L’American Journal of Obstetric and Gynaecology a publié le 12 mars 2012 une étude sur l’évolution de l’accouchement ces 50 dernières années. Cette étude qui a porté sur 140,000 naissances aux Etats- Unis entre 1959 et 2008, montre que l’on met aujourd’hui 2h30 de plus en moyenne qu’il y a 50 ans pour mettre au monde son enfant – 6H30 au lieu de 4H.

Results: Compared to the CPP, women in the CSL were older (26.8 ± 6.0 versus 24.1 ± 6.0 years), heavier (BMI 29.9 ± 5.0 versus 26.3 ± 4.1 kg/m2), had higher epidural (55% versus 4%) and oxytocin use (31% versus 12%), and cesarean (12% versus 3%). First stage of labor in the CSL was longer by a median of 2.6 hours in nulliparas and 2.0 hours in multiparas, even after adjusting for maternal and pregnancy characteristics, suggesting that the prolonged labor is mostly due to changes in practice patterns.

Conclusions: Labor is longer in the modern obstetrical cohort. The benefit of extensive interventions needs further evaluation.

Traduction libre:

Résultats: Comparées aux CPP (NB: Collaborative Perinatal Project : Ce sont les femmes ayant donné naissance entre 1959 et 1966), Les femmes CSL (NB: Consortium on Safe Labor: Ce sont les femmes ayant accouché entre 2002 et 2008) étaient plus âgées (26.8 ans contre 24 ans), plus lourdes (IMC de 29.9 contre 26.3 kg/m2), avait plus recours à la péridurale (55% contre 4%) et à l’ocytocine (31% contre 12%), et à la césarienne (12% contre 3%). La première phase de l’accouchement (NB: La dilatation) pour les CSL était plus long en moyenne de 2,6 heures pour les primipares, et 2 heures pour les multipares, mais même en éliminant l’effet statistique des caractéristiques maternelles et de la grossesse, l’écart demeure, ce qui suggère que le travail prolongé est principalement causé par des changements dans la pratique [médicale].

Conclusions: Le travail est plus long à la génération de l’obstétrique moderne. Les bénéfices des interventions extensives devront faire l’objet d’autres évaluations.

Le docteur Katherine Laughon, tout en restant prudente et en expliquant que ces deux seuls facteurs ne sont pas suffisants à expliquer cette augmentation de la durée du travail, pointe donc 2 facteurs principaux pour expliquer ce changement: D’une part, les femmes et leur bébés auraient changé, les mamans seraient plus âgées et plus lourdes, tout comme leurs bébés plus lourds de 100g en moyenne. D’autre part, l’augmentation du recours à la péridurale serait en cause. Et encore, indique le docteur, l’usage de l’ocytocine permettrait de réduire la durée de l’accouchement, sans quoi la durée du travail sous anesthésie péridurale serait encore plus long.

Dans cette étude et dans la presse Française (par exemple  ici ou ici), on s’interroge donc (avec raison!) sur l’hypermédicalisation des naissances et sur l’opportunité de réfléchir aux conséquences sur la physiologie des méthodes employées actuellement dans les salles de naissance, et notamment l’utilisation quasi systématique de l’anesthésie péridurale.

Personnellement,  je crains la lecture qui pourrait être faite de cette étude. Il n’est pas question de remettre en question son sérieux et ses résultats mais les conclusions et les raccourcis faciles qui pourraient en être tirées me semblent dangereux:

– En ce qui concerne les changements physiologiques des femmes et des bébés, il me semble qu’on aurait vite fait de tirer la conclusion que les femmes seraient à l’origine de leur propre calvaire compte tenu de leur laisser-aller alimentaire.  Le lien de causalité entre poids maternel / poids du bébé et longueur de l’accouchement, est d’ailleurs sujet à caution. Ainsi selon le Docteur Emmanuel Bujold, chercheur en obstétrique à l’Université Laval :

Bien que la taille du bébé influe sur le durée du travail, on ne sait pas encore s’il faut prendre en compte son poids ou la taille de la tête. Même constatation quant à l’obésité de la mère. Des études ont démontré un lien entre le surpoids chez la femme et le temps de l’accouchement. Mais il faut encore définir si c’est le surpoids lui-même ou le manque d’exercice qui influe sur la durée du travail.

