Mais qui parle des congés liés à l’arrivée d’un enfant ?

Il semble qu’actuellement, la question des congés parentaux au sens large ne soit le cœur d’action d’aucun mouvement féministe. Il ne s’agit évidemment pas de dire que les thématiques que ces mouvements tentent de porter sur l’espace public sont moins importantes (par exemple la question des violences sexistes et sexuelles, mais aussi le droit à disposer de son corps, la question de l’occupation de l’espace public ou encore celle des stéréotypes de genre), mais d’identifier les difficultés qui se posent autour de ce sujet précis.

Si beaucoup de mouvements par ailleurs fréquemment qualifiés de mainstream mettent l’accent sur les inégalités de salaire, à partir de campagnes de sensibilisation sur ces inégalités et d’actions symboliques (comme le calcul de « l’heure » à partir de laquelle les femmes ne sont plus payées), on a fréquemment l’impression d’une dépolitisation rapide de cette question, axée sur les fameux « 9% restant » à poste égal et à temps de travail égal, que nos adversaires politiques ont beau jeu de renvoyer au « problème de la maternité des femmes » et par conséquent de naturaliser. Une analyse plus précise des outils politiques susceptibles de réduire les inégalités de salaire entre hommes et femmes est souvent absente – la théorisation de cette inégalité et l’analyse des causes sont très avancées depuis longtemps, mais aucun mouvement ne semble en tirer une série de propositions concrètes. Une série d’obstacles apparaît en effet sur la question plus spécifique des congés :

– C’est un sujet technique, qu’on ose par conséquent peu politiser. Le travail de sociologues féministes comme Christine Delphy et, dans une moindre mesure peut-être, Dominique Méda, a pu créer des passerelles entre les savoirs théoriques ou universitaires et les mouvements militants, mais la technicité du sujet se prête peu au répertoire d’actions actuel des principaux mouvements féministes.

– Sur la question des congés, la première réponse immédiatement opposée à toute revendication, est : « ça coûte cher, donc, désolés, mais non ». Cela veut dire qu’il faudrait justement une grande volonté politique et un combat militant mené de façon continue qui soutienne des mesures radicales et ambitieuses.

– Dans la presse, la parole sur le sujet vient surtout des syndicats de cadres ou de dirigeants (CFDT-cadres, MEDEF, …), ou des réseaux féminins de cadres (Grandes écoles au féminin…). La problématique se pose alors d’une façon assez restreinte : il faut garder à l’esprit que les personnes dont vient la réflexion ont des plus hauts revenus, et davantage de pouvoir de négociation au sein du travail. Cela ne doit pas lisser des dissensions importantes : la proposition de Laurence Parisot d’un congé paternité obligatoire est par exemple bien loin de faire l’unanimité au MEDEF. Le sujet est également abordé par quelques associations de pères-cadres, comme les Happy Men (auxquels j’ai consacré un billet), avec le même biais et une tendance à se situer du côté de l’engagement individuel et du management – à l’échelle de l’entreprise plutôt qu’à l’échelle des politiques publiques – ou à travers des initiatives symboliques concernant la répartition des tâches, mettant en valeur la bonne volonté des nouveaux pères : repassage en public, campagnes photographiques…

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Je pense que nous sommes un peu optimistes si nous attendons que des politiques publiques coûteuses tombent du ciel alors même qu’il n’y a pas de revendications précises de la part de la « société civile » ou de nos mouvements féministes, et de mobilisation pour les mettre en avant.

Il existe également des freins en-dehors des milieux féministes ou pro-égalité professionnelle, mais qui peuvent aussi concerner des mouvements féministes :

– Il faut d’abord noter une réticence générale à politiser la sphère privée, y compris parfois en milieu féministe où l’on crie depuis longtemps que « le privé est politique ». Pour donner un exemple personnel, l’association étudiante dans laquelle je travaille avait finalement décidé de retirer d’une liste de conseils aux hommes universitaires soucieux d’égalité H/F un conseil portant sur le partage des tâches domestiques et parentales dans la sphère privée, au profit de conseils portant exclusivement sur la vie universitaire. Dominique Méda, auditionnée par l’Assemblée nationale, soulignait ce problème :

Cette inégalité de partage des tâches est pour moi, sinon la clé, du moins l’une des clés de l’inégalité professionnelle. Il faut donc beaucoup travailler sur cette question, malheureusement jugée non noble et réservée au domaine privé. Il est frappant qu’une partie importante de la population considère encore que les politiques publiques n’ont pas à s’intéresser à la sphère privée, alors même que c’est en partie le nerf de la guerre.

