Marie Eross nous propose un article intitulé Initiative, Indépendance, Volonté, sur son expérience en crèche Pickler. Marie Eross et Emmi Pikler « Initiative, indépendance, volonté », Spirale 4/2011 (n° 60), p. 172-176. Son regard sur l’Enfant est doux et respectueux. Elle établit le rôle de l’accompagnateur de l’Enfant, afin que celui-ci puisse développer au mieux son potentiel.

J’avais envie de croiser le regard de cette « nurse Pickler » comme elle se décrit, avec la pédagogie Montessori, dans les mots de Mme Patrica Spinelli, directrice de l’ISMM, propos tenu lors d’une conférence  sur Le développement de l’enfant – Propositions Montessoriennes pour l’enfant de 0 à 6 ans.

En lisant les premières lignes de l’article de Marie Eross, je suis déjà amusée de voir en quoi les deux manières de voir l’Enfant se rejoignent. En toute première place, Marie Eross nous explique à quel point l’observation des enfants est la base de l’accompagnement respectueux.

Porter attention à l’enfant.

 « Or, l’enfant n’exprime sa volonté que si on l’y encourage, si cela en vaut la peine, s’il y a quelqu’un à qui l’exprimer, si la nurse veille à ses petites habitudes, accueille ses initiatives, y réagit, les remarque. Elle crée, par le fait même qu’elle les remarque, la base de cette volonté, de cette conscience de soi qui compte tant dans la vie de l’enfant en cours de développement. »

Maria Montessori exprime la même pensée en s’adressant aux parents dans son livre, L’enfant dans la famille:

   Respecter toutes les activités de l’enfant et chercher à les comprendre.

Quel enfant n’a jamais sollicité l’attention de ses parents, de son entourage alors qu’il s’apprête à réaliser une action importante pour lui? L’enfant est porté par le regard de l’adulte. Son action devient importante. 

L’histoire de Tibi nous replace dans le quotidien. Écouter l’enfant facilite le quotidien. Dans les moments de stress, de panique, de crise, où tout va trop vite, prendre le temps d’écouter les quelques mots de l’enfant peut désamorcer une situation en quelques secondes. Que nous coûte qu’il emporte son train sur le chemin de l’école? Que nous empêche son souhait de regarder la lune quelques secondes avant d’aller se coucher?

Et pourtant… tellement de temps gagné ensuite, et son petit cÅ“ur apaisé dans le sommeil…

Il n’y a pas de rapport de force dans cette relation d’accompagnement. Simplement une coopération mutuelle pour que chacun se sente bien. Une méthode sans perdant.

Favoriser l’indépendance de l’enfant

Pour les enfants élevés en institution, mais aussi pour ceux vivant dans leur famille, le risque existe que cela soit négligé. Pourtant, nous ne voulons pas obtenir, par notre éducation, des enfants qui acceptent tout et n’ont aucune volonté : cette acceptation facile de ce qui leur est proposé n’est, si nous y regardons de près, qu’une forme d’hospitalisme. Bien sûr, ce n’en est pas une forme spectaculaire, ils ne se cognent pas la tête, ils ne se balancent pas, mais ils restent là où la nurse les pose, ne demandent rien, ne réclament rien, ils n’ont pas d’exigences. Peu leur importe quel jouet on leur donne, comment on les habille : ils acceptent qu’on s’occupe d’eux, sans manifester d’émotion.

Quoi de plus triste qu’un enfant qui reste sans bouger, là où on l’a posé? Tel un vulgaire objet, il remplit la mission que l’on lui donne. « Pas bouger ».

Ici, chez nous, on a jamais beaucoup aimé les poussettes. utilisées quelques semaines pour des promenades, par méconnaissance de l’écharpe que nous avons adopté ensuite, nos enfants ont très vite exploré le monde par eux-mêmes. Il était hors de question pour nous de les déposer dans un endroit sans bouger.

Cela me fait toujours de la peine, aux sorties d’école, dans ces squares, dans ces interminables balades dans les parcs, ces enfants empêchés de bouger pendant des temps infinis, coincés dans leurs poussettes, avec la seule mission de rester tranquille. Profiter de l’air mais de loin. Pour qui vit l’enfant?

Des enfants dans les poussettes jusqu’à 5-6 ans… L’enfant marche depuis longtemps! Mais s’il se fatigue?! N’avons-nous pas confiance en l’énergie de l’enfant? En effet! à rester habituer à ne pas marcher… il se fatigue vite!!!

En devenant maman, on se questionne sur ce que voit, entend, ressent son enfant, aussi petit soit-il. On oublie quelquefois que le fait qu’il ne communique pas n’implique pas qu’il ne ressent rien.

Dans la pédagogie Montessori, on propose à l’enfant dès la toute petite enfance des petits jeux visuels, des petits trésors à toucher. On l’installe sur un matelas, à côté d’un mirroir, un mobile au dessus de sa tête qui change et accompagne les différents stade de développement visuel.

Très vite, on lui met à porter de main de petites choses à attraper. Des balles de brachiation, un anneau, des petits ustensiles de vie quotidienne. L’enfant explore et devient très vite actif.

