Reflexions autour d’un tabou : l’infanticide, ouvrage collectif, éditions Cambourakis

Le livre s’ouvre sur un témoignage, celui d’une femme, sans nom et sans âge, victime de sa trop grande fertilité à une époque où les femmes ne devaient pas dire « Non » à leur mari ,où contraception et avortement n’existaient que clandestinement. En voici un extrait.

« Il y a eu des moments où je ne trouvais pas le moyen d’avorter tôt parce qu’il n y avait pas de moyens. Il fallait connaître quelqu’un, je n’avais pas d’argent non plus. […] Et donc  j’ai accouché. On venait de déménager. Mes enfants étaient dans la cuisine, moi dans la chambre. Il fallait que ça se passe vite pour que personne ne se rende compte de rien et qu’enfin je sois débarrassée de ce problème et de cette horreur. J’ai accouché, j’ai pas vu ce qui se passait, j’ai mis tout ça dans un sac plastique que j’avais mis sous le lit, j’ai mis tout ça dans l’armoire, sous un tas de serviettes de toilette, puis je suis repartie dans la cuisine… préparer le repas. Et ensuite quand j’ai été toute seule, j’ai pris ce paquet et je suis allée le mettre dans la campagne quelque part. J’ai vécu ça deux fois et maintenant ça me fait quelque chose de le dire, mais sur le moment ouf, quel soulagement ! »

Le décor  est planté. La suite est moins plombante, heureusement.

Ce projet d’ouvrage est en fait celui de 8 femmes, de 28 à 74 ans. Ni chercheuses, ni juristes mais toutes femmes et toutes interpellées par la façon dont on diabolise les femmes infanticides. Elles tentent une approche plus politique que psychiatrique et cherchent à comprendre pourquoi, justement, l’infanticide ne se justifie que s’il y a folie. Ou déni. Ou les deux.

Elles s’essayent d’abord à un exercice de définition.

Qu’est-ce que l’infanticide? Qu’est-ce qu’un enfant?

On présente les femmes infanticides comme des mères ayant tué leur enfant, ces femmes sont perçues et condamnées en tant que mères alors qu’elles n’ont justement pas voulu de ce statut. Elles sont justement allées jusqu’à la dernière extrémité pour ne pas être mères cette fois-ci. De la même manière, pour qu’il y ait un enfant, il faut que le fœtus soit investi comme tel. Or, dans les cas de ces femmes, il n y a pas d’enfant car pas de reconnaissance de ce statut pour le fœtus qui se développe en elles. Le  témoignage d’ouverture nous le montre bien, « Quand on ne veut pas d’un enfant, quand on ne l’attend pas, c’est un problème, une galère, une catastrophe mais pas un enfant. La femme n’est alors pas mère, elle ne tue pas un enfant, elle règle un problème. » Cette réflexion permet de recadrer le débat et de se rendre compte qu’on ne juge peut-être pas ces femmes sous le bon prisme. Les auteures revendiquent d’ailleurs une évolution de la législation pour requalifier ces actes.

La réflexion sur l’IMG m’a particulièrement interpellée car c’est aujourd’hui la seule solution pour interrompre une grossesse jusqu’à terme. Sauf qu’ici, la décision n’appartient plus seulement à la femme ou au couple mais surtout au corps médical qui a le pouvoir d’accéder ou non à une demande d’interruption. Une femme pourra plaider la détresse sociale et psychologique, son incapacité à recevoir un enfant à ce moment-là mais in fine, les médecins décideront. Or les IMG pour raison maternelle sont infiniment plus rares que les interruptions pour raison fœtale.

« On anticipe l’hypothétique détresse d’un être qui n’est pas encore né mais la détresse réelle, immédiate, des femmes qui ne souhaitent pas poursuivre leur grossesse au-delà des délais légaux de l’IVG, est, elle, beaucoup moins prise en compte. »

En outre, l’interruption d’une grossesse menée à terme, si elle est décidée par des médecins pour « les bonnes raisons » est admise. L’interruption d’une grossesse menée à terme, si elle est décidée par une femme, est inacceptable et sévèrement punie.

Pourquoi ?

On fait volontiers la différence pour les hommes entre géniteur et père social. Par contre, pour les femmes, la maternité est fortement naturalisée , présentée comme l’aboutissement d’une vie et forcément heureuse. Et c’est tout naturellement qu’on charge les femmes de se débrouiller avec ça.

Le tabou réside dans la remise en cause de la maternité heureuse, de la maternité évidente, de la maternité qui remplirait tout et serait forcément épanouissante.

« Le libre choix de la maternité avec le pack bonheur intégré implique que les femmes qui refusent cette perspective suscitent l’incompréhension, la condamnation plus ou moins violente, proportionnellement à l’avancée de la grossesse. »

D’autant plus à une époque où toutes les femmes ont a priori accès à la contraception et à l’IVG. On ne conçoit pas qu’une femme poursuive une grossesse non désirée. La seule excuse valable reste le fameux déni de grossesse, presque systématiquement plaidé dans les affaires d’infanticide. Reste que pour qu’il y ait « affaire » il faut que le pot-aux-roses soit avoué ou découvert. Mais pour un cas découvert, combien de cas passent inaperçus ? On diabolise les femmes responsables « d’avortement après terme » selon le terme choisi par les auteures, et on voudrait croire que c’est monstrueux, inhumain rare, exceptionnel. L’est-ce tant que ça ?

Évidemment le sujet est lourd. Mais ça n’est pas une raison pour ne pas en parler. C’est un sujet qui me touche. Avant je ne comprenais pas. Je croyais à l’amour maternel, évident et indéfectible. Maintenant je suis maman , maman ayant de surcroît été hospitalisée deux mois à la naissance de son bébé en unité mère-enfant. Maintenant je conçois l’indicible de ce qu’une maternité peut ne pas offrir tout ce dont on rêve, mais, bien au contraire, représenter un cauchemar. Je conçois qu’on ne se sente pas les ressources psychologiques pour donner à un petit être tout ce qu’il attend. Et que, démunie, dépossédée de toute solution légale, on en arrive à l’extrême que représente l’infanticide. Maintenant, je comprends.

La daronne perchée