– De façon plus spécifique, il y a une réticence à imposer des mesures qui priveraient les familles de leur « libre choix », notamment pour les propositions qui consistent à rendre obligatoires certains congés : l’obligation du congé paternité par exemple est vue comme une mesure liberticide et intrusive, qui ne tient pas compte des situations particulières (j’y reviendrai).

– On voit également, y compris dans certaines initiatives analyses féministes, la mise en sourdine des réflexions matérialistes qui posent le problème de l’inégale répartition des tâches en terme de travail domestique ou de travail gratuit, exploité par les hommes. Cette réflexion est remplacée par une insistance sur la volonté de réduire l’écart salarial par une meilleure répartition de ces tâches. C’est par exemple ce qui apparaît dans la perspective de Dominique Méda, peut-être aussi pour des raisons stratégiques : la grille d’analyse matérialiste est en général peu connue, et demande plus ou moins une révolution du regard sur l’analyse du travail non-marchand.

Cela implique une restriction du champ d’analyse féministe, qui n’est pas à proprement parler fausse, mais qui perd en radicalité : plus le dire très très simplement, on va souligner que les femmes ont un salaire plus faible parce qu’elles s’occupent des enfants, mais pas qu’elles effectuent ce travail gratuitement au profit de leur conjoint. Or la sphère privée n’est pas seulement le nerf de la guerre : c’est aussi le champ de bataille.

– Le plus grand obstacle reste l’idée essentialiste que le rôle de la mère est différent de celui du père, que les soins aux bébés relèvent des compétences maternelles, voire que la répartition égale des rôles est une idéologie infondée. Il ne faut pas sous-estimer la force de ce discours.

J’essaierai donc de parler ici un peu des congés liés à l’arrivée d’un enfant. Je précise mon champ de compétence : je ne suis ni mère ni spécialiste de la question. Ce billet parle de ce que je comprends des politiques actuelles sur les congés et de ce que j’en pense en tant que féministe, ou à partir de discussions avec d’autres féministes. Je ne suis pas non plus en mesure de chiffrer les propositions, ou d’évaluer assez précisément leurs conséquences en fonction de la catégorie sociale. J’espère au moins permettre de bien poser le problème, mais des corrections, des précisions ou des objections sont nécessaires et bienvenues.

La promesse éternelle des places en crèche

Puisque nous sommes en période de présidentielles, et que tout le monde va promettre des places en crèche, probablement sans en créer, je voudrais d’emblée faire un sort à cette proposition corollaire à celle des congés : la promesse de places en crèche, et plus largement les politiques publiques destinées à faciliter la garde des enfants.

Globalement, il y a un consensus sur le fait que ce serait bien d’avoir plus de places en crèches, contre-balancé par l’argument budgétaire : ça coûte cher. Il n’y a donc pas grand chose qui se passe. On retrouve une insistance sur la nécessité d’une politique publique de garde des très jeunes enfants chez Dominique Méda ou dans certains groupes de réflexion de gauche attachés à l’idée d’un grand service public, et donc d’un service public de garde qui puisse éventuellement prendre en charge tous les enfants.

Je pense en effet que les places en crèche sont nécessaires, mais j’aimerais rappeler ici, tout de même, deux objections politiques à l’externalisation de la garde des enfants de moins de trois ans, c’est-à-dire de le fait de confier à des personnes rémunérées la garde des enfants.

1. L’objection matérialiste formulée par Christine Delphy, qui souligne que réclamer des places en crèche ou subventionner les modes de garde consiste notamment à socialiser (c’est-à-dire faire prendre en charge financièrement par la société) un travail que devraient prendre en charge les hommes, mais qu’ils ne font pas :

Il faudrait aussi repenser les allocations et les services collectifs existants : le travail de qui remplacent-ils ? A qui servent-ils ? Qui devrait faire ce travail ? Qui devrait le payer ? Quand un service ou une prestation remplace soit en nature soit en argent la part des hommes, alors ce service ou cette prestation n’est pas au bénéfice des femmes, pour qui c’est un jeu à somme nulle. En revanche, la société subventionne les loisirs des hommes, mais aussi leur disponibilité pour le travail payé. Les femmes paient donc doublement, sinon triplement ces prestations et services : elles paient la part non-subventionnée (des crèches par exemple), elles paient en travail ménager, et elles paient en discrimination sur le marché du travail.

