Ce post est la suite de ma réflexion entamée dans « Parentalité et handicap mental – 1. Quel encadrement réglementaire pour la stérilisation ? »

Plus je réfléchis, plus je me rends compte que ma réflexion est en train de dériver sur le handicap en général et pas forcément le handicap mental. De plus, je parle du handicap mental en incluant tous les handicaps cognitifs, psy, mentaux, et intellectuels. Je sais que c’est très large et que cela recouvre des réalités différentes, mais je ne suis pas assez experte et ma réflexion n’a pas assez abouti pour nuancer mes propos selon le type de handicap.

Tant pis, je reste sur ma démarche initiale, le but n’étant pas d’être exhaustive mais de vous faire partager ma réflexion sur ce sujet qui me parait intéresser toute la population. Interroger notre manière d’encadrer la parentalité des adultes « hors-normes » est une façon de regarder notre conception de la parentalité « en général ».

J’avais annoncé que je murissais un post sur l’accès à la parentalité des handicapés mentaux. Je n’imaginais pas que mes réflexions m’emmèneraient aussi loin. A l’époque de ce premier post, je m’interrogeais ainsi (oui, je m’auto-cite, je ne doute de rien !) :

Le tabou de la parentalité (et de la sexualité) chez les handicapés mentaux peut-il être dépassé ?

Avec cette petite parenthèse sur la sexualité, j’avais effleuré un sujet qu’il me parait finalement important d’approfondir avant de se pencher sur la question de la parentalité. (Ceux qui pensent que je tente de gagner du temps sur ce sujet difficile n’auront pas complètement tort).

2. Parentalité et Handicap mental – Quel droit à la sexualité ?

 

Sur ce sujet, je me fonderais principalement sur un article envoyé par Prune (Prune, merci-merci, BIG UP à toi, il était passionnant et permet de se faire une petite idée de toutes les composantes du sujet). Je m’appuie donc sur cet article publié dans ASH Magazine en 2005 intitulé « Handicap mental et sexuualité – la fin d’un tabou ». Sauf indication contraire, toutes les citations sont issues de cet article.

L’article commence par rappeler que malgré des textes assez anciens sur « l’accès de l’adulte handicapé […] aux droits reconnus à tous les citoyens » (loi d’orientation du 30 juin 1975), le mouvement de libération sexuelle n’a franchi que très tard les portes des établissements d’accueil pour handicapés.

En effet, je l’évoquais en commentaire du précédent post, les associations représentant les handicapés mentaux sont en grande majorité composées de parents. Quel parent a envie de militer pour la sexualité de son enfant ? Pire, de la penser « en pratique » ?

Dans un contexte institutionnel où les parents sont souvent les employeurs des travailleurs sociaux encadrant leurs enfants, la sexualité ne peut être qu’un sujet tabou. Et sa représentation enfermée dans un schéma réducteur et binaire :
« Pour beaucoup de parents, leur enfant ne peut pas avoir une sexualité épanouie : soit il est asexué, soit, au contraire, il est hypersexué et a des pratiques déviantes », explique Pascale Chauvet, animatrice au centre d’aide par le travail (CAT) les Ateliers de la forêt, en Champagne-Ardenne (association des Papillons blancs de la région de Reims). Avant d’être une fille ou un garçon, l’enfant handicapé est un être à part qu’il s’agit de protéger.

Deux facteurs ont permis de voir le sujet émerger. Tout d’abord, les personnes handicapées qui ont été élevées dans une politique d’intégration à la société (et c’est récent), peuvent enfin exprimer leur désir de sexualité une fois arrivées à l’age adulte. Ensuite, et c’est probablement le déclencheur le plus important, l’arrivée du SIDA dans les institutions permet une prise de conscience collective – Ciel ! les handicapés ont une vie sexuelle !- et de lancer le débat.

enquête […] menée en 1996 par les sociologues Nicole Diederich et Tim Greacen en Ile-de-France : sur 3 857 adultes concernés, 41 % ont des rapports sexuels, dont environ la moitié fréquemment.

Dans les années 90, l’éducation sexuelle est donc d’abord et surtout orientée par l’aspect du risque : risque de transmission du VIH, risque des rapports subis, risque de procréation.

Il s’agit néanmoins d’un progrès énorme car :

Jusque-là, le problème était bien souvent définitivement réglé, dans le non-dit, par la stérilisation des jeunes femmes handicapées.
« Dès le début des années 1990, j’ai fait état des cas de stérilisations forcées de femmes handicapées mentales que je constatais au cours de mes enquêtes, mais à l’époque ça n’intéressait personne », se souvient la sociologue Nicole Diederich.

On rejoint le thème initial de mon précédent article, sur la stérilisation. Il faut attendre 1997 que les médias s’emparent du sujet pour que les autorités françaises demandent un rapport à à l’inspection générale des affaires sociales (IGAS) (cf Bibliographie) puis 2001 pour qu’une loi, parfois jugée insuffisante, encadre le tout.

Pour passer le cap dans la prise de conscience de la vie intime des personnes handicapés, il faut la loi du 2 janvier 2002 rénovant l’action sociale et médico-sociale.

