Socialisation de genre dans la famille : investissements inégaux et comportements distincts avec les garçons et avec les filles

J’ai trouvé l’ouvrage Introduction aux études sur le genre (co-écrit par Laure Bereni, Sébastien Chauvin, Alexandre Jaunait et Anne Revillard) à la bibliothèque universitaire de mon campus. J’ai eu directement de l’intérêt pour lui car il me semblait complet et traitant d’à peu près tous les sujets des études sur le genre cependant il est très long et impossible à traiter en une fois.

couverture de l'ouvrage, pour les intéressé.e.s

couverture de l’ouvrage, pour les intéressé.e.s

C’est pourquoi j’ai choisi décidé de parler du paragraphe intitulé La socialisation de genre dans la famille et plus précisément les parties concernant les investissements et comportements parentaux.

Pour commencer, je ferai un léger détour par la psychologie. Plusieurs études ont analysé les différents comportements des pères et mères avec leurs enfants :

 » Les mères passent plus de temps avec leurs enfants, davantage pour des activités continues de soin et de stimulation ‘distales’ et visuelles (faire coucou, etc.) alors que les pères se chargent des activités ludiques plus ponctuelles, avec plus de « stimulations kinesthésiques » (bercer ou jouer à de petits jeux physiques). « 

Pères, mères : investissements inégaux et distincts

On remarque que les gestes du quotidien sont déjà séparés d’un côté par les attentions des mères et les attentions des pères qui sont différentes. Sans qu’il soit encore question d’investissement ou d’attitudes vis-à-vis de leurs enfants.

On sait, même avec tous les discours égalitaires qu’on entend, que l’investissement parental est loin de l’être, les mères sont toujours les plus occupées et préoccupées par leurs enfants. (Rappel : hommes et femmes consacrent respectivement 3h52 et 2h24 de temps au travail domestique.) De plus, cette investissement maternel exigé par la société n’est apparu qu’au cours du XIXe siècle. C’est à ce moment qu’est apparu le concept de la « bonne mère » et avec, l’inégale division sexuée du travail parental s’en est trouvée naturalisée.
Même si au cours des dernières décennies, on observe une transformation du rôle de père – qui était auparavant une « paternité de statut » – valorisant des investissements considérés jusqu’alors comme exclusivement maternels (changer la couche des bébés, donner le bain, aller chercher les jeunes enfants à l’école, etc.),

 » ce nouveau modèle de paternité se décline largement comme une ‘paternité d’intention’, davantage circonscrite à un engagement personnel qu’à une injonction sociale. « 

il n’y a donc – pour le moment ? – aucune modification des codes sociaux. Surtout que cet investissement paternel peut voir sa continuité barrée par tout un tas d’obstacles (professionnels notamment).
C’est là toute la différence actuelle entre les investissements des pères et des mères. Un père, n’ayant aucune injonction sociale sur cela peut  » s’accomoder d’un investissement psychologique et matériel bien plus faible que celui des mères «  . Contrairement aux mères pour lesquelles «  il est difficile de s’exonérer sans coût « 
De même, «  l’investissement professionnel des mères, ne rend pas pour autant possible, pour elles, des formes de désengagement domestique acceptées chez les pères, y compris les plus ‘modernes’ « 

Il est aussi intéressant de noter que chez les les couples homosexués (familles lesboparentales ici), même si les rôles parentaux ne s’établit pas sur une norme de genre naturalisée, le poids de la contrainte hétérosexuelle de la société amène ces mères à une « hypercorrection maternelle » pour légitimer leur rôle et leur place dans l’univers hétéronormatif de notre société actuelle. (voir article Les mères lesbiennes, Le Monde, citant l’étude de Virginie Descoutures.)
Pour une raison différente, mais de la même manière, lors d’un divorce, le modèle d’investissement privilégié des mères s’accentue. Il faut rappeler que :  » la résidence des enfants mineurs est fixée à 77% chez la mère, 8% chez le père et 15% en alternance, les familles dites ‘monoparentales’ sont constituées à 86% de mères seules avec enfants.  »
On peut souligner aussi l’incidence importante du niveau d’instruction de la mère par rapport à celle, quasi nulle, de celui du père, sur la scolarité des enfants car, encore une fois, ce sont elles les plus amenées à s’investir et à prendre en charge tout ce qui va avec la scolarité mais aussi la réussite scolaire ( visite de musées, inscription en bibliothèque, etc.)

