Voici comment un simple bouquin reçu pour la Bibli des VI me replongea en moins de temps qu’il faut pour le dire dans mes questionnements de lycéenne…qui auguraient fort bien -même si je l’ignorai à l’époque- la suite de mon errance intellectuelle.

A cette époque là, j’écoutais intensivement les Pink Floyd (non d’abord parce que j’étais sensible à leur génie musical mais avant tout parce que j’avais un mec à draguer, MrD en l’occurrence) et comme je n’étais pas capable de m’intéresser à quelque chose sans virer à l’obsession j’avais entrepris la traduction de l’intégralité des chansons de leur répertoire (ce qui me fit incommensurablement plus progresser en anglais que n’importe quel manuel poussiéreux qui faisait invariablement du Melting Pot son hors d’oeuvre, de Shakespeare son plat de résistance, le tout saupoudré d’un peu de Malcolm X et de Ellis Island avant de finir par la douceur ensoleillée des Wetbacks.)

L’une d’entre elle me plut tant que je décidais par une après midi pluvieuse de consacrer toute la correction d’un devoir de maths un peu trop brillamment réussi pour être intéressante à adapter son propos à ce que je pensais devoir écrire du système scolaire actuel. Ceci me valut les deux seules heures de colle de toute ma scolarité, punition que je supportais avec la résignation et la fierté d’une martyre de la vérité. La prof ayant banalement décidé de prendre pour elle ce qui me semblait pourtant relever d’une profonde universalité.

Cette chanson, évidemment, c’est celle-ci
Soit pour ceux qui n’auraient pas tout entendu des paroles (avec ma traduction approximative):

We don’t need no education.                       Nous n’avons besoin d’aucune éducation
We don’t need no thought control.           Nous n’avons besoin d’aucun contrôle de la pensée
No dark sarcasm in the classroom.         Pas de sombre sarcasme dans la salle de classe.
Teacher leave them kids alone !                Professeurs, laissez les enfants tranquilles!
Hey teacher, leave the kids alone !          Hé professeurs, laissez les enfants tranquilles!

All in all it’s just another brick in the wall.      Tout compte fait ce n’est juste

                                                                                             qu’une autre brique dans le mur.

All in all you’re just another brick in the wall.   Tout compte fait nous sommes

                                                                                               juste une autre brique dans le mur.

Bref, je pense que vous pouvez vous imaginez comme elle était contente (et flattée surtout) ma prof de maths. Les années ont passé mais les questions sont toujours là… à quoi sert l’école sinon à permettre le façonnage des jeunes esprits pour qu’ils assurent la reproduction de la société ?

Ce façonnage est nécessaire pour « vivre ensemble »? Ce façonnage est souhaitable car il sous tend « l’égalité des chances »? Mais de quelle « chances » parle-t-on? Celles de « réussir »? C’est à dire d’accéder aux plus hautes sphères de la société, aux sphères du pouvoir… le façonnage serait-il donc nécessaire pour permettre à la société de produire ses élites…(et ses esclaves, car l’un ne va pas sans l’autre)? Ou tout simplement la chance d’avoir un emploi? C’est à dire de pouvoir être « utile » à la société? Le façonnage serait-il alors l’anti-chambre d’un esclavagisme généralisé?

Je suis dure pensez-vous? Peut être… Idéaliste? Sûrement… Extrémiste  Pas tant que ça… disons que je préfère le fatalisme conscient à l’indifférence aveugle…et tant qu’à confier mes affreux à l’école de la République, autant le faire en tout connaissance de cause…

En piètre tribun que je suis (et en grande bavarde aussi qui préfère raconter sa vie que présenter le bouquin que vous attendez tous), je vous renvoie à l’excellente « conférence gesticulée » de Franck Lepage dénommée « Inculture(s) »…

[youtube http://www.youtube.com/watch?v=ACxRSSkYR_k]

(quand je serais grande, je serais Franck Lepage…)

Voilà, donc… revenons à nos moutons… J’ai donc reçu il y a quelques semaines, le bouquin de Jean-Pierre Lepri intitulé La fin de l’éducation? Commencements…

Jean Pierre Lepri

Alors d’abord, j’avoue que l’auteur de ce livre m’a beaucoup intriguée et motivée à ouvrir le bouquin… car c’est un gars « de la maison » comme on dit dans le métier.

Ancien instit, formateur d’instit, inspecteur, docteur en sciences de l’éduc, etc… ça fait 50 ans qu’il en bouffe de l’Educ Nat.

Qui de mieux qu’un ancien fidèle (voire un ancien prélat!) pour dénoncer les rouages d’une organisation totalitaire?!