Si les pratiques avaient évolué en 25 ans, la loi de 1975, avec ses trente ans d’âge, était bien en peine de leur donner un cadre. Ce nouvel arsenal législatif a enfin permis de rendre légitimes certaines orientations.

A travers la rédaction du règlement de fonctionnement, la création des conseils de la vie sociale ou la mise au point du projet individuel, une nouvelle réflexion s’engage pour, selon la loi, promouvoir « le respect de la dignité, de l’intégrité, de la vie privée, de l’intimité et de la sécurité » de la personne handicapée.

« Ce texte permet d’aborder dans le règlement de l’établissement tous les problèmes liés à la vie en communauté et donc de poser la question de la sexualité d’un point de vue plus institutionnel, explique Stéphane Bonnel, responsable adjoint du secteur “vie associative et formation” à l’UNAPEI. Et si dans certains établissements, il a vraiment fait changer les usages, dans d’autres il a seulement entériné des pratiques déjà existantes. »

Par exemple, la Champagne-Ardennes (qui parait, à la lecture de l’article, assez pionnière sur le sujet) a fait former une personne « ressource » par structure d’accueil sur les questions de sexualité et d’intimité.

Au final, une quinzaine d’associations – gérant essentiellement des structures pour adultes – ont adopté une charte de la vie affective et sexuelle des personnes handicapées, élaborée collectivement par les personnels éducatifs, des psychologues, mais aussi les parents :
« Ce texte pose les fondements du droit à l’intimité et du respect de la vie personnelle de chacun, explique Jean-Pierre Leblon, président de l’APEI de l’Aube. Il reste ensuite à les transcrire dans le quotidien des équipes et dans l’organisation des locaux. »

Je vous avoue que cela me gêne encore que les personnes concernées n’aient pas été invitées à l’élaboration de cette charte. Je ne sais pas comment en pratique cela pourrait être possible, mais j’espère que la prochaine étape sera de voir des adultes handicapées informées et sensibilisées prendre part au débat.

Coté pratique, les questions sont nombreuses et montrent bien la difficulté de l’exercice :

« Il faut changer les habitudes et identifier de nouveaux espaces d’intimité, plaide Sheila Warembourg, de Handicap International.
Mais les questions sont encore nombreuses : Faut-il fermer les chambres à clé ? Comment garantir une sécurité minimale ? Comment déterminer si les deux personnes sont vraiment consentantes ? »

L’enjeu est néanmoins trop important pour que ces difficultés balayent le sujet.

« Entre le CAT et le foyer familial, beaucoup de personnes ne savent pas dans quel lieu se retrouver pour assouvir leurs désirs, explique Denis Vaginay, psychanalyste qui intervient en institut médico-éducatif (IME) et en CAT. Résultat, elles développent des conduites à risques à l’extérieur. »

Enfin, on ne peut terminer un article sur le sujet de la sexualité des handicapés sans évoquer le débat extrêmement passionné à propos de l’aide sexuelle. La presse généraliste a commencé à poser le débat devant le grand public.

Le métier d’assistant sexuel existe dans de nombreux pays (Allemagne, Danemark, Pays Bas, par exemple) mais sa création en France pose de nombreuses questions à mettre notamment en lien avec la question de la prostitution.

J’ai déniché un rapport récent sur l’évolution du regard sur les handicapés. La question des assistants sexuels est évoqué au chapitre de la vie affective et sexuelle :

Les arguments qui s’opposent le sont tous au nom de la dignité. […]

Les prises de position sur le sujet sont fortes et argumentées, mais le simple fait d’en parler aujourd’hui est rassurant, c’est un atout évident pour le changement de regard et l’évolution des mentalités. Les tabous sont peu à peu levés, les verrous se desserrent. Encore une fois, le militantisme associatif actif, bien relayé par les médias, a permis de poser sur la place publique un débat jusqu’alors discrètement et soigneusement dissimulé.

Pour en savoir plus à ce sujet (qui me parait dévier du sujet qui nous préoccupe), je vous invite à lire le rapport à partir de la page 104. Je précise que ce rapport a été rédigé par M. Chossy qui fut l’auteur de la loi du 11 février 2005 pour l’égalité des droits et des chances, la participation et la citoyenneté des personnes handicapées. On peut donc lire tout le document (130 pages, bon courage) comme un bilan provisoire de cette loi (dont je rappelle qu’un des nombreux objectifs est la mise en accessibilité de tous les établissement recevant du public avant 2015. Ambitieux !).

A bientôt, j’espère, pour la troisième partie de ma réflexion : peut-on être (un bon) parent et handicapé mental ?

 

Bibliographie et références citées dans cet article :

– l’article « Handicap mental et sexualité – La fin d’un tabou » de Actualité Sociale Hebdomadaire (ASH Magazine: N° 10 du 22/07/2005 – disponible sur abonnement)

– le rapport de Jean-François CHOSSY « Évolution des mentalités et changement du regard de la société sur les personnes handicapées. – PASSER DE LA PRISE EN CHARGE… A LA PRISE EN COMPTE » , novembre 2011

.L’image est issue de l’affiche du film « Hasta la Vista ».

Et quand je ne parle pas sérieusement, c’est chez moi que ça se passe !

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