De même, souligner l’âge de la future maman me semble être susceptible d’apporter de l’eau au moulin de ceux qui considèrent que les femmes ont de nos jours tendance au carriérisme au détriment de leur famille (SACRILEGE) et qu’elles sont malvenues ensuite de venir se plaindre des conséquences comme leur infertilité ou la durée de leur accouchement.

– En ce qui concerne le recours à la péridurale et à la césarienne, je suis également très méfiante. D’abord on parle d’allongement du temps de l’accouchement, mais 2h de plus, est-ce un réel problème, dans la mesure où l’accouchement est rendu « confortable » par la péridurale? Je n’ai pas accès à l’article dans son intégralité mais aussi bien dans l’abstract que dans les commentaires, je n’ai pas vu de référence à cette notion de confort… En outre dans le même article cité plus haut, le Docteur Bujold précise:

Il y a longtemps eu une certaine crainte à l’égard de l’épidurale, et un certain intérêt des femmes à accoucher naturellement. Alors que ce sont souvent les femmes qui ont les accouchements les plus longs et les plus difficiles qui demandent l’épidurale, si bien qu’ici, l’épidurale peut très bien être l’effet plutôt que la cause.

Une autre piste d’explication (évoquée par le site canadien cyberpresse) aux complications qui seraient causées par la péridurale, serait qu’en réalité, il faudrait accepter que le corps des femmes sous péridurale réagit différemment, ce à quoi le personnel soignant ne serait pas bien formé:

La péridurale a un effet connu sur la durée du travail avant les poussées. Il faut donc réajuster les attentes en fonction de ces effets et mieux comprendre la physiologie de la femme sous péridurale.

Je pense que cela est particulièrement vrai aux Etats-Unis (lieu de cette étude) et en Angleterre (où j’ai accouché) où le recours à la péridurale est moins généralisé qu’en France.

Bien sûr, la péridurale systématique qu’on a tendance à pratiquer en France pour pallier le manque de personnel médical est problématique, d’autant plus que ses contraintes et ses effets secondaires ne sont pas toujours abordés avec les femmes, comme le monitoring, la sonde urinaire et la perfusion qui l’accompagnent, la prolongation du travail, l’augmentation du risque du nécessaire recours aux instruments (ventouse et forceps) etc… En outre, les témoignages à la suite de l’article d’A la mère si : Les douleurs de l’accouchement montrent que ces douleurs sont parfois très bien tolérées voire acceptées par les femmes (il faut ainsi différencier douleur et souffrance), alors que les gestes médicaux peuvent être vécus comme de véritables mutilations, ce qui transpire des commentaires de l’article de Sauterelle Box: Nos douleurs secrètes.

Mais dans mon entourage (je ne sais pas si cela change quelque chose d’être en Angleterre plutôt qu’en France?), je ressens comme une diabolisation systématique de la péridurale. Non seulement celle-ci est accusée de tous les maux (comme être à l’origine de l’augmentation du nombre de césariennes, malgré des études qui démontrent l’inverse: Voir par exemple: Chestnut et al, 1987, Anesthesiology, 66(6): 774-80) mais encore il y aurait comme un manque de courage, une certaine indignité à accoucher sous anesthésie péridurale.

Mon expérience de l’accouchement a été assez euh… traumatisante.

