Filliozat contre Liedloff pour des enfants calmes

J’ai récemment lu un peu plus de la moitié du Concept du Continuum par J. Liedloff, et plus récemment encore J’ai tout essayé d’I. Filliozat.

 

Je ne voulais pas parler du premier parce qu’il m’a déplu et que je ne l’ai pas terminé.

Je ne voulais pas parler du second parce qu’il a été maintes fois traité ici.

 

Et pourtant me voici. Pourquoi ? Pour cet extrait du livre de Fiolliozat :

Les enfants d’aujourd’hui sont-ils pires que ceux d’hier ?

Si les enfants d’aujourd’hui semblent manifester davantage de colères que les enfants d’hier, c’est peut-être parce qu’ils font face à bien davantage de stimulations, d’occasions de choix, de déceptions….

Les enfants d’hier ne faisaient pas de comédies dans les supermarchés… parce que les supermarchés n’existaient pas. Ils ne hurlaient pas quand on éteignait la télévision, parce qu’il n’y avait pas de télévision. (…)

Il est certain que le petit Bangladeshi ou le petit Soudanais ne font pas de telles comédies, mais ce n’est pas parce qu’ils seraient plus raisonnables ou plus sages. Ils n’ont tout simplement pas été habitués à la boîte de céréales et ne sont pas confrontés au même monde de profusion.

Ce ne sont pas les enfants qui ont changé, mais leur environnement. Nous oublions parfois que nos enfants ne sont pas équipés pour faire face à cette société hyper stimulante.

Au lieu de les punir de leurs réactions face à cet environnement dans lequel nous les plongeons, notre rôle pourrait être de les aider à gérer ce stress, à « muscler » leur cerveau pour trier les informations.

 

J’ai trouvé ce passage très intéressant, d’abord pour l’information qu’il contient en lui-même. Nos enfants ont un esprit tout neuf résolument curieux de tout ce qui les entoure. Alors qu’est-ce qu’un supermarché pour eux ? Un monde rempli de couleurs, de formes, de mouvements, de personnes, un monde extrêmement stimulant, un monde trop stimulant si leur esprit n’est occupé qu’à l’observer. Ainsi que décrit également dans ce livre, cette hyper-stimulation peut provoquer les crises de décharge que l’on observe parfois, et que l’on nommerait à tort des « colères » ou des « caprices ».

 

Et j’ai trouvé ce passage très intéressant car je trouve qu’il remet beaucoup en question la théorie de Liedloff que je vais essayer de transcrire sans la trahir, dans la mesure où je n’ai pas aimé ce que j’ai lu (j’y reviendrai plus loin) et dans la mesure où j’ai trouvé la lecture difficile en anglais.

Le concept du continuum part de l’observation d’un groupe sud américain isolé du monde moderne, les Yequanas, peuple décrit par l’auteur comme était très heureux, appréciant tout ce qu’il fait (y compris ce que nous appellerions un travail, alors que le mot même leur est inconnu), et ayant des enfants très calmes. Ce bonheur reposerait sur le fait d’avoir passé toute la petite enfance porté par maman, vivant tout avec elle, sur elle. Il participe ainsi à la vie quotidienne, est stimulé juste ce qu’il faut, et tous ses désirs comblés rapidement (contact, stimulation, nourriture, …).

 

Je n’ai pas aimé ce livre parce que j’ai trouvé que l’auteur faisait énormément de projection de sentiments d’adultes sur le petit enfant, grossissait il me semble les souffrances dues à la faim par exemple, et grossissait les conséquences de l’absence de portage. Je l’ai trouvé assez extrémiste dans ses propos, et ce qui m’a encore plus gênée, c’est le manque de raisonnement, de preuve, d’explication. L’auteur assène ses vérités en donnant l’impression qu’elles ne sont prouvées que par l’observation des Yequanas, ce qui me semble un peu léger.

Cela me gène de faire cette critique parce que je ne suis pas allée au bout du livre et que les éléments qui m’ont manqué figurent peut-être dans la suite.

