Aider les enfants colériques à gérer leurs émotions : un article au titre ambitieux … mais au contenu décevant

Il y a belle lurette que je n’ai pas posté sur les Vendredis Intellos. Pour mon « retour », j’ai choisi de faire un peu dans la polémique ou plutôt dans la dénonciation. Je ne sais pas trop quel terme utiliser à vrai dire.

Une de mes amies a porté à ma connaissance un article paru sur le site « Le Journal des Femmes », écrit par Laura Bonnemère et reprenant les propos d’un psychologue, Stephan Valentin.

Cet article, intitulé « Enfants colériques : comment les aider à gérer leurs émotions ? », vous pouvez le lire ici. … Bien qu’en réalité je vous déconseille plutôt de le lire si vous voulez vraiment aider les enfants à gérer leurs émotions.

Je trouve cet article bourré de contradictions et il peut mettre en difficulté n’importe quel parent confronté à un enfant qui exprime des comportements colériques.

Tout le début est pourtant plutôt bon et donne des informations intéressantes comme ici par exemple :

Contrôler ses émotions fait partie d’un long apprentissage… Tous les jours, les enfants vivent de nouvelles expériences. Leur capacité à s’adapter et à réagir de manière adéquate se fait notamment en observant leurs parents. Ils notent ainsi la façon dont ils réagissent dans une situation donnée.

Ou encore ici à propos de l’inutilité, voire de la nocivité d’une fessée :

Crier, donner la fessée, l’humilier, l’insulter ou encore le frapper sont des réponses qui n’ont pas de succès. Ce dernier étant : l’enfant a appris la « leçon » ! La fessée agit par exemple sur les mécanismes de la peur. L’enfant est donc plus dans la crainte que dans l’apprentissage des règles. Il apprend à obéir par l’anxiété et cela ne l’aide pas à grandir et à s’autonomiser.

Mais par la suite, ça se gâte. D’abord avec des assertions invérifiables :

Lorsque l’enfant se roule par terre, il veut en fait vous tester.

Ou bien il est sous le coup d’une émotion et il a perdu le contrôle de son comportement. Ou bien il se sent impuissant à vous faire entendre combien il se sent mal et en rajoute pour que vous réagissiez. Ou bien il a le sentiment que c’est la seule façon pour qu’on s’occupe de lui, … et bien d’autres hypothèses encore … Bref, ce point de vue – « l’enfant fait ça parce qu’il veut vous tester » – est un point de vue bloquant : il vous ferme des possibilités d’action. Je ne le trouve donc ni très justifié ni très efficace.

Mais ça se gâte encore plus avec les conseils donnés qui sont à peu près totalement contradictoires avec ce qui est dit plus haut dans l’article.

Ce conseil-ci par exemple :

Il est important de signifier à l’enfant que l’on n’accepte pas son comportement en prévenant de l’imminence d’une punition.

Lorsque l’enfant est sous le coup d’une émotion, il est – par définition – incapable d’entendre un langage rationnel. J’avais décrit ce phénomène sur mon blog dans l’article « Le ballon émotionnel« . Exactement comme un adulte qui est en train de s’énerver perd tout sens rationnel et logique et se met à agir de façon irrationnelle (genre hurler, crier, taper). Tiens, c’est drôle comme similitude avec le comportement d’un enfant non :-) ?

Bref, menacer un enfant d’une punition quand il est en train de faire une crise n’a donc en général absolument aucun effet. Et si ça en a un, il est lié au même mécanisme que la fessée : l’enfant obéit par peur de la punition et non parce qu’il a acquis les compétences émotionnelles qui lui permettent de prendre du recul sur ce qu’il ressent et de l’exprimer avec des comportements socialement acceptables.

De 2 choses l’une : ou l’enfant ne PEUT PAS se contrôler et la punition ne l’aidera absolument pas.  Ou l’enfant ne VEUT PAS se contrôler et la punition n’y changera pas grand chose puisque c’est justement le rapport de pouvoir qu’il refuse.