La formule a déjà été maintes fois éprouvées (parfois abusivement) mais dans ce cas précis, j’ai eu le sentiment de lire non les propos d’un repenti mais plutôt celui d’un déçu, d’un militant un peu usé par des années de luttes zélées et silencieuses qui aurait voulu transmettre le flambeau en explicitant tout ce que ces années d’expérience au sein de cette institution lui avaient appris.

La recette est simple et efficace:

Un petit bouquin d’à peine 140 pages, écrit d’une plume délicieuse (un vrai amoureux des mots!) et bourré de références des grands penseurs du siècle dernier (snif, le 21ème est encore trop jeune pour avoir les siens)…

… qui nous décortique en 2 chapitres les fins (finalités) et la fin (disparition) de l’éducation avant de nous expliquer comment vivre sans école…

A quoi sert l’école?

Voici le thème de son premier chapitre. Comme nous le pressentons, il y a plein de façons de répondre à cette question… tout dépend qui la pose et à qui il faut répondre.

A quoi sert l’école? demandent les parents à l’Etat: La réponse est dans les programmes…

A quoi sert l’école? demandent les citoyens à la société : La réponse s’est structurée depuis fort longtemps par l’intégration inconsciente de diverses pensées philosophiques, au point d’être aujourd’hui un « allant de soi » qu’il ne faudrait plus questionner.

A quoi sert l’école? se demandent les penseurs de l’éducation: le sociologue Durkheim nous le dit, et sa définition vieille de près de 100 ans laisse entrevoir les paradoxes toujous actuels de la réponse

C’est ainsi que Durkheim définit l’éducation: l’action de la génération des adultes sur la nouvelle génération pour qu’elle s’intègre à la société. Mais d’un autre côté, nous attendons que ces jeunes y acquièrent un esprit critique et qu’ils soient suffisamment autonomes et forts pour améliorer tout ce qui ne nous convient pas dans la société. Nous voulons, d’un côté, qu’ils se conforment et, d’un autre côté, qu’ils améliorent notre vie. Nous les voulons, à la fois, « domestiques » et « affranchis ». Nous les voulons, en même temps, semblables à nous et différents de nous. heureusement, comme disait déjà Plaute, « Il n’y a pas deux différences pareilles ».pp.27

A quoi vous a servi l’école? demande-t-on aux anciens élèves devenus enseignants…. et les réponses sont pour le moins surprenantes

1- A vivre avec d’autres dans une foule, à l’intérieur d’un petit espace

2- A passer le temps

3- A supporter le jugement des autres

4- A craindre pour ce qu’on possède, à se méfier des autres

p.36

A quoi sert l’école si on s’en tient à une observation froide, faisant abstraction des présuposés généralement admis? Jean-Pierre Lepri avance quelques hypothèses: j’apprends le manque, la peur, j’apprends à être dépendant d’un autre, j’apprends à me conformer, j’apprends à recevoir des informations, j’apprends le temps contraint, j’apprends l’immobilité spatiale, j’apprends l’inutilité, j’apprends à être seul au milieu des autres, j’apprends à être surveillé, etc…

BEUUUUHHHH! Mais quelle vision détestable diront certains!!! C’est vrai qu’elle est assez déprimante… mais cette vision de l’école est-elle vraiment une découverte au regard de son histoire?

Avons nous donc oublié ou évincé les circonstances qui ont présidé à la naissance de l’école obligatoire de Jules Ferry, celle-là même que d’aucuns voudraient restaurer?

L’école française nait donc, en 1880, de par la volonté de la bourgeoisie de reprendre à son bénéfice le pouvoir du clergé sur les mentalité et sur les richesses. C’est aussi l’époque des premières manufactures et des industries. Celles-ci demandent des manouvriers qui arrivent et repartent en même temps, pour que les premières chaînes (les si bien nommées) de travail fonctionnent efficacement. Dans le même temps, pour que leur travail soit bien fait, il vaut mieux qu’ils aient un minimum d’instruction. Rien d’étonnant alors que la structure de l’école – nous y reviendrons- soit construite sur le modèle des usines: enfermement dans un même lieu, pendant un temps donné, du même groupe de travailleurs, dévoués entièrement à leur travail. C’est à ce modèle, en effet, que l’école est chargée de préparer. L’astuce aura été de faire croire que c’est dans l’intérêt des ouvriers ou des élèves, alors que c’est dans l’intérêt de ceux qui les organisent et les dominent. Car, comme le note John Gatto « seuls les esclaves sont regroupés par d’autres que par eux-mêmes ». p.47

Je vous laisse découvrir la suite de cet étonnant petit bouquin par vous-même (en l’achetant ou en le demandant en prêt à la bibli des VI!!)….

et je médite quelques mots bien tournés pour convaincre cet auteur pas comme les autres de venir participer d’une façon ou d’une autre à la révolution des neurones (vous me pardonnerez sûrement cet accès d’idéalisme, effets secondaires de mon bain de jouvence intellectuel)…

Mme Déjantée