 

L’extrait de Filliozat vient s’opposer à la force du concept du continuum sur le principe de la stimulation justement, et sur le pourquoi les enfants occidentaux tendent à être plus énervés que les enfants Yequanas (entre autres).

En effet, si le fond du problème est la sur-stimulation, alors non seulement il n’est pas solvable par le concept du continuum, mais en plus celui-ci pourrait aggraver la chose : si bébé suit maman dans tout ce qu’elle fait, y compris les endroits les plus sur-stimulants pour lui, le contact de sa maman suffirait-il à le calmer ?

 

De manière assez contradictoire finalement, c’est chez Filliozat qu’on trouve l’explication (scientifique) de l’importance du contact pour le jeune enfant (libération d’une hormone calmante), alors que le portage n’est pas le point central de son livre, contrairement à Liedloff.

 

Et vous, qu’est-ce que ça vous inspire ?

 

 

Vaallos

(Image chipée ici.)

9 réflexions sur “Filliozat contre Liedloff pour des enfants calmes

  1. Pour le concept du continuum, je ne l’ai pas lu. J’ai lu le Filliozat par contre et j’ai beaucoup apprécié pour plein de raisons, j’aime sa façon d’aborder les problématiques et surtout surtout de se placer au niveau de l’enfant qui n’est encore une fois pas un mini adulte mais une personne en devenir qui n’a pas la même perception des choses que nous et dont on ne peut exiger de se comporter comme nous les adultes et pourtant c’est souvent ce que l’on fait consciemment ou pas.
    La sur-stimulation est évidente à l’heure où nos bouts de chou ne tardent pas à maîtriser des technologies dont nous n’avions même pas connaissance à notre époque, où nous vivons dans une société sur-consommatrice qui ne sait plus prendre le plaisir simple là où il est et se perd dans la possession plutôt que la communication. Malgré tout on continue de surfer sur cette idée bien ancrée de nos aînés que ce sont des enfants et que donc ils font des CAPRICES. Je suis partisane du fait que ce que nous leur mettons sur le dos est tout juste ce que nous considérons, nous ou la société, comme un comportement inacceptable (agaçant, énervant, pas le moment etc et j’en passe…) sans une seule seconde tenter de comprendre ce qui se passe dans le ressenti de l’enfant, pourquoi cette réaction? Preuve en est que si on en a la patience (ce qui n’est pas toujours évident bien sûr) et que nous prenons le temps d’écouter l’enfant, puis de lui expliquer ce qu’il est entrain de ressentir et qu’il ne sait pas comment gérer (frustration, colère, peur…) et plus encore de lui expliquer pourquoi nous réagissons comme cela face à sa propre réaction, le calme revient et l’enfant apprend, autant que le parent..

  2. J’ai lu une partie du concept du continuum sans pouvoir le terminer, comme toi. En gros, il m’a gonflé, rien que le principe du bon petit sauvage, cette vision un peu trop caricaturale de la vie dans la nature m’a assez ennuyée. Par contre, tout à fait d’accord avec ce que tu dis à propos de Filliozat ( mon maître à penser en ce moment !) !

  3. Je suis très intéressée par ce thème. Il y a je pense une faille dans au moins une de ces théories…En 6 mois passés au Japon, où la sur-stimulation est omniprésente (jusqu’à l’usure pour nous parfois !), je n’ai rencontré que des enfants très…calmes ! Pas un enfant ne saute partout dans le wagon, les rangs d’école sont d’un ordre admirable, je n’ai vu aucun enfant faire une « crise » dans les rues ou les magasins ! Je me suis toujours interrogée sur l’origine de cette différence.