Donc on ne peut pas dans un même article dire que la fessée est nocive et conseiller une punition car les 2 relèvent du même mécanisme et agissent sur la peur. A ce propos, vous pouvez lire – ou relire – mon article sur l’utilité de la punition : « punir, ça sert à quoi? »

L’autre conseil intenable et qui met quasiment systématiquement les parents en difficulté c’est le fameux « tenez bon, soyez ferme, mais restez calme » ici formulé sous cette forme :

Il faut, si possible, rester calme afin de faire comprendre à l’enfant que l’on ne se sent pas blessé par sa colère, qu’on le comprend…

Je mets au défi n’importe qui de décider qu’il ne sent pas blessé ou mis en difficulté par la colère. Ce type de conseil est une injonction paradoxale impossible à tenir : se sentir blessé ou pas est une sensation, une émotion par définition hors de notre contrôle volontaire.

Le problème est que, plus je vais essayer de rester calme malgré mon bouillonnement intérieur, plus je risque de finir par exploser. Haim Ginott l’explique très très bien dans le livre « Entre parents et enfants ». Il dit :

Les résolutions pour être moins en colère sont pire que futiles. Elles ne font qu’ajouter de l’huile sur le feu

et il dit aussi :

Avec nos enfants, nous essayons d’être patients, si patients qu’en fait, tôt ou tard, nous DEVONS exploser. Nous avons peur que notre colère blesse nos enfants, alors nous la retenons comme un apnéiste retient son souffle. Mais dans les 2 cas, la capacité à se retenir est limitée …

Vous pouvez lire l’extrait dans son entier sur mon blog ici. Il est extrêmement parlant !

Tout cela pour dire qu’essayer de se forcer à rester calme en pensant que l’enfant cherche à nous tester au travers de sa colère, c’est juste mission impossible … Je ne connais d’ailleurs personne qui y arrive  et je rencontre par contre une multitude de parents qui essaient de suivre ce conseil et se trouvent démunis à cause de cela.

Donc par rapport au conseil donné dans ce fameux article, de 2 choses l’une :

  • Ou vous n’êtes pas blessé par la colère de l’enfant et c’est généralement parce que vous comprenez qu’il est simplement en difficulté émotionnelle par rapport à la situation. Vous pouvez alors être dans l’écoute et l’empathie, ce qui ne veut pas dire céder à sa demande mais simplement l’aider à dépasser et à gérer son émotion (voir le ballon émotionnel cité plus haut)
  • Ou vous êtes blessé par sa colère et alors il vaut mieux pour l’enfant que vous cessiez toute interaction avec lui sinon vous risquez de devenir violent avec lui.

Dans le 2e cas, si j’ai essayé de punir pour faire cesser le comportement problématique mais que l’enfant continue – généralement parce qu’il n’est pas en capacité de faire autrement – que vais-je faire ensuite ? Punir une 2e fois ? taper ? Il y a un vrai risque d’escalade dans ce cas.

Voilà donc un article bien problématique et malheureusement très représentatif de la façon dont on aborde souvent le soutien à la parentalité actuellement en France : des conseils irréalistes et quasiment impossibles à mettre en pratique.

Si vous voulez voir d’autres moyens de désamorcer plus efficacement des comportements violents chez un enfant – qui ne sont pas forcément de la colère d’ailleurs mais peuvent être plutôt de la tristesse très souvent – je vous invite donc à lire sur mon blog l’article « Je vais te tuer, t’es qu’une donne : gérer la violence d’un enfant sans s’énerver« … et aussi « Pourquoi les limites sont plus utiles aux parents qu’aux enfants » pour réfléchir au cadre, aux limites et à la façon de les poser.

Sandrine S Comm C

4 réflexions sur “Aider les enfants colériques à gérer leurs émotions : un article au titre ambitieux … mais au contenu décevant

  1. Article très interessant sur un thème qui est un vrai challenge pour les parents. En attendant la pilule miracle il fault gérer avec les outils et conseils de parents. Merci

  2. Merci beaucoup pour cette contribution!!! Du coup tu conseillerais aux parents de ne jamais montrer leur colère aux enfants? Ou de montrer que quand on est en colère on va se calmer dans sa chambre? Compte tenu de l’importance de l’apprentissage par imitation, j’avoue que cette question me turlupine…

  3. Pingback: La Revue de Web de Sandrine Donzel #3 – Juillet 2015 | S Comm C, le blog

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