A la fin de ma grossesse, j’etais très sereine après avoir bien potassé mon Chantal Birman (Venir au monde, ce qu’accoucher veut dire, éditions de la Martinière, 2003), mon Maïtie Trélaün (Je vais accoucher et j’ai peur de la douleur, éditions du Souffle d’or, 2008) et les autres œuvres du genre sur l’accouchement physiologique. J’étais presque convaincue qu’il suffisait d’accepter la douleur et de la considérer comme guide plutôt que comme un adversaire pour qu’elle soit gérable. Je m’étais même documentée sur la naissance orgasmique (j’avais de l’espoir). Grand Prince, je m’accordais quand même la possibilité de changer d’avis et d’avoir une péridurale si finalement j’étais douillette. J’avais donc noté sur mon « birth plan » que je préférais accoucher au « birth center » (un équivalent de maisons de naissances, tenu par des sages-femmes et peu médicalisé), que je  ne voulais en aucun cas recourir à la morphine (diamorphine ou péthidine), que je n’aurais de péridurale qu’en dernier recours, que l’ocytocine était hors de question et que je tuerais à coup de dent quiconque m’approcherait avec des ciseaux d’épisiotomie.

En réalité, j’ai perdu les eaux dans un restaurant à midi le samedi (on m’avait dit que ça n’arrivait que dans les films). A midi et demi, j’ai eu comme une de ces très grosses crampes au mollet, mais dans toute la colonne vertébrale, la ceinture abdominale et le sexe, qui ne s’arrêtait jamais, bien qu’elle faiblisse légèrement en intensité toutes les 2 mn 30 pour repartir de plus belle 15 secondes plus tard. A la maternité, on m’a directement admise à l’hôpital (et interdite de birth center) pour cause d’infection aux streptocoques B. A 16h j’étais dilatée à 1 cm, comme à l’examen de 17 h, 18h et 19h. A ce stade mon mari m’a finalement obtenu une injection de morphine – je l’avais demandée moi-même sans succès, en fait dire qu’on a VRAIMENT mal quand on accouche, c’est comme dire qu’on est pas fou dans un hôpital psychiatrique, plus on le dit, plus on a de chance de passer pour une hystérique et de toute façon personne ne vous croit.  La douleur est alors devenue supportable pendant les 4 heures suivantes. Et quand l’effet s’est estompé, victoire, j’ai pu avoir une péridurale…. J’ai ensuite pu dormir, enfin…  A 6h le dimanche,  j’étais à 8cm, tout comme à 9h, 10h puis 11h, et on m’a donc posé une perfusion d’ocytocine parce que les 24h fatidiques après la percée de la poche des eaux approchaient. A 14 heures, on m’a réveillée  et demandé de pousser. Je ne sentais pas mes jambes, ni ce que je faisais, et je n’avais pas du tout l’envie irrépressible de pousser qu’on m’avait décrite. A 13h30, j’y étais encore, épuisée, mais pas la queue d’un bébé en vue. La péridurale ne faisait plus effet, et une infirmière me lisait les formulaires de consentement  pour une éventuelle césarienne d’urgence. Mon fils est finalement né à 15h30, par voie basse, avec épisiotomie et forceps.

Autant dire qu’après ça, j’ai mis des mois à ravaler ma RAGE, parce que j’avais eu le sentiment de ne jamais être écoutée, de subir des souffrances épouvantables et inutiles. Je ne COMPRENAIS pas pourquoi on me laissait avoir mal comme ça. J’ai eu l’impression d’avoir été arnaquée, rien de moins, par les auteurs des livres sur l’accouchement physiologique! D’ailleurs je ne me rappelais pas ce que j’avais bien pu lire et qui aurait pu me pousser à croire qu’avoir mal pourrait être bon pour moi ou pour mon bébé!

Bon, j’ai fait mon chemin depuis et constaté que mon expérience est loin d’être la majorité des cas, et aujourd’hui j’ai pardonné à Chantal et Maïtie… Mais après cette expérience, autant dire que la durée de 6h30 décrite par l’article me fait rêver, et que j’examine avec circonspection toute attaque à l’encontre de la péridurale, mon AMIE.

A tout le moins, lorsque l’on parle des effets négatifs de la péridurale, je pense qu’il est important de rappeler qu’un accouchement plus rapide n’est pas forcément plus réussi qu’un accouchement un peu plus long qui s’est fait sans (trop de) douleur… Et sinon, depuis mon accouchement, j’ai arrêté d’utiliser le mot:  « douillette »!

Drenka