  4. Bonjour Vaallos,

    « ce qui m’a encore plus gênée, c’est le manque de raisonnement, de preuve, d’explication »

    Je l’ai lu le « concept du continuum » jusqu’au bout et je partage votre objection! J’irais même plus loin: je me demande si tout cela n’est pas entièrement imaginaire. Le récit de Liedloff n’est corroboré par aucun autre auteur. De plus, tous les éléments qu’elle cite se mettent trop bien en place, comme un puzzle, tout va dans le sens de la démonstration de sa thèse.
    Ca me fait penser à l’exemple de Margaret Mead (« Mœurs et sexualité en Océanie ») et son expérience aux iles Samoa, fort bien décrite (entre autres) par Pierre Bayard dans « Comment parler des lieux où l’on n’a pas été ? »: ne parlant pas la langue, et trouvant la vie au village trop inconfortable, Margaret Mead s’installe dans la villa confortable d’une famille anglaise et va pour son travail de recherche anthropologique, se baser sur le récit de jeunes filles samoanes qui l’induisent en erreur, lui racontant ce qu’elle souhaite entendre. C’est ainsi qu’elle a échafaudé le mythe au sujet d’une société prétendument très libre dans ses meurs, alors que la société samoane était au contraire particulièrement répressive!
    Bref, je peux imaginer qu’il est arrivé un peu la même chose à Liedloff.
    Ceci dit, l’absence de fondement ne permet pas à lui seul de démontrer que sa thèse n’est pas valide. Je pense qu’elle a eu une intuition très juste: porter les enfants les rend plus calmes (la plupart des parents s’en sont rendus compte eux-mêmes).
    Ensuite elle essaie de nous convaincre que pour lutter contre les fléaux de la société (la violence, la drogue, l’homosexualité – si, si, elle l’écrit à la fin du bouquin!) il faut faire comme les Yequanas. Mais son argumentation ne vaut pas grand chose, comme vous le dites…

  5. ben c’est comme pour tout : il faut pas être obtu! j’en prend et j’en laisse!
    j’adore le bon sens de Filliozat, que « j’utilise » au quotidien, mais au même titre que tout ce que j’ai appris en atelier Faber&Mazlish, et ce que m’a appris le concept du continuum, c’est de faire une VRAIE confiance en mes enfants, qui savent ce qui est bon pour eux.
    ça ne se contredit pas à mon avis! Il faut savoir tirer le meilleur de ses lectures pour se faire son propre « modèle ».
    J’avais détesté A Solther quand je l’aie lue, et finalement avec du recul, certains passages m’ont aidée. (ex : ne pas culpabiliser quand mon enfant pleure, parfois ça peut faire du bien et soulager)

  6. Merci beaucoup de ta contribution Vallos!!!!
    J’avoue qu’il y a fort à dire sur le concept du continuum… comme vous l’avez toutes dit, il n’y a aucune preuve, ni même je dois dire aucune trace de scientificité dans son approche et ses résultats (que je trouve d’ailleurs de façon très surprenante très éloignée des récits ethnographiques de Levi Strauss…)… A l’occasion, il faudrait d’ailleurs que je refile ce bouquin à notre Guest anthropologue afin qu’il nous donne son sentiment…
    Malgré tout, je pense que vous m’avez déjà lu citer cet ouvrage voir même le présenter comme intéressant…. En dépit de cette amoncellement de constats infondés, de récits peut être chimériques, de préjugés néo-coloniaux…. je pense qu’un certain nombre des questions qui sont soulevées méritent qu’on s’y attarde… quel est l’impact de la société moderne sur nos comportements? qu’est-ce que l’évolution du marché de la puériculture, du regard que nous portons sur l’enfance, ont-ils modifié? Que gagnerions nous à tempérer? Que conserver au titre de véritable progrès, bénéfique pour nous et nos enfants? Quel rapport notre culture entretient-elle avec la douleur, avec la souffrance avec le travail, avec le bonheur, avec la liberté, avec les prises de risques?
    Bref, questionnons nous, demandons nous pourquoi un tel ouvrage a rencontré un tel succès, demandons nous ce que cet ouvrage et ses thèses éveillent en nous mais ne nous laissons pas aveugler!!!

  7. pour ma part, je trouve que dans chaque livre il y a à prendre et à laisser.