Patricia Spinelli, directrice de l’ISMM, lors d’une conférence  sur Le développement de l’enfant – Propositions Montessoriennes pour l’enfant de 0 à 6 ans

L’enfant dans son développement est guidé par des énergies intérieures qui le poussent à se mettre en rapport avec l’environnement, ce que Maria Montessori a nommé sensibilités intérieures et qui s’expriment dans des temps définis et limités. (…)

« Le respect de la liberté de l’enfant consiste à l’aider dans ses efforts pour grandir » Maria Montessori, l’Enfant dans la famille. Oui, déjà là, nous pouvons parler de liberté de l’enfant, celle qui consiste justement à le laisser libre de ses mouvements, de ses petites actions naissantes sur l’environnement, soutenu qu’il sera par notre attention qui viendra donner du sens à ce qu’il fait : diriger sa main puis attraper un objet, agiter un hochet, essayer de se retourner du dos sur le ventre etc …

Accompagnons-le dans ses efforts, ils sont la marque de la vie en mouvement, ils sont, sous notre regard, le signe que le corps et la psyché se lient pour donner naissance à l’être. « 

(…) Habiter son corps et explorer le monde, cela ne se réalise que si l’enfant a eu très tôt la possibilité d’être actif en présence d’un autre (un adulte) qui le regarde et qui assure, à ses côtés, une présence qui soutiendra son activité. »

Le plaisir de faire seul

 Marie Eross: « Dans notre Institut, nous cherchons à donner aux enfants, dès tout petits, des occasions, des possibilités de devenir indépendants, ce dont ils ne manquent pas de se saisir. Comment ? En prenant plaisir à ce qu’ils font. (…) C’est un plaisir de bouger, parce que nous ne les forçons jamais à prendre une position qu’ils ne maîtrisent pas encore. C’est tout seuls qu’ils apprennent à se tourner sur le ventre, à s’asseoir et même à se mettre debout et à marcher. Comme leur visage rayonne quand, passé le premier étonnement de pouvoir marcher seuls, ils font leurs premiers pas ! »

Le principe fondateur de cette pédagogie « Aide moi à faire seul » repose sur l’idée qu’aucun être humain ne peut être éduqué par une autre personne. L’individu agit par lui-même pour apprendre, motivé par une curiosité naturelle et par un amour de la connaissance. Aussi, le rôle de l’éducateur est d’aider l’enfant à faire seul. Pour y parvenir, il faut identifier comment l’enfant se développe, ce qu’il ressent intérieurement et comment il reçoit les signaux et les stimulations. C’est dans cet esprit que Maria Montessori a identifié les principales étapes dans le processus d’éveil et de construction de l’individu. (Montessori Nice)

 Patricia Spinelli: « Aide-moi à faire par moi-même ». Oui l’aide à faire par soi-même repose sur la possibilité à un moment donné, de faire avec quelqu’un qui considère que l’action que nous réalisons ensemble est importante et a du sens pour soi et les autres. Voilà que la dimension de l’autre apparaît alors que l’enfant est encore essentiellement centré sur lui. A la Communauté enfantine, lieu qui accueille les enfants de la marche assurée à trois ans, nous nous devons de n’être jamais seuls dans nos actions si je puis dire, l’enfant doit nécessairement nous accompagner car il y va de son autonomie ultérieure. »

Faire autant de fois que l’enfant voudra, aussi longtemps qu’il voudra, est la phrase que répète l’éducateur de l’enfant. Une version objective de « Tu vas t’entraîner ».

L’enfant comprend que les notions ne sont pas forcément accessible d’emblée, que les efforts et les essais permettent des acquisitions. C’est ce bébé qui s’entête à essayer de monter sur le canapé, qu’on assoit, qui redescend, et essaie de nouveau de monter. Ce n’est pas être assis qu’il vise, c’est l’acte de monter. Seul.

Marie Eross poursuit ainsi sur l’incidence que notre éducation aura sur l’âge adulte:

 Un mot pour terminer : tous les parents, et tous ceux qui s’occupent d’élever des enfants, souhaitent qu’une fois adultes ceux-ci soient des êtres humains sensés, intelligents et capables de se diriger eux-mêmes. Pour faire connaissance avec la vie, l’adulte aide l’enfant par le jeu, le bain, les repas, la promenade. Mais si nous les empêchons de faire leurs expériences, leurs tentatives, si nous pensons et décidons toujours à leur place, comment leur demander, plus tard, de savoir distinguer le bien du mal, d’avoir leur opinion personnelle sur les choses ?

Conclusion, qui n’est pas sans me rappeler ce que j’avais écrit ici (Jane Hunt, La véritable nature de l’Enfant) et ici aussi (J’ai tout essayé, Isabelle Filliozat).

Notre éducation, quoiqu’on en pense avec découragement parfois, impacte nos enfants. C’est elle qui va déterminer son être spirituel : sa confiance en lui, son attrait vers les choses, sa joie de vivre, son estime de lui-même. Ce sont ces mille gestes au quotidien que nous laissons faire, ou pas, qui aident l’enfant à se construire.

Anna des mouettes

Retrouvez mes recherches sur l’éducation et Montessori ici: Montessori En Ce Nid