance de l’État, un processus qui a pris des siècles et s’est accéléré dernièrement, pour aboutir à l’ASE, ex DDASS, par laquelle, comme tant d’autres, je suis passée, faute pour l’État d’avoir réussi à me maintenir dans ma famille. Oui, le choix des mots est important. Car si on m’avait demandé mon avis, j’aurai mis l’État dans l’embarras, ne souhaitant ni être maintenue dans ma famille, ni dans aucune autre institution. J’aurai demandé à être libre, tout simplement.

De là, on arrive à la seconde partie du livre, qui parle de la condition enfantine et des droits des enfants, dont celui à être instruit, qui a des conséquences fâcheuses pour bien des écoliers. À partir de l’étude et de la reformulation de ce droit, et je crois que bien des parents en sont conscients, on peut en effet déconstruire toute une vision autoritariste de l’enfance pour, non pas en fonder une nouvelle, mais donner au contraire la chance aux enfants de s’insérer dans le monde de la façon dont ils le désirent, en s’instruisant comme ils en ont envie, selon les modalités et la méthode qu’ils préfèrent.

L’auteur nous explique en effet l’habile schisme qui, pour avoir prétendu protéger les enfants du monde, a fini par en faire des petites choses à éduquer, à isoler dans des asiles d’enfants, des écoles, des crèches, des maternités, à bêtifier, et continu de mordiller patiemment chaque parcelle de leur liberté pour l’occuper, la contrôler, veiller à ce qu’elle ne dérange pas notre monde.

Notre monde n’aime pas les enfants, tel est mon triste constat personnel.

La dernière partie du livre opère un glissement, qui m’a fait passé de mon statut de parent indignée au nom de mon enfant (attitude contemporaine somme toutes, pleine de (p/m)aternalisme), à un statut d’enfant indigné parmi tant d’autres par le temps gâché de mes premières années, de ma merveilleuse énergie, de mon tempérament, si fort. En effet, il traite, avec tout le sérieux nécessaire, des luttes des mineurs pour faire reconnaître leurs droits et accéder à l’autonomie, eldorado tant désiré et finalement si banal. L’exemple des syndicats d’enfants travailleurs en Amérique du sud est une bouffée d’oxygène, et un exemple pour nous autres en occident, de la longitude que nous devrions laisser aux enfants pour vivre leur vie. Ce enfants là s’organisent entre eux à la façon des black panthers (mais sont pacifiques), luttent contre le monde adulte, manifestent dans la rue face aux forces de l’ordre, et contre l’autorité absolue même, l’Unicef, pour mettre du pain sur leur table. Et loin de fuir le travail, ils veulent au contraire qu’on leur reconnaissent les mêmes droits que les adultes, afin de pas être exploités, sous payés, manipulés. Ils réclament des conditions de travail décentes. Impensable dans nos pays.

Yves Bonnardel finit son analyse de la condition des enfants, crue et sans fard, par un constat inverse qui a fini de casser le bel édifice pédagogique que j’avais commencé à construire avant même la naissance de mon fils : oui, un enfant à le droit d’être irresponsable, comme nous tous, adultes, devrions l’avoir. Oui, ils sont handicapés, et comme tous les handicapés, temporaires ou définitifs, ils ont droit à un respect équivalent aux valides. Ils sont humains, pourrait on dire pour conclure. Il n’y a RIEN à ajouter. RIEN à retirer.

En somme, un ouvrage anti-pédagogique que je rangerais davantage au rayon des manuels de guerre, tant il détruit d’idées, d’attitudes et de comportements pré-conçus et peux nous amener à  remporter la plus belle guerre qui soit : celle pour la libération des enfants. Quelque soit leur âge. Parce que nous devrions tous avoir la chance d’être d’adultes enfants.

Voici pour finir un extrait que je trouve particulièrement éloquent, parce qu’il éclaire sous une perspective inattendue le poncif qui règne en maître sur la vie de bien des parents, et chose assez cruelle, encore plus sur ceux qui sont les plus désireux de « bien faire ».  Il est ancré si subtilement dans notre société qu’il devient en fait difficile d’y échapper et il se résume parfaitement en une jolie phrase : « Je veux que mon enfant soit heureux ».

Une évidence ? Pas si évident en fait ;)

Enfin, notons également que la CIDE (ndr Convention Internationale des Droits de l’Enfant) se préoccupe du « bien-être de l’enfance », elle s’inquiète du fait que les mineurs puissent bénéficier d’une « enfance heureuse ». C’est pour cette raison que « l’enfant » doit bénéficier des « droits et libertés qui y sont énoncés ». Un tel paternalisme est lui aussi tout à fait contraire à n’importe quelle déclaration des droits humains, où le droit à mener sa vie comme on l’entend est affichée sans nulle exigence restrictive d’une « vie heureuse ». Qu’est-ce qu’une vie heureuse, et qui en jugera, si ce n’est au premier chef le principal concerné ? Si par exemple les féministes dénoncent le mariage et la famille comme des institutions oppressives pour les femmes, elles se battent néanmoins pour le droit au mariage pour toutes ! Ce qui importe alors est le libre choix de chacun, la possibilité de mener sa vie à sa guise, d’expérimenter, se tromper, bifurquer, de réaliser ou non ses rêves, etc.

Dans les textes concernant les mineurs, l’impératif affiché d’œuvrer au bonheur de l’enfant permet sa mise sous séquestre, d’ériger en clôture une protection généralisée.

Aqueuse