(Je recommande la lecture intégrale de ce remarquable article de Christine Delphy si vous voulez vous initier à la réflexion matérialiste. C’est un peu ardu, mais ça vaut le coup.)

Plus concrètement, il n’est pas certain qu’avoir une place en crèche aille de pair pour un couple de parents avec une meilleure répartition des tâches, même si en effet, cela permet d’avancer sur le plan de l’indépendance financière des femmes, qui reste un élément crucial. L’exemple que donne Delphy dans son article est celui d’Allemandes de l’Est qui travaillaient toute la journée avant de s’occuper du foyer et des enfants le soir, grâce au service public de crèches, mais qui enviaient les Allemandes de l’Ouest qui n’avaient que le travail domestique à faire.

C’est un peu comme l’histoire du partage des tâches qui s’améliore grâce aux plats préparés et aux appareils ménagers, alors que les hommes n’en font pas vraiment plus. On crée des crèches pour les femmes, comme si c’était leur problème.

2. L’objection souvent formulée par les théories féministes sur le travail du care, qui s’intéressent notamment à la répartition du travail de soin aux personnes vulnérables (enfants, personnes âgées ou plus largement personnes dépendantes). Il s’agit alors de prendre en compte les différences sociales entre les femmes et de souligner que le travail d’assistante maternelle est un travail mal ou sous-payé, presque exclusivement réalisé par des femmes, et souvent des femmes racisées.

Ce système qui consiste à remplacer le travail domestique des femmes par un travail marchand réalisé par des femmes repose sur un calcul assez simple : la différence entre le coût du service réalisé par une femme pour la mère et le salaire de la mère si elle travaille. Si c’est un service public gratuit ou semi-gratuit ou si un système d’aides aux solutions de garde est mis en place, cette différence augmente, et travailler devient plus intéressant financièrement : les femmes n’ont plus intérêt à s’arrêter de travailler. Mais il faut garder à l’esprit qu’il s’agit du même travail, même si des économies d’échelle sont réalisées lorsque plusieurs enfants sont gardés en même temps (mais inversement, la difficulté à chiffrer le travail gratuit des femmes vient du fait qu’elles font plusieurs métiers en même temps : garde d’enfant, cuisinière, chauffeur, aide aux devoirs, femme de ménage, etc.).

C’est pourquoi il me semble que réclamer seulement des places en crèche ou davantage de subventions à la garde d’enfant est une perspective politique insuffisante, si elle ne s’accompagne pas de mesures radicales destinées à permettre le partage des tâches ménagères et parentales.

Le congé parental en débat

Il faut évoquer (un peu rapidement) le congé parental qui a fait l’objet de débats récents, autour de la réforme du congé parental et du complément de libre choix d’activité (CLCA) en 2014 : cette réforme consistait à créer six mois d’aide supplémentaire en plus des six mois existants pour le premier enfant, à condition que chaque parent prenne six mois, et à ne maintenir la durée du versement de l’aide à trois ans au total à partir du deuxième enfant que si le deuxième parent prend au moins six mois de ces trois ans. Dans le cas contraire, si un seul parent prend un congé parental, la durée de versement de l’aide est réduite à deux ans et demi.

Il s’agit donc, par rapport au système précédent, d’un allongement pour le premier enfant, et d’un potentiel raccourcissement de la durée de l’aide à partir du deuxième enfant, si le deuxième parent ne prend pas de congé, ce qui a conduit plusieurs associations, et notamment Osez le féminisme, à dénoncer cette réforme comme une mesure d’économie fondée sur le pari que le congé ne serait en fait pas partagé, qui risquait de favoriser l’arrêt du travail pour les femmes (à titre personnel, je ne partage pas cette critique, notamment parce que, si j’ai bien compris, la durée du congé, qui protège le contrat de travail, est toujours de trois ans à partir du deuxième enfant). Je ne pense pas qu’il faille forcément parler d’une mesure d’économie, mais plutôt d’un jeu à somme nulle à peu près acceptable pour tout le monde, mais peu ambitieuse.

