Vous aviez été nombreux et nombreuses depuis plusieurs semaines à évoquer la question du sexisme dans l’éducation des enfants (sexisme des jouets, des vêtements, mais aussi stéréotypes de comportements, etc…) ainsi que quelques tentatives pour lutter contre (discussion autour des expérimentations de non-mixité, d’école « gender neutral », etc…). Je vous renvoie notamment aux billets de Madame Zaza of Mars, de Phypa, de Lucky Sophie, de French Girl In London, et de Lalaloutte (et je suis sûre d’en avoir encore oublié!!!). Bref, assez mal à l’aise pour manipuler le concept et les implications de ce que les médias nomment désormais « théorie du genre », je me suis vite mise en tête de nous trouver un Guest pour éclaircir tout ça…. sauf que…. j’ai cherché un bon moment!!!!
Jusqu’à ce que Socio Sauvage, étudiant en Master de sociologie à l’EHESS accepte de plancher pour nous sur le sujet…. du coup, j’ai décidé de lui donner sa chance en tant que Guest!!!!
C’est donc avec grand plaisir que je vous laisse découvrir son travail….:
- La socialisation peut s’effectuer par entraînement ou pratique directe : c’est le cas notamment lors de formation pratique (ex : apprendre à danser).
- La socialisation peut être le fait d’un effet diffus de l’organisation d’une situation : ici, c’est l’environnement ou le cadre de l’activité qui socialise (ex : la non-mixité des toilettes publiques, des douches ou des vestiaires).
- La socialisation comme inculcation (implicite ou explicite) de valeurs, de modèles, de normes : il s’agit ici de l’ensemble des normes et des valeurs diffusées dans la société (ex : la publicité).
On peut définir le genre de manière assez simpliste comme le « sexe social ». L’historienne américaine Joan Scott a proposé une définition devenue canonique : « le genre est un élément constitutif des rapports sociaux fondé sur des différences perçues entre les sexes, et le genre est une façon première de signifier les rapports de pouvoir » [2] (pour une définition plus complète voir ici). Cette définition à l’avantage de montrer que le genre aide à penser la dimension sociale de la différence des sexes, et que cette différence n’est pas neutre, mais se constitue plutôt comme une hiérarchie (ce qu’on appelle souvent la domination masculine).
La mise en place de cette différence des genres commence très tôt dans la vie des individus. Les technologies modernes permettant de connaitre le sexe du foetus font désormais débuter ce processus avant même la naissance, avec le choix du prénom. En effet, à l’exception de quelques cas (les prénoms épicènes), le prénom est un marqueur efficace du genre. Derrière la banalité de ce rappel, il faut bien voir que cette distinction entre prénoms féminins et masculins organise le rappel permanent des identités de genre.
Cette identification du genre de l’individu est décisive dans la mesure où l’on adopte un comportement différent face au masculin et face au féminin, y compris lorsqu’ils sont très faiblement différenciés. En effet, de nombreuses études ont montré que des individus ou des parents n’utilisent pas le même vocabulaire pour décrire des bébés identiques ou semblables : les garçons seront décrits comme « grand », « éveillé » ou « costaud », là où les filles seront décrites comme « mignonne », « gentille » ou « belle ». Plus largement, les filles sont décrites comme ayant les traits fins, alors que les garçons sont décrits comme ayant les traits marqués [8]. Cette différence de représentation chez les parents vont les conduire, dès la petite enfance, à adopter des comportements et des attentes différents en fonction du genre de leur enfant. Ainsi, les mères [9] attachent une plus grande importance à la propreté et la pudeur des filles [10]. De même, elles sont plus exigeantes avec les filles, qui sont rapidement considérées comme responsables et partenaires de la vie familiale. On constate ainsi logiquement que celles-ci participent trois fois plus aux tâches domestiques que les garçons [11].
Il apparaît ainsi clairement que les parents inculquent (consciemment ou inconsciemment) des normes et des valeurs différentes aux filles et aux garçons. Ce phénomène est amplifié par le choix de vêtements différents pour les filles et les garçons : le rose contre le bleu, les robes contre les pantalons. Pour les filles, d’un côté le rose renvoi à une idée de douceur et de « mignon », de l’autre la robe, associée à l’exigence de pudeur, permet d’inciter à un fort auto-contrôle du corps (ne pas écarter les jambes par exemple) [12].