 » En pratique, ce sont encore les femmes qui font faire les devoirs, surveillent ce que les enfants regardent à la télévision, les emmènent aux activités extrascolaires et achètent les jouets  » (rapport marketing d’un fabricant de jouets.)

En ce sens, les mères connaissent beaucoup mieux leurs enfants que les pères.
D’ailleurs, les enfants apprennent «  les dichotomies hiérarchisées hommes/femmes, extérieur/intérieur, public/privé. […] les enfants perçoivent quels rôles sont associés à chaque sexe et sont capables d’identifier très jeunes les tâches ‘féminines’ ‘ménage, cuisine, soins effectués sur les autres membres de la famille) et ‘masculines’ (lire le journal, descendre les poubelles, bricoler ou faire de petites réparations, etc.)

En plus de saisir très jeunes les différenciations sexuées des tâches domestiques, les enfants voient leurs parents se comporter différemment avec eux en fonction de leur sexe (terme abusif ici car il ne considère pas l’identité de genre de l’enfant.).

Les parents se comportent différemment avec les garçons et avec les filles

D’un point de vue historique, il existe un paradoxe étonnant dans l’éducation des enfants.

« Alors même que la frontière entre destins féminins et masculins s’est progressivement érodée à l’âge adulte, alors que la norme de mixité et d’égalité dans l’éducation gagne du terrain, l’environnement proposé aux enfants est de plus en plus sexué, et ce de plus en plus précocement. « 

Sous l’ancien Régime, filles comme garçons étaient habillés en robes et avaient les cheveux longs. Ce n’était qu’en grandissant, bien plus tard, que la distinction s’effectuait. (« en arrachant le garçon à l’univers domestique. »)

Au cours du XXe siècle, la séparation se fait de plus en plus jeune, si bien qu’aujourd’hui, on n’a sans doute jamais autant distingué physiquement les jeunes enfants les uns des autres. (par le vêtement notamment.)
Il est considéré par celleux qui tiennent à la norme de différenciation des sexes que celle-ci doit être faite de plus en plus tôt, du fait de l’ouverture croissante des destins sexués à l’âge adulte.

Et c’est là qu’il faut distinguer les discours égalitaires et les pratiques réelles qui continuent à bien des égards à différencier les enfants selon leur sexe. Cependant cela se passe rarement de façon explicite ou par des sanctions négatives mais plutôt par un  » renforcement différentiel  » * des comportements spontanément affichés par l’enfant.

*  » Fait pour les parents de récompenser et d’encourager davantage les comportements ‘masculins’ chez les petits garçons et les comportements ‘féminins’ chez les petites filles. Un tel processus opère par sélection a posteriori des conduites conformes plutôt que par injonction ex ante. « 

Directement liés à ces attitudes parentales, les enfants savent adopter des comportements de sexe assigné sans même pouvoir référer celui-ci et ce sexe à une certaine anatomie. Il y a convergence d’études psychologiques et sociologiques sur la mise en exergue des injonctions parentales distinctes selon le sexe de l’enfant.

Dès la petite enfance, le nouveau né est perçu différemment par ses parents en fonction de son sexe, une fille sera « mignonne », « petite » tandis qu’un garçon sera « solide », « éveillé », « costaud ». Il semble cependant que, dans la majorité des familles, la mère fasse moins de différence entre les deux sexes que le père même si elle exhibe volontiers le garçon nu à l’entourage et encourage à contrario la pudeur chez les filles.

