kpoteDr Kpote est animateur de prévention en milieu scolaire. Depuis plus de 15 ans, il parle de vie affective et de sexualité aux lycéen.nes et apprenti.es d’Île-de-France. Après nous avoir régalé de ses chroniques dans le magazine Causette, il propose ici un recueil de ces tranches de vies adolescentes.

De beaux quartiers en banlieues décrépies, de lycées professionnels de campagne en établissements parisiens côtés, Dr Kpote traîne sa détermination sans faille depuis 2001. De la détermination, il en faut, lorsqu’arrivant dans une cour de lycée, on trouve un vulgaire stand exposé aux quatre vents, en lieu et place d’une salle de classe chauffée. Il en faut pour parler de sexe et de drogues à des adolescents tantôt mutiques tantôt surexcités. Il faut du courage et une sacrée dose de second degré pour garder la foi face à des propos souvent provocateurs, parfois violents.

« Moi, mon outil de travail, c’est les mots. Et ce sont les mots qui me hantent. Ces mots violents, grossiers, qui ponctuent mes animations et me donnent parfois envie de tout arrêter. « Putes », « salopes », « pédés », « cracher dans la chatte », « déboîter » et autres « défoncer », autant de termes associés à la sexualité qui salissent ce qui nous reste d’humanité. « Si vous banalisez des mots violents, vous banalisez des actes violents. » Combien de fois ai-je martelé cette phrase, jusqu’à avoir l’impression de bégayer ! »

Être animateur de prévention, c’est « encourager les ados à se questionner sur leurs idées reçues et les accompagner dans la déconstruction de celles-ci », voilà pour la théorie. En pratique, c’est accueillir, à la fin d’une séance, les larmes de Leïla, violée depuis ses cinq ans par un membre de sa famille. C’est recevoir dans une classe d’apprenti.e.s en restauration, les témoignages de jeunes femmes qui découvrent le harcèlement sexuel en même temps que leur métier. C’est constater les ravages d’un dogme religieux vulgarisé qui étonnamment ne concerne que les filles. C’est faire face à ce paradoxe des garçons heureux de trouver des partenaires pour partager leurs ébats, mais qui dévalorisent systématiquement celles qui acceptent de le faire. C’est finalement se remettre soi-même en question.

Avec un humour corrosif qui n’a rien à envier aux punchlines de son jeune public, Kpote nous offre une plongée intime en adolescence. Il oppose également un militantisme bienvenu aux détracteurs de l’éducation sexuelle à l’école. Les ayatollahs de l’innocence — omniprésents dans les médias depuis l’annonce de la loi Schiappa sur les violences sexuelles —devraient se plonger dans cet ouvrage. Ils se rendraient compte du décalage entre la naïveté supposée de leurs enfants et leurs pratiques réelles. Ils verraient aussi qu’à trop protéger, on rend vulnérable.

« La Manif pour tous a tenté de faire avaler qu’on jouait les pornographes en maternelle, avec un kamasutra estampillé Dolto sous le bras ! Du coup, les lycéens m’ont souvent questionné sur cette « ignominie » dénoncée par des parents inquiets, avertis par des sms tombés du ciel… Quelle magnifique porte d’entrée pour parler d’égalité et de respect entre filles et garçons ! Rassurez-vous, on aborde aussi les inquiétudes des parents, les changements de société et surtout ces fameuses limites posées qui ne demandent qu’à être repoussées à l’âge du carnaval hormonal. Derrière Farida, Ludovine et Frigide, aussi ringardes que les triplés de Nicole Lambert dans Madame Figaro, les parents se sont mis à sataniser l’étreinte des corps, tout en s’offusquant des mots « vagin » et « pénis » pendant que leurs enfants s’érotisent sur Snapchat, se paient un petit lap dance sur Grand Theft Auto ou se cultivent avec Booba (« T’as aimé sucer, j’ai aimé Césaire »). Plus que jamais, le fossé est en train de se creuser, mais les intervenants sociaux, eux, continuent de construire des ponts entre les générations, dans le respect de toutes les sensibilités. C’est vrai, on n’a jamais autant parlé de religion et de virginité que depuis quelques années. Et bien, ça ne m’effraie pas. Certes, on peut y voir un recul de la société, mais le sujet est aussi une mine pour travailler. Aborder la virginité, c’est parler de l’hymen, du corps des femmes, du sexe féminin, du clitoris et de la masturbation, de la lutte entre désirs et limites. Pour certaines filles, c’est une véritable libération d’entendre que leur corps n’est pas sale, qu’elles peuvent l’explorer, en jouir. J’insiste aussi sur la notion de choix, dans un monde qui n’accorde pas toujours ce droit. Des filles qui acceptaient en silence finissent par s’insurger du sexisme de rue, de l’objectivation de leurs corps ou de cette abstinence qui leur est imposée sans être expliquée. J’assiste parfois à l’émergence d’un néo-féminisme émouvant dans ses balbutiements, mais tellement motivant pour l’avenir. Je ne cherche à convaincre personne et je n’invite pas à la partouze générale. Je ne fais qu’informer, accompagner ces désirs humains que beaucoup d’adultes semblent ou font semblant d’avoir oublié. À force d’interdire, les censeurs ont inventé l’« adocuiseur », dans lequel des ados bien marinés dans leurs pulsions et désirs finissent par exploser à la gueule de leur famille. Mais pas d’inquiétude, on sera toujours là pour vous aider à recoller les morceaux. »

Entre croyances et questionnements, on perçoit les doutes existentiels d’une génération biberonnée à la télé-réalité, poussée à s’exhiber sur les réseaux sociaux, « sous perfusion d’images de plus en plus impudiques ». Stéréotypes de genre, orientation sexuelle, relation à l’autre, consentement, mais aussi religion, éducation, normes… parler de sexualité c’est en fait évoquer une multitude de sujets. Et Dr Kpote de le résumer ainsi : « la sexualité, ce n’est pas seulement du cul. »

La daronne perchée

 

 

Génération Q, chroniques
Dr Kpote
Editions La ville brûle 2018
179 pages