Depuis des mois que je n’avais pas écrit pour les Vendredis Intellos, je n’avais pas vraiment pris le temps de me poser pour lire des articles, en ligne ou papier, sur l’éducation, l’enfance et la parentalité. Mais j’ai reçu il y a deux semaines la septième parution de PEPS, le magazine de la parentalité positive. A l’occasion de la 10ème journée de la non-violence éducative, l’équipe de PEPS a réalisé un numéro spécial comprenant un dossier intitulé « Punitions-récompenses, la valse de la manipulation« , et que j’ai trouvé très intéressant : il aborde pas mal de thèmes, c’est très vaste, complet, et toujours rédigé dans un style que je trouve effectivement positif et bienveillant.

J’avais bien envie de commenter tous les articles dudit dossier, mais j’ai du mal à me remettre dans le bain de l’écriture « sérieuse », alors je me contenterais de revenir rapidement sur l’article de Brigitte Guimbal appelé « Non-violent, l’isolement ?« , qui, comme son titre l’indique, revient sur la pratique du « time-out », souvent présentée comme une alternative non-violente à la fessée.

Brigitte Guimbal commente ainsi un rapport du Conseil de l’Europe (La parentalité positive dans l’Europe contemporaine) :

[…] L’isolement et le retrait de privilèges y sont présentés comme les solutions les plus efficaces pour éviter que les « comportements indésirables […] se généralisent », sans que les mécanismes de cette efficacité soient mis en question. Ainsi, on peut y lire que l’enfant en isolement va faire « une démonstration de comportement émotionnel », mais que si le parent ne réagit pas, « la fréquence de ces crises diminue ». « De cette façon, les sentiments de l’enfant ne nuisent pas à l’estime qu’il a de lui-même, malgré les réactions parfois intenses. » On y lit aussi : « Avec les enfants en âge préscolaire, on a constaté que l’isolement (qui consiste généralement d’un retrait de l’attention parentale positive) renforce l’obéissance (de 25% à 80% environ). »

En lisant ces mots tirés directement du rapport, j’ai trouvé que les termes employés étaient vraiment révélateurs de la finalité d’une telle méthode : « comportements indésirables », « crises », « obéissance »…

J’ai également été choquée de lire que cette méthode était particulièrement « efficace » sur les enfants en âge préscolaire (est-ce que ça veut dire moins de 3 ans ? Ou moins de 6 ans ? Je ne sais pas trop pour le coup), sans que les raisons de cette efficacité soient explicitées ou questionnées. Il me semble en effet (et Brigitte Guimbal le fait remarquer par la suite) qu’un enfant si jeune qui se voit retirer l’attention parentale positive alors qu’il est en proie à une grande émotion :

  • Ne peut pas apprendre à reconnaître puis gérer ses émotions. Si on isole dans sa chambre un jeune enfant dès qu’il crie (colère, frustration, terreur…), il ne peut pas apprendre à reconnaître ce qu’il vit, et c’est à l’adulte de l’aider en ce sens et de lui proposer des outils pour canaliser son émotion. D’autant que toutes les émotions ne sont pas à jeter : la colère est une émotion saine et réparatrice lorsqu’on vit une injustice, une blessure, c’est la manière dont elle est exprimée qui doit parfois être ajustée. La frustration peut également provoquer des grosses « crises » mais elle peut être reconnue et acceptée par l’adulte, qui peut accompagner l’enfant, lui montrer qu’il est OK d’être frustré mais pas OK de détruire le mobilier, par exemple.
  • Se sent rejeté. Il vivra une expérience douloureuse qui est que ses parents ne l’aiment que lorsqu’il est sage (= lorsqu’il correspond à ce qui est attendu de lui), puisque l’« attention parentale positive » n’est rien d’autre qu’une démonstration d’amour. Il apprendra donc peut-être à ne plus exprimer – puis à ne plus ressentir – ces émotions vues comme « négatives » pour ne pas risquer de se voir retirer cette attention parentale positive qui n’est pas, dans le développement de l’enfant, un luxe, mais bien une nécessité.
  • Ne sait pas forcément pourquoi il est isolé. Que ce soit pour une « bêtise » (un vase cassé…) ou pour une « crise » (une grosse colère…), l’enfant peut ne pas faire le lien entre son comportement et sa « conséquence » (qui n’en est pas vraiment une et qui s’apparente vraiment à la punition). Il ne peut donc pas réfléchir à ses actions, ni en déduire un comportement plus adapté : je doute sérieusement que ces raisonnements soient vraiment adaptés aux enfants les plus jeunes. Pour les plus âgés, une mise à l’écart sans autre explication reste un rejet et on interdit ici à l’enfant capable de parole et de réflexion, de s’exprimer, de s’expliquer et d’argumenter au moment où il en a besoin : on lui demande de « réfléchir », donc de revenir sur son sentiment de colère, d’injustice, de frustration, qui n’est pas acceptable aux yeux de l’adulte (dans sa forme) mais qui n’en est pas moins véritable. Ne peut-on pas plutôt l’aider à l’exprimer dans une forme plus acceptable ?