De plus, dès l’enfance et encore plus à l’adolescence, les filles sont davantage retenues dans l’espace de la famille tant pour participer – plus activement que les garçons – au travail domestique que pour utiliser leur temps libre (lecture, pratique d’un instrument, écoute musicale, activité d’embellissement corporel). Étant moins sollicités que les filles, les garçons apprennent à naturaliser le ‘service’ domestique de la part d’un être proche (ici mère/soeur, plus tard conjointe) quand les filles apprennent la division sexuée du travail vis-à-vis de leur père et/ou frère.s.

C’est à ce point précis que l’on touche quelque chose :

 » Les gestes et dispositions apprises par les filles (sensibilité à l’hygiène et à l’ordre) seront réactivés, plus tard, lors de la mise en couple, parfois ‘à leur corps défendant’, puisque ces pratiques vont à l’encontre du discours égalitaire auquel nombre de femmes de la génération post-68 ont été exposées, surtout dans les catégories moyennes et supérieures. « 

Il y a donc opposition entre les acquis de la socialisation primaire au sein de la famille et ceux de la socialisation secondaire de la fille. Tout vient donc, à la base, de l’attitude, et du comportement parental vis-à-vis de l’enfant en fonction de son sexe. A quand une éducation sans considération du sexe de l’enfant ? Ou au moins égalitaire entre garçons et filles ?

Remarque :dans la premier chapitre, le genre y est défini comme  » principe de division qui institue les sexes  » et non pas comme  » le sexe social « . De même il y est expliqué comment la biologie, discipline scientifique, ‘naturalise’ l’objet d’étude de ladite discipline par le simple fait de l’étudier.  » lorsqu’elle analyse le sexe, la biologie contribue aussi à le construire comme réalité homogène et pertinente à partir de données hétérogènes – homogénéité qui ne prend sens que dans le cadre d’un système de division hiérarchisé du monde social : le genre. « 

Pour conclure sur cette remarque, je citerai la conclusion du chapitre 1 :
 » Dans un premier temps associé à la notion de ‘sexe social’, le genre a ensuite été défini comme un rapport social hiérarchique divisant l’humanité en deux moitiés inégales. Le genre définit ainsi le sexe, qu’on ne saurait plus considérer comme une réalité physique indépendante de nos pratiques sociales. « 

Corotiqus

5 réflexions sur “Socialisation de genre dans la famille : investissements inégaux et comportements distincts avec les garçons et avec les filles

  1. « Rappel : hommes et femmes consacrent respectivement 3h52 et 2h24 de temps au travail domestique »
    C’est plutôt le contraire, non ?
    En tout cas, merci pour cet article ; je sens que je vais compléter ma bibliothèque !

  2. Bravo pour ce gros travail de synthèse!!! Et officiellement bienvenue parmi les neurones de la fin de semaine!!! Tu poses la question: « A quand une éducation sans considération du sexe de l’enfant ? » J’ai l’impression que ce n’est pas encore pour demain, non seulement en raison de celles et ceux qui y mettent de la mauvaise volonté (ou carrément qui voient ça comme une hérésie) mais aussi parce que les stéréotypes sont assez largement incorporés et inconscients et que c’est un effort de chaque instant de les déconstruire.
    Par exemple: ce matin j’ai croisé sur un échafaudage de ravalement de façade une ouvrière qui y travaillait. Je suis profondément pour le fait qu’hommes et femmes aient accès à tous les métiers, sans discrimination de genre pourtant un truc dans mon cerveau a dit « tiens, c’est bizarre ». Je peux dire à mon cerveau « tu as tort de trouver ça bizarre », je peux même en être objectivement convaincue, je n’ai pas de prise sur cette réaction quasi instinctive qui est le résultat des années et années « d’habitude » à ne voir que des hommes sur les échafaudages. Devant ce comportement inconscient, je ne peux que suspecter que l’éducation que je donne à mes enfants, en dépit de ma volonté de bien faire est très très très loin d’être égalitaire.

    • Merci beaucoup !!
      Je suis d’accord, et même si c’est un travail qui ne se fera pas – je pense – en une seule génération, l’éveil des conscience à ce problème peut tendre à réduire ce phénomène, et à terme, on ne fera plus de différences (je l’espère en tout cas ! )

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