Cette transmission des identités de genre peut aussi se faire de manière plus diffuse. C’est le cas notamment lors des processus d’identification au parent du même sexe. Progressivement l’enfant passe de la simple identification, le garçon que veut bricoler « comme papa » ou la fille qui veut cuisiner « comme maman », à un comportement intériorisé. Or, même si les mentalités ont évolué, les comportements des pères et des mères sont encore extrêmement différenciés : si les hommes ont légèrement tendance à plus s’occuper des enfants, cette activité reste encore très largement féminine, de plus, la répartition inégale des tâches domestiques ne s’est pas véritablement améliorée [13]. Ainsi, les filles continuent à s’identifier à des mères assumant la plupart des tâches domestiques « intérieures », et les garçons à des pères assumant les quelques tâches domestiques « extérieures (bricolage, sortir les poubelles), reproduisant l’ancienne opposition dedans/dehors très structurante des inégalités hommes-femmes.
Après avoir dressé ce portrait peu flatteur de la famille reproduisant des modèles sexistes, il me faut préciser qu’ici ce sont moins des individus qui sont en cause, que la force d’inertie des structures sociales.
L’école, un appareil de légitimation des inégalités de genre
Les sciences sociales font un bilan plus ambivalent du rôle de l’école dans la reproduction des inégalités de genre, notamment parce que depuis quelques années les filles ont globalement une meilleure réussite scolaire que les garçons (moins de redoublement, meilleurs résultats, scolarité plus longue). Cette avancée majeure de la scolarisation des filles [14] ne doit pas masquer l’intense travail de l’institution scolaire pour légitimer les inégalités de genre, et dans une moindre mesure les amplifier.
En effet, l’un des rôles les plus importants de l’école dans la reproduction des inégalités de genre est de leur donner une justification légitime avec l’idée que la différence de proportion de filles et de garçons suivant les filières s’explique par des prédispositions « naturelles » (féminines ou masculines) ou par des goûts qui sont vus comme tout aussi « naturels ». Par exemple, les filles ont une plus grande affinités avec les études littéraires car celles-ci supposent un bon rapport à l’écrit et une sensibilité qui permet d’être « touché » par un texte littéraire. Or ces prédispositions n’ont rien de naturelles mais sont transmises de manière inégale aux filles et aux garçons : par identification avec la mère (qui est en charge de l’écrit dans la famille) et par le cloisonnement des filles à l’espace intérieur et l’injonction à se tourner vers leur intériorité, les filles développent plus ces prédispositions [15]. A l’inverse, les garçons sont meilleurs en géométrie et plus généralement dans tout ce qui à rapport à la représentation dans l’espace, car ils ont été incités à être dehors lors de leur socialisation familiale. En faisant comme si les garçons et les filles n’avaient pas vécu des socialisations différenciées avant leur entrée à l’école, celle-ci contribue à légitimer les inégalités de genre.
De plus, l’école renforce ces différences en traitant de manière différentes les garçons et les filles. D’une part,  la différence des sexes est en permanence réactivée, que se soit par l’usage des couleurs (rose et bleu), par le choix des déguisements pour le carnaval, ou en réactivant les jugements sur les filles « douces » et les garçons « actifs » [16]. D’autre part, on peut remarque un traitement différencié des élèves selon leur sexe. Les échanges sont plus nombreux avec les garçons, qui sont aussi plus individualisés, alors que les filles sont vues comme un ensemble plus homogène. Dans la même logique, les professeurs récompensent les performances des garçons alors qu’ils valorisent la conformité des filles. Mais c’est peut-être dans l’orientation que l’on retrouve le plus le poids des préjugés sexiste. Ainsi, à niveau égale un garçon sera plus incité à poursuivre dans une filière scientifique prestigieuse qu’une fille. A l’inverse, il apparaîtra « naturelle » qu’une fille, même brillante, veuille s’orienter vers une filière littéraire, alors que les enseignants s’opposeront à ce qu’un garçon brillant suive ce parcours [17].
