L’amour scientifié

Ce livre vient d’être réédité 15 ans après sa première publication. Son auteur, Michel Odent a été responsable des services de chirurgie et de maternité à l’hôpital Pithiviers de 1962 à 1985. Il a fondé à Londres le «Primal Health Research» (Centre de recherche en santé primale) qui établit une banque de données d’études et de références parues dans de renommés journaux scientifiques et médicaux.

« Ces études ont pour point commun d’avoir exploré des liens entre la période primale d’une part, et la santé et les comportements pendant le reste de la vie d’autre part »

Ici, lorsque l’on parle de période primale on entend la période

« Qui inclut la vie fœtale, la période qui entoure la naissance et l’année qui suit la naissance »

J’ai été séduite par l’avant propos dont le sous-titre est « Prévenir la violence ou développer la capacité d’aimer », qui commence par ces mots

« Le contenu de ce livre représente un effort de synthèse nécessaire à une époque où l’accent constamment mis sur la violence. J’ai acquis la conviction que le meilleur moyen d’avancer dans notre compréhension des racines de la violence était de contourner la question et de se demander d’abord comment la capacité d’aimer se développe. Je ne peux pas oublier que j’ai fait un pas en avant dans ma compréhension de la lutte contre la maladie le jour où j’ai commencé à m’intéresser au développement de la bonne santé »

Cela commençait donc très bien et ce livre est vraiment très dense en informations, j’avais envie de partager quelques points avec vous :

La période sensible d’après la naissance

Pour aborder ce thème, il cite cette fameuse expérience de Konrad Lorenz, vous savez, ce Monsieur, fondateur de l’éthologie moderne (étude des comportements animaux et humains) qui dans les années 30, fit l’expérience de s’interposer entre des canetons et leur mère dès la sortie de l’œuf en imitant les « coin-coin » de maman canard. Canetons qui restèrent attachés toute leur vie à K Lorenz….

« Il [K Lorenz] avait compris que chez les canards, il y a immédiatement après la naissance une courte période critique qui ne se reproduira jamais »

Chez les rates, il faut qu’elles puissent lécher leur petits et garder un contact ininterrompu les 4 à 6 premières heures, et les chèvres qui accouchent sous péridurale (oui ça existe ! au moins pour les expériences des éthologues…), elles ne s’occupent pas de leurs agneaux.
Alors évidemment, cela amène à réfléchir à nos pratiques qui (je l’espère de moins en moins) séparent les mamans et les bébés peu après la naissance (même quand tout va bien) pour tout un tas d’examens souvent loin d’être urgents.

« Cette expérience [celle des chèvres sous péri] offre une nouvelle occasion de se rappeler que chez les mammifères non humains les effets d’interventions dans la période qui entoure la naissance sont faciles à déceler à l’échelle individuelle, alors que dans l’espèce humaine les effets sont dilués par la dimension culturelle »

Nous voilà rassurés, la dimension culturelle rend les choses moins catastrophiques. Et concernant cet aspect culturel de la naissance, on en arrive au second point que j’ai trouvé intéressant

Toutes les cultures perturbent les processus physiologiques de la naissance

En effet, en comparant les milieux culturels, via l’ethnologie cette fois, le constat est que :

« […]d’une façon ou d’une autre, toutes les cultures perturbent les processus biologiques dans la période qui entoure la naissance. Il convient en même temps de souligner que toutes les cultures n’ont pas besoin de développer au même degré et dans la même direction le potentiel humain d’agressivité »

Tiens, voilà une idée à laquelle je n’avais jamais pensé ! Il poursuit :

« […] plus grand est le besoin de développer les capacités d’agressivité dans une société donnée et plus agressifs sont les rituels et les croyances dans la période qui entoure la naissance »

Et nous cite un exemple terrifiant :

« Les Spartiates, dans la Grèce antique, étaient avant tout des guerriers. Quand un garçon naissait, on commençait par le jeter sur le sol. Sa survie permettait d’anticiper qu’il deviendrait un bon guerrier »
« Si les perturbations du premier contact mère-bébé au moyen de croyances et de rituels sont quasi universelles, c’est qu’elles sont avantageuses en ce qui concerne la survie des groupes humains et l’évolution des espèces. Pour interpréter ces attitudes paradoxales et intrigantes, nous ne devons pas perdre de vue que la quasi-totalité des populations accessibles aux ethnologues connait l’agriculture. […] Cela signifie que les groupes humains étudiés par les ethnologues du 20ème siècle partagent les mêmes principes stratégiques de survie, à savoir la domination de la nature et aussi la domination des autres groupes humains. Pour de telles sociétés, il est avantageux de modérer et de contrôler les différents aspects de la capacité d’aimer, y compris la nature et de respecter le Terre-Mère »

Michel Odent pose donc le postulat que notre capacité à aimer sera en grande partie déterminée par nos expériences précoces ( in utero et autour de la naissance, jusque dans la première année de la vie). Donc forcément, cela demande des changements.