Caroline de Haas cite par ailleurs cette proposition de députés socialistes en 2009 (présenter une mesure aussi coûteuse sous un gouvernement de droite relève de l’initiative symbolique), qui propose un congé d’une durée 12 à 36 mois, avec une répartition minimale de 80%/20% du temps total, rémunéré à 80% du salaire. Ce projet ne touchait cependant pas au congé paternité en profondeur, mais proposait de remplacer le terme « congé paternité » par « congé d’accueil de l’enfant » pour étendre la mesure aux conjoint⋅e⋅s des mères. Cette modification a été effectuée depuis.

La proposition la plus fréquemment formulée sur le congé parental envisage un congé moins long (autour d’un an), pour ne pas pénaliser la carrière des femmes, et mieux rémunéré, par exemple indexé sur le salaire, pour qu’il soit vraiment pris par les hommes (qui ont en moyenne un salaire plus élevé), avec éventuellement une contrainte de partage. Mais les objections restent : si le congé parental ne dure plus qu’un an, que se passe-t-il entre le moment où le congé parental est terminé et le moment où l’école maternelle prend en charge l’enfant, si les systèmes de garde ne bougent pas ?

(En fait, le problème est le suivant : si on veut introduire une répartition minimale obligatoire, il faut compenser raisonnablement la perte pour le parent qui a les plus hauts revenus, et donc augmenter la rémunération du congé ; pour augmenter cette rémunération sans faire exploser le coût du congé, il faut réduire la durée de ce congé ; mais si on réduit la durée, se pose la question des modes de garde jusqu’à que l’enfant ait 3 ans, et donc le risque que des femmes soient obligées de sortir du marché du travail. Bref : à coût constant, on tourne un peu en rond)

Là encore, l’idée d’une intrusion de l’Etat dans la vie privée et d’une restriction de la liberté de choix revient, comme dans ce billet publié sur le VI en 2013, au moment de débats sur le congé parental. L’autrice écrivait alors :

Chacun d’entre nous vit des situations différentes, nos conditions de travail, de vie, nos envies ne sont pas les mêmes…. Je ne vois pas comment un gouvernement pourrait décider de ce qui est bon pour nous dans une sphère aussi intime que la famille, à moins de nous prendre pour des demeurés.

Une difficulté pour réformer les congés est que toute proposition est forcément examinée par chacun⋅e à partir de sa situation personnelle, en termes de gains ou de perte par rapport à la situation précédente. Ce que je trouve contestable dans cette façon de poser le problème, à partir de l’idée de liberté de choix, c’est que l’on suppose que le cadre antérieur n’était pas contraignant, et respectait parfaitement le libre choix des familles d’une part, et que le système social et économique qui produit ce « libre choix » cesse d’être interrogé d’autre part. C’est pourquoi j’essaierai de montrer que, dans le cas des congés maternité et paternité, le cadre légal actuel est justement très contraignant.

Modifier le congé paternité à la marge

Puisque ma réflexion s’inscrit dans une perspective féministe qui interroge la question du travail domestique des femmes au sein du couple hétérosexuel, je me situerai exclusivement dans ce cadre, et je parlerai, par facilité, de « congé paternité », plutôt que de « congé d’accueil de l’enfant », pour que la question du genre soit plus saillante.

Quelles sont actuellement les propositions autour du congé paternité ? Celui-ci semble interrogé uniquement de façon superficielle, à partir du cadre légal existant : on ne propose que des ajustements timides, comme un allongement, une part obligatoire, ou une meilleure rémunération.

Rappelons que ce congé est très récent : créé en 2002 sous Jospin et porté par Ségolène Royal, il dure onze jours pour une naissance simple et s’ajoute au « congé de naissance » de trois jours. Il n’a pas évolué depuis à l’exception de la prise en compte de situations familiales diverses (couples homosexuels et familles recomposées).