Ainsi, loin de lutter efficacement contre les inégalités de genre, l’institution scolaire tend à les renforcer à chaque étape de la scolarité.
J’espère avoir réussi à mettre en évidence que les inégalités de genre constituent un ensemble cohérent mise en place par une socialisation de genre aux effets cumulatifs. J’essayerais de montrer dans la deuxième partie que les industries culturelles et le groupe de pairs contribuent aussi à renforcer ces inégalités. Toutefois, il faut garder à l’esprit que j’ai décrit des grandes forces sociales qui doivent être mises en relation avec d’autres formes de socialisation pour comprendre chaque cas individuel.
Pour aller plus loin :
J’ai déjà pas mal abordé la question du genre dans mes précédents billets, donc je vous renvoie aux orientations bibliographiques que j’ai pu déjà faire. Je peux rajouter, pour ceux qui voudraient se faire une idée précise de l’ensemble des questions traitées par la sociologie du genre, le manuel de référence en français : Christine Guionnet, Erik Neveu, Feminins/Masculins. Sociologie du genre, Armand Colin, 2009.
Sur l’école, il existe un ouvrage, un peu ancien, mais plutôt accessible qui cherche à comprendre pourquoi les filles qui sont meilleures à l’école ne sont ni les premières, ni les mieux payées sur le marché du travail : Christian Baudelot, Roger Establet, Allez les filles !, Seuil, 1992.
[10] Elena Giani Belotti, Du côté des petites filles, éditions des femmes, 1974.
[11] Annick Percheron, « Le domestique et le politique. Types de famille, modèles d’éducation et transmission des systèmes de normes et d’attitudes entre parents et enfants », Revue française de science politique, 35 (5), 1985.
[12] L’intérêt de ces exemples est de montrer que c’est moins l’objet en lui-même qui est important que la fonction symbolique qui lui est associée : le rose ou la robe ne signifie rien s’ils ne sont pas remplacés dans un ensemble cohérent de nomes et de valeurs. D’ailleurs cette distinction dans l’habillement est loin d’être atemporelle. En effet, au début du XX° siècle, les enfants en bas âge des deux sexes portaient des robes, de même pendant longtemps le blanc et le bleu étaient associés au féminin, alors que le rose et le rouge étaient associés au masculin.
[13] Jean-Claude Kaufmann a montré, dans La trame conjugale, l’écart persistant entre les mentalités plus égalitaristes et les pratiques encore très inégalitaires concernant la répartition des tâches domestiques.
[14] Pendant longtemps les filles ont été tenues à l’écart d’une scolarisation « normale ». En raison de préjugés naturalistes persistants (du type, « les filles sont naturellement moins bonne en science »), elles ont été cloisonnées à une scolarité reposant pour l’essentiel sur l’apprentissage de compétences domestique (la cuisine, la couture,…).
[15] Bernard Lahire, « La division sexuelle de l’écriture domestique », Ethnologie française, 23 (4), 1993.
[16] Geneviève Cresson, « La vie quotidienne dans les crèches », in Nathalie Coulon et Geneviève Cresson, La petite enfance. Entre familles et crèches, entre sexe et genre, L’Harmattan, 2008.
[17] Cendrine Marro, « Réussite scolaire en mathématiques et en physique, et passage en 1° S : quelles relations du point de vue des élèves et des enseignants ? », Revue française de pédagogie, 110, 1995.
euh… moi aussi j’ai écrit un billet sur les jouets sexistes… http://muuuum.wordpress.com/2011/09/23/la-vie-arc-en-ciel/
Merci d’avoir remis le lien…!!! Je savais bien que j’en avais oublié!!! en fait je me suis basée sur le Pearltrees des Vendredis Intellos http://www.pearltrees.com/lesvendredisintellos et comme je pense que les dernières semaines n’y sont pas encore….!!!
Super intéressant ! Vivement la suite…
Merci pour cet article et les ref citées : de la lecture en perspective !
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