Quelle place faire au désir sexuel des jeunes garçons ?

Je reviens sur cet article de Nancy Huston dans Le Monde intitule « le désir des hommes livré à l’industrie du prêt à jouir« .

Je comprends la réaction épidermique de Une jeune idiote, dans le traitement qu’elle a fait de cet article dans son post « L’éducation sexuelle des garçons : coup de gueule« , mais ayant à la maison un garçon en train de muer, et commençant à dévorer les « mangas à forte poitrine », j’ai forcément une lecture très différente.

Je reviens sur ce passage qui a fait couler beaucoup d’encre :

« Certes il est souhaitable que les garçons aient une connaissance solide de l’anatomie féminine, de la menstruation, de la contraception… Mais qu’en est-il de leurs propres troubles troublants ? L’effet de la montée des hormones n’est pas le même chez le garçon que chez la fille. Qu’est-ce qu’avoir un corps masculin désirant, bandant, frémissant, vulnérable, bouleversé ? Que faire des fantasmes qui tourmentent ? Peut-on se donner soi-même du plaisir hors culpabilité… et hors vulgarité ? Que faire de l’amour, de la jalousie, de l’impuissance, de la dépression post-coïtale ? Que faire des passions et peurs que suscite la sexualité masculine naissante, souvent totalement obsédante ? »

Moi je n’y ai vu nulle part écrit une incitation aux jeunes hommes à se jeter sur toute femme qui passe et qui serait à leur goût au nom d’un désir irrépressible et légitime.

Il y est seulement question à mon sens de l’existence du désir sexuel particulièrement aigu chez l’ado, et de la réponse que nous adultes en principe référents nous lui faisons.

Et Nancy Huston s’insurge à mon avis à juste titre sur l’absence de réponse adéquate  :

Eh bien, répondent avec un bel ensemble les parents, enseignants et écrivains français : rien, puisqu’il n’y a pas de différence. Ce qui – la curiosité étant intense et les hormones puissantes – laisse le champ libre au prêt-à-jouir, la jungle envahissante de ce qui va vite et se vend bien, oui, l’équivalent rigoureux du fast-food : le fast-sex de la pornographie.

Le seul point avec lequel je ne suis pas d’accord, c’est que cet envahissante appétence sexuelle ne concernerait que les garçons. Je crois que fille comme garçon, la marchandisation de tout les rend à cette période de leur vie particulièrement vulnérables aux sirènes de marketing , qui comme le dit l’auteur est essentiellement encore dirigé par « de vieux hommes blancs ».

Je me suis plongée dans mes divers ouvrages à portée de main sur l’adolescence, et c’est vrai qu’à part dans le livre de Marcel Rufo sur intitulé « votre ado », je n’ai pas vu grand chose sur l’accompagnement de la puberté. Il parle notamment et sans détours de la masturbation, passage utile et nécessaire, des « pollution nocturnes » (« ne pas en parler à votre ado : il a droit à son intimité« ) , des croyances sur la taille du penis et des ses effets. On est d’accord ou pas, mais les sujets ont le mérite d’être évoqués.

Voici ce qu’il dit de la masturbation :

Il faut considérer la masturbation comme une étape positive dans le développement de la sexualité. Elle ne doit surtout pas être punie ni empêchée, même si certains parents la trouvent trop fréquente chez leur enfant. Il n’existe en la matière aucune norme, certains adolescents y ont recours souvent et longtemps, d’autres très occasionnellement.

Seul pose problème l’adolescent qui ne ferait plus rien d’autre. Ce cas est fort rare et doit conduire les parents à s’interroger sur les causes profondes d’une manifestation d’une grande angoisse et d’un grand besoin de réassurance.

A noter qu’il dit toujours « votre ado » : cela peut être aussi bien un garçon qu’une fille.

Il rejoint un peu Nancy Huston dans le lien entre l’appétit sexuel excessif et l’angoisse.