Je manque de données pour analyser les revendications en faveur d’un congé paternité mieux rémunéré, qu’on trouve par exemple dans les réseaux de pères-cadres pour l’égalité. Le discours consiste à dire que si le congé paternité actuel (de 11 jours) n’est pas toujours pris (seulement 70% des pères éligibles le prenaient en 2012), c’est qu’il n’est pas suffisamment rémunéré. L’indemnité journalière est en effet plafonnée à 83,58€ par jour… comme pour le congé maternité. La revendication d’une compensation par l’entreprise ou par l’Etat pour les pères qui prendraient ce congé avec une perte de revenus importante (c’est-à-dire typiquement des cadres supérieurs) ne s’accompagne pas d’une revendication identique pour les femmes, et ne touche réellement qu’une part réduite des pères. Le fait que les femmes de ces hommes cadres supérieurs qui peuvent avoir également de hauts revenus n’aient pas vraiment le choix de prendre ou non ce congé malgré la perte de revenus qui en résulte n’est pas interrogé. Dans la fonction publique, les pères comme les mères gardent intégralement leur traitement, et 90% des pères prennent un congé paternité. Il est cependant possible que dans le secteur privé, des compléments soient prévus par les conventions collectives ou par les mutuelles qui ne s’appliqueraient qu’au congé maternité, sans toucher le congé paternité. Je n’ai pas assez d’informations sur ce sujet et je prends volontiers les précisions.

Les revendications d’un allongement de la durée du congé sont quant à elle assez vagues, oscillent en général entre un et deux mois (sans qu’on sache si cette durée augmenterait pour le troisième enfant), et bien que l’idée d’un congé obligatoire ait été médiatisée par Laurence Parisot, celle-ci est peu suivie dans son propre camp, les employeurs craignant une nouvelle contrainte pour l’organisation du travail (déjà que les femmes embêtent tout le monde avec leurs grossesses, si en plus les hommes s’y mettent!), et un coût supplémentaire. Il fut semble-t-il un temps où le PS, avant d’être au pouvoir, proposait d’allonger le congé paternité à 20 jours – il reste quatre mois pour ajouter 9 jours, allez, on y croit…

Mais au fait, pourquoi un congé paternité ?

Une alternative consiste à repenser en profondeur la structure des congés, en termes d’égalité. Il faut en fait commencer par se demander pourquoi il existe un congé paternité distinct du congé maternité, et pourquoi il dure moins longtemps.

Je précise une chose encore : je n’estime pas, contrairement à certains groupes de pères, que les hommes sont « perdants » dans ce système, ou que les hommes « mériteraient eux aussi un congé » comme on le lit parfois. Les congés liés à l’arrivée d’un enfant ne sont pas des vacances : ils créent une obligation de prendre en charge un enfant – ils dégagent du temps pour faire un autre travail. Les hommes sont bien gagnants dans ce système.

En revanche, il me semble utile de montrer, notamment face aux discours qui insistent sur le fait que les femmes veulent s’occuper de leurs enfants (ce qui est vrai la plupart du temps) pour bloquer tout discours féministe sur le travail domestique, qu’actuellement, un homme qui voudrait s’arrêter au moment de la naissance pour s’occuper de son nouveau-né, par exemple à la place de sa femme, ne le peut pas, structurellement. Il y a bien une différence légale entre hommes et femmes, même si celle-ci est lissée par le terme « congé d’accueil de l’enfant » qui a remplacé « congé paternité ».

Si la grossesse se déroule bien, il est ainsi possible pour une mère de reporter une partie de son congé pré-natal vers le congé postnatal, ou de le réduire, mais pas de le transférer à son conjoint, si celui-ci voulait « passer davantage de temps avec [son] bébé ». La « liberté des femmes » a beau jeu :

Pour offrir plus de liberté aux femmes dont la grossesse se déroule bien et leur permettre de passer davantage de temps avec leur bébé, les modalités du congé maternité ont été assouplies : vous pouvez demander à reporter une partie de votre congé prénatal (les 3 premières semaines maximum) sur votre congé postnatal. Ce report peut se faire avec l’accord de votre médecin. (source : ameli)

Pour comprendre les présupposés qui sous-tendent les congés, il est intéressant de comparer les différentes durées des congés maternité et paternité :

– congé maternité :

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– congé paternité : pour faire simple, il dure deux semaines en comptant le congé de naissance.

Le congé de paternité et d’accueil de l’enfant est d’une durée maximale de :

  • 11 jours consécutifs au plus (samedi, dimanche et jour férié compris) pour la naissance d’un enfant ;
  • 18 jours consécutifs au plus pour une naissance multiple.