Un nouveau regard sur la naissance

Plusieurs pistes à suivre selon lui dont notamment de préserver des accouchements les plus physiologiques possibles, dont la définition qu’il nous donne est «[…] une référence dont il convient de ne pas trop s’éloigner. […] Les physiologistes explorent ce qu’il y a d’universel, de transculturel dans les fonctions corporelles ».
Mais aussi tout ce qui peut mettre l’intellect au repos. Tout ce qui stimule notre néocortex d’humain , soit :
• les discours rationnels (il cite l’exemple d’une femme en travail à qui l’on demande son code postal…)
• la lumière que l’on préférera tamisée
• le fait de se sentir observée, l’intimité serait un besoin fondamental de la femme qui accouche (halte aux trop nombreuses personnes et ou interventions auprès des femmes en travail, trop de caméras, appareils photos…)
• Faire en sorte que la femme se sente rassurée, car la peur, avec sa sécrétion d’adrénaline stimule notre néo cortex et tend à inhiber les processus de l’accouchement
Il y aurait encore beaucoup à dire sur le contenu de cet ouvrage, qui nous parle aussi de nos hormones de l’amour avec sa reine, Dame Ocytocine, des trop nombreux faux diabètes gestationnels ou anémies, il nous parle aussi de sexualité, d’orgasmes, de sensorialité (odorat, toucher…), de prière, de pardon, d’accouchement dans l’eau….
Il nous parle d’amour, de liens entre les Hommes…avec cette intention d’aider au changement des regards, de la lecture des événements pour plus de bienveillance autour de la maternité, de la naissance… Si l’on ajoute à cela les informations et outils du Dr Gueguen , la biologie et la science soutiennent finalement de plus en plus l’amour….
C’est chouette non ? Vous en pensez quoi ?

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Christine Klein

13 réflexions sur “L’amour scientifié

  1. Merci beaucoup de ta contribution!! Et merci de nous présenter ce livre!!
    Je suis très ambivalente par rapport à Odent, autant je suis très admirative de son combat pour une réflexion en terme de physiologie, autant je ne le suis pas à 100% sur ses comparaisons entre humains et autres mammifères. Non qu’elle soit toujours pertinente, mais comme tu le soulignes dans ton article, les processus culturels sont d’une telle force et d’un tel ancrage…
    Concernant la question traitée ici, une étape du raisonnement m’échappe: Odent parle essentiellement du point de vue du vécu de la mère (qui ne doit pas être dérangée pour pouvoir rester dans une relation « instinctive » avec son bébé) et met ce vécu entre corrélation avec une conséquence dans le comportement de l’enfant (développement d’une forme d’agressivité). Du coup, une partie du raisonnement me manque: est-ce qui est en cause c’est une forme de rejet implicite par la mère à qui on n’aurait pas laissé les conditions optimales pour s’attacher à son enfant? Est-ce une perception précoce de la part de l’enfant d’une forme d’insécurité?

    • Je vois pour ma part dans son raisonnement, quelque chose de l’ordre d’un « effet cascade ». Les interventions au cours de la naissance et des premiers mois de la vie peuvent d’une part « désensibiliser » les mères de leurs enfants et apprendre aux enfants à se résigner. Donc je vois cela des deux côtés, l’enfant devenu adulte et parent pouvant reproduire les mêmes schémas.
      Cela me fait penser à ces mamans qui rêvent d’aller chercher leur enfant qui pleure dans sa chambre et à qui l’on conseille de ne pas donner de mauvaises habitudes, de laisser l’enfant pleurer ( alors que tout lui crie en elle d’y aller). Petit à petit la maman devient moins sensible aux pleurs de son enfant, et l’enfant se résigne. Pour Odent, ce genre de situation entame notre capacité à aimer.
      Je ne sais pas si j’ai été plus claire, de ce que j’ai perçu…. ;-)

  2. Pingback: Nos instincts parentaux sous l’œil du microscope {mini-débriefing} | Les Vendredis Intellos

    • alors c’est dingue, je viens de flasher sur ce livre, alors même que j’avais lu cette belle chronique. Bref, çà prouve bien qu’il est attirant…
      Si je peux suggérer quelque chose ; mettre une petite photo de l’ouvrage dans l’article, serait un plus pour mieux marquer les esprits …

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  5. Merci pour cette découverte ! Il semble néanmoins assez difficile à trouver… Pourrais-tu indiquer dans quelle collection il est ré-édité ?

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