Comme le souligne Brigitte Guimbal :

Pour eux [les enfants plus grands], l’isolement est humiliant, car il montre qu’ils ne sont pas considérés comme des interlocuteurs valables.

En effet, lorsqu’un adulte adopte un comportement qui ne nous plaît pas, il ne nous viendrait pas à l’esprit de le mettre au coin ou sur une chaise d’isolement, et ce même dans une relation traditionnellement hiérarchique (patron-employé par exemple), parce que nous pensons que d’adulte à adulte, nous nous devons un certain respect. L’enfant placé en isolement ne bénéficie pas de ce privilège.

Me vient également à l’esprit une scène que beaucoup d’enfants ont dû vivre : un enfant qui refuse de ranger ses jouets, par exemple, et un parent fatigué, sur les nerfs, irritable. Au bout de deux « demandes » infructueuses, le parent envoie ce dernier dans sa chambre, avec force décibels. Mais ne serait-ce pas au parent, de s’isoler, pour faire le point sur les émotions qui le tourmentent à cet instant précis ? L’enfant peut-il être jugé responsable du débordement de colère du parent, pour qui le refus de ranger ses jouets n’est qu’une goutte d’eau qui aura fait déborder le vase trop plein de contrariétés après une longue journée, par exemple ? Dans le cas présent, j’imagine qu’il serait plus adapté que le parent sorte de la pièce et s’offre cinq minutes pour souffler, reprendre la maîtrise de ses émotions, de sa fatigue, et que l’enfant ne soit pas le bouc-émissaire de son parent, la sanction étant sûrement disproportionnée par rapport au « méfait ». Sûrement, dans la même situation mais avec une journée plus épanouissante, un réservoir d’énergie plein, le parent aurait eu plus de patience à l’égard de son enfant, qui reste, malgré tout, ce qu’il est : un enfant.

Je trouve regrettable qu’un rapport intitulé « La parentalité positive dans l’Europe contemporaine » propose des « méthodes » pour parvenir à obtenir l’obéissance, terme des plus problématiques, tout comme l’idée d’imposer une discipline. Ces mots renvoient directement à la nécessité de contrôler l’enfant, qui est alors considéré comme un être inférieur duquel nous pouvons obtenir les comportements qui nous conviennent, sans se préoccuper de sa vie intérieure propre, des émotions qui le traversent, de la construction de son libre-arbitre.

C’est malheureux qu’il soit considéré comme « positif » de retirer à un enfant l’attention de son parent, et qu’on enjoigne le parent à ne pas réagir aux pleurs et aux cris que l’isolement ne manque pas de provoquer tant il est incompréhensible et humiliant, pour ensuite se féliciter d’un « renforcement de l’obéissance » dans ce qui n’est qu’en fait que de la résignation.

A la lecture de cet article, je comprends donc bien que l’isolement (time-out) est, pour Brigitte Guimbal, une forme de violence éducative ordinaire, et je dois dire que je partage son point de vue : peut-être que s’il fallait faire une échelle du pire des violences éducatives, l’isolement serait dans une meilleure position que la fessée (et encore ! je ne suis personnellement pas partisane des échelles du pire) mais les violences psychologiques sont également des violences et n’en sont pas moins grave par leur absence de signes physiques. A mon sens, l’isolement pur et simple ne peut pas être considéré comme une alternative non-violente à des méthodes traditionnelles, quand on pourrait user de la communication et de la résolution de conflit pour tempérer des colères ou des frustrations, et aider l’enfant à apprivoiser ses émotions et les comportements qui en découlent, ce qui est tout bonnement impossible si on lui refuse notre présence et nos mots.

Et vous, que pensez-vous de l’isolement, du time-out ?

Une Jeune Idiote

Vous pouvez retrouver cet article et bien d’autres sur mon blog : Elucubrations d’une jeune idiote.