    J’aime beaucoup filliozat ET le concept du continuum, et je ne vois pas tellement en quoi ils s’opposent. Un résultat eut avoir plusieurs origines, et l’agitation de nos enfants peut aussi bien être du à la surstimulation s’additionnant au manque de proximité mère enfant de nos sociétés, et ça Isabelle filliozat le dit aussi. D’ailleurs elle préconise aussi le contact, la pproximité avec les bébés.

    Je trouve aussi que le témoignage de Liedloff (ça n’est pas un manuel de puériculture, juste un témoignage) me parle parce que le message est : on ne fait pas assez confiance à nos enfants, si on les laisse grandir tout en comblant leurs besoins au possible, ça n’en fait pas des êtres capricieux et tyraniques mais des enfants calmes. En tout cas dans cette société.
    Pour moi ça rejoint d’autres témoignages comme par exemple chez les Evènes ou les enfants soit aussi un peu « rois » (selon un commentateur), et deviennent des adultes tout à fait respectueux ensuite. C’est un peu comme un contre-exemple de ce qui nous est souvent dit : « si vous écoutez trop leurs besoins ils seront capricieux ». Ce livre montre tout simplement que ce n’est pas toujours vrai. Après, à nous d’en faire ce qu’on veut, ça ne prouve pas pour autant que ça « marche » chez nous. L’auteure fait des suggestions, des hypothèses, elle s’est posé des questions, mais elle n’a jamais dit il me semble « il faut faire comme ça ».

    Après je pense que le concept du continuum ne peut pas vraiment être appliqué totalement dans nos sociétés, car la structure sociale ne le permet absolument pas, ni l’environnement (par exemple un enfant ne peut pas expérimenter les prises électriques, ni courir sur la route : trop dangereux). Par contre on peut utiliser certaines idées, comme porter son enfant contre soi, être avec lui quand il est petit, ne pas le brusquer, etc. Enfin, si ça nous parle, car chacun est différent et ça ne convient pas à tout le monde. Je trouve ce livre intéressant comme pistes de réflexion. Mais ça n’est pas pour moi « la vérité vraie de ce qu’il faut faire ».

    Pour répondre à ta question, appliquer le concept du continuum dans un environnement stressant, pourquoi pas? Il vaut sans doute mieux pour un bébé être contre sa mère au supermarché que dans la poussette, c’est plus rassurant. Après, faut il l’emmener contre soi ou le laisser à la maison, ça c’est une autre question, qui dépendra du bébé, de son âge, du fait qu’il y a une autre personne de confiance à la maison pour le garder, etc. Et on peut rappeler aussi qu’on n’est pas obligé d’aller dans les supermarchés, ça reste un choix dans beaucoup d’endroits.

    J’aime aussi ce livre car malgré le fait qu’il y a surement une part d’interprétation, il nous permet d’approcher les conditions dans laquelle les petits d’homme ont évolué, et donc pour quoi nous sommes biologiquement programmés. Nos gènes ont évolué dans des sociétés de chasseurs cueilleurs pendant des milliers d’années, et donc il y a des chances pour que nos comportements dictés biologiquement correspondent plus à ces conditions de vie que celles que nous vivons aujourd’hui. C’est très difficile à imaginer pour nous car l’agriculture a depuis bien longtemps modifié nos sociétés et la façon dont nous nous occupons des enfants. L’homme est un être très plastique, qui peut s’adapter à plein de conditions de vie, mais si nous cherchons à déterminer quels sont les besoins fondamentaux de nos bébés, alors ce genre de témoignage pourrait apporter des éléments de réponse. Il existe d’ailleurs d’autres études sur d’autres peuplades de chasseurs cueilleurs (comme les Kung! en Afrique) qui vont dans le même sens.

    Bref, pour moi ça amène à se questionner, pas spécialement à « il faut faire ça ». J’en prends ce qui me parle, ça me donne des pistes pour comprendre mon enfant et surtout lui faire confiance, et je laisse le reste.

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