Et là où je suis encore 100% d’accord avec Nancy Huston, c’est dans cet extrait :

Liberté sexuelle ? Tout juste le contraire. L’Eglise stigmatisait la sexualité, parlait de parties honteuses ; la pornographie massivement consommée jour après jour est liée aux mêmes opprobres, hontes et interdits. Elle est un monde de pure contrainte. Liberté d’expression ? Loin de là. Qui s’exprime et qu’est-ce qui s’exprime là-dedans ? La seule chose libre dans la pornographie, comme dans les McDo, ou les poulaillers sans fenêtres, ou les maïs transgéniques, c’est le marché.

En ce sens que l’omniprésence de la sexualité dans la pub, la facilité d’accès à la pornographie, incitent à la consommation compulsive, jamais à la réflexion sur le sens de la vie , qui seule peut permettre de s’émanciper de cette addiction au sexe temporairement normale à l’adolescence.

Et que paradoxalement à cette apparente liberté d’action que donnerait notre société ne permet pas à nos jeunes d’accéder au stade d’adulte.

Dans L’ado et le bonobo, de Nathalie Levisalles, on peut lire aussi :

A la puberté, explique l’américain Jay Giedd,( chercheur en pédopsychiatrie et neurosciences à l’Institut National de la santé mentale aux Etats Unis), ce n’est pas que la testostérone et les œstrogènes changent la structure du cerveau, c’est plutôt que certains niveaux d’hormones déclenchent des interrupteurs neurologiques qui à leur tour, ont d’importantes conséquences sur l’intérêt sexuel et sur l’humeur. Comme le dit son collègue Ronald Dahl, il est probable que l’action de ces hormones sur le cerveau explique le tendance des adolescents à rechercher des situations qui apportent émotions et passions.

Pour une fois les sciences confirment ce que la littérature raconte depuis que le livre existe !

Dans les sociétés traditionnelles, où les rôles sont très définis pour chaque sexe, les aînés accompagnent  les jeunes dans diverses cérémonies de passage à l’âge adulte.

Et nous qui voulons que nos enfants fille ou garçon fassent le métier de leur choix hors des stéréotypes de genre, quel repère de stabilité pouvons-nous leur donner ?

Je crois personnellement beaucoup à l’humour, la tendresse, et un minimum de recul par rapport aux biens matériels.

Et c’est certainement par nos comportements, nos paroles, que nous pouvons jouer poser un cadre rassurant autour de cet emballement du corps et des émotions.

Mais inutile de dire que ces temps-ci tout ça me fait pas mal cogiter :)) !

11 réflexions sur “Quelle place faire au désir sexuel des jeunes garçons ?

  1. Petit commentaire vite fait avant de continuer ma lecture : je précise bien dans mon article que je ne réagis même pas à l’article du Monde en fait (je n’y ai pas compris grand chose, tellement je m’attendais à quelque chose de différent sur le sujet… je l’ai lu avec une certaine faim et cette faim n’a pas été comblée, puisque l’article ne parlait pas du tout de ce à quoi je m’attendais…) du coup je suis contente que quelqu’un ait pris en charge l’article en lui-même. Je considère que mon billet a lieu d’être dans le sens où ça faisait vraiment longtemps que je cherchais comme m’y prendre pour dire ce que j’avais sur le coeur, et cet article (pas son contenu, mais mon attente envers lui), a ouvert la soupape.
    Bon. Maintenant je lis la suite ^^

    • Oui j’ai bien compris, et je ne suis pas non plus en désaccord avec ce que tu as dit. Mais j’étais trop frustrée que le message ne soit pas passé !!

      • Du coup tu as bien fait de le faire passer ;)
        J’aurais dû approfondir mille fois, parler de mille sujets, mais j’étais un peu dans le pâté et vraiment la tête dans le guidon, comme quoi ça me taraudait depuis des lustres ce sujet…
        Merci à toi de remettre les pendules à l’heure donc.