Il s’ajoute aux 3 jours d’absence autorisés prévus par le Code du travail. Il peut débuter immédiatement après ces 3 jours ou à un autre moment, mais impérativement dans les 4 mois qui suivent la naissance de l’enfant. (source : ameli)

Le congé augmente en fonction du nombre d’enfants à charge pour les femmes (à partir du troisième), mais pas pour les hommes. Cela montre bien il s’agit en fait d’intégrer la charge de travail domestique au congé maternité, sans jamais questionner l’absence de répartition.

Le congé augmente pour les deux conjoints en cas de grossesse multiple, mais surtout pour les femmes. Certes, les grossesses multiples impliquent plus de fatigue et des prises en charge médicales plus lourdes, mais soyons honnêtes : 7 jours de plus de congé pour les pères, ça ne va pas tout changer en ce qui concerne les soins aux enfants, quand la mère « bénéficie » de 12 semaines de congé postnatal supplémentaires (si elle a moins de deux enfants à charge) pour répondre seule aux besoins de 2, 3… nouveaux-nés.

Le congé paternité, d’une façon générale, repose sur un modèle dans lequel le père est « une aide » pour la mère sur laquelle reposent les tâches parentales. Cette conception se traduit par une législation différenciée.

– congé d’adoption :

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Le congé d’adoption est également très intéressant pour comprendre le processus de naturalisation du congé maternité : l’adoption est en effet un cas où la question de la grossesse ne se pose (en général) pas. Les deux parents se retrouvent alors sur le même plan au niveau légal. Les durées laissent voir une sorte de bricolage du congé maternité postnatal et du congé paternité, avec une légère contrainte de répartition alignée sur la durée du congé paternité pour une naissance.

On voit donc que dans le cas d’une grossesse, le congé prénatal et le congé postnatal sont envisagés ensemble, comme ce qui échoit nécessairement et obligatoirement à la mère, alors qu’en l’absence d’accouchement, le congé postnatal est entièrement partageable (ce qui ne veut pas dire partagé, mais la possibilité est là) entre les parents.

Tout le problème consiste alors à dire si la longueur du congé maternité postnatal est justifiée par les conséquences de la grossesse, ou bien par les besoins de soin d’un nouveau-né. La difficulté est qu’il n’est pas toujours évident de distinguer les deux. Mais si l’on veut vraiment avoir une loi égalitaire, il y a deux possibilités qui ne sont pas exclusives, l’allongement du congé paternité et la fusion des congés postnataux :

– aligner la durée du congé paternité sur le congé maternité postnatal (10, 18 ou 22 semaines), ce qui serait coûteux mais très bien.

– ne conserver qu’un congé de grossesse, qui tienne compte de la fatigue avant et après l’accouchement, et mettre en place un congé qui suit la naissance sur le modèle du congé d’adoption (qui lui-même suivait le modèle des deux congés – vous suivez toujours?) : un congé qui ne postule pas que la personne qui accouche est celle qui doit s’occuper du nouveau-né pendant 10, 18 ou 22 semaines juste parce qu’elle a accouché. Comme le congé d’adoption, ce congé serait assorti d’une contrainte de répartition minimale dont il faudrait discuter.

Une objection importante à cette dernière proposition, formulée par Mme Déjantée lors d’une conversation à ce sujet, est que le temps nécessaire pour se remettre de la fatigue d’un accouchement n’est pas prévisible à l’avance, et varie en fonction des femmes : être contrainte, parce que cela aura été planifié ainsi, de recommencer à travailler en situation de grande fatigue, serait une violence importante.

Toutefois, la fatigue que rapportent les nouvelles mères est difficilement dissociable, à l’heure actuelle, du fait que les mères doivent assumer seules pendant toute la journée (une fois le congé paternité terminé) des soins pour un bébé qui n’est pas encore en mesure de parler ou d’exprimer clairement ses besoins. Comment évaluer l’influence respective du bouleversement biologique de l’accouchement (question qui est par ailleurs très politique, certains actes médicaux à l’utilité discutable impliquant une convalescence plus longue) et des tâches parentales sur cette période de deux voire quatre mois, souvent décrite comme un moment de très grande solitude, de fatigue, voire de dépression par les mères ? Si l’on créait un congé de grossesse prenant fin quelques semaines seulement après la naissance, il serait toujours possible de prescrire une durée supplémentaire.

Mme Déjantée soulignait, sur ce point, que cela posait un problème de pathologisation de phénomènes biologiques normaux : avoir à demander un congé