  2. Bon ben après avoir tout lu je suis 100% d’accord avec ce que tu as écrit !
    Et du coup je comprends le sens de l’article… un grand merci ;-)
    Je vais ajouter le lien de ton billet comme complément de lecture sur mon blog, parce que oui ça peut prêter à confusion… et ton billet est très bien construit (contrairement au mien ? je ne sais plus du coup)

  3. Pingback: [VI] L’éducation sexuelle des garçons : coup de gueule | Élucubrations d'une jeune idiote

  4. Merci beaucoup pour cette belle contribution et merci de nous offrir un peu de ta réflexion sur un sujet qui te touche de près.
    Comme toi, j’ai un peu tiqué sur les désirs sexuels des garçons qui seraient plus intenses que ceux des filles… mais je suis d’accord pour dire que les uns comme les autres sont bien mal pris en charge par notre société et que seules des réponses bien inadéquates leur sont apportées.

    Je n’ai pas encore d’idée bien précise de ce qu’il me faudra faire (ou pas) pour aider mon ado le moment venu (qui se rapproche à grand pas…) mais je sais que j’ai envie qu’il se construise avec une idée positive du désir sexuel, qu’il faut respecter en tant qu’émotion (comme on respecte la grande colère du tout petit tout en lui apprenant à la gérer sans qu’elle devienne une violence faite à autrui). Je me sens encore gauche et au tout début début début du chemin de maman d’ado et je suis très heureuse d’avoir l’occasion de m’interroger sur ce sujet.

  5. Je suis très loin encore d’avoir des ados à la maison (mon aînée à 3 ans).
    Mais j’ai le souvenir de mes tantes m’appelant un peu avant les « cousinades » que j’organisais dans mon appartement d’étudiantes (réunions des cousines pour faire du shopping mini-budget, faire une sortie et papoter… la grande liberté pour les ados !), qui m’expliquaient leur désarroi face à certaines (non) questions de leurs filles…

    Bref, l’aura de « grandes » (ma sœur et moi), qui avions l’air épanouies (surtout parce qu’on avait notre propre appartement !) nous permettait de parler de sexualité et de leur remettre les idées en place. J’avoue avoir failli tomber du lit quand l’une d’elle nous confiait qu’elle pensait que dp et autres pratiques du même genre étaient obligatoire, dès les premières fois… La pression et la désinformation dès le collège est ahurissante !
    Je ne vois pas trop comment les parents peuvent aborder ces thèmes eux-même, et je suis bien certaine que la majorité des ados ne leur poseront jamais certaines questions. Voir recevront avec une oreilles suspicieuse tout conseil des parents…
    En revanche, j’ai l’impression que des adultes bienveillants or famille proche (parrain, cousins, ancienne babysitter, voisin…) peuvent jouer ce rôle bien plus facilement.
    Encore faut-il trouver les bons relais…

    • Oui c’est vrai les ados n’ont pas envie de parler de sexualité avec leur parents . Mais on peut parler de notre vision des choses à l’occasion de faits d’actualité, leur fournir des livres d’information plus pertinents que le dico des filles…
      Selon leur âge et leur maturité, laisser traîner Causette.
      Il en restera toujours quelque chose dans un coin de leur tête.
      C’est vrai que c’est bien pour eux d’avoir la possibilité de parler à quelqu’un d’autre de proche.

      • Et enseigner le sens des mots, le bon vocabulaire ?
        C’est peut-être dérisoire, mais j’ai trouvé primordial de nommer vagin, urètre et anus avec le même sérieux (ou humour, ça dépend des fois !) que nez, ventre et pied. Elles savent aussi à quoi sert et comment se met une coupe menstruelle (et qu’il faut être gentil, parce que ma patience s’émousse beaucoup plus vite, hum…)
        Parce que la connaissance, c’est le premier pas vers la confiance en soit, le respect de soit et de l’autre…

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  7. Pingback: Une éducation anti-sexiste, pourquoi ? Comment ? [dossier thématique] | Les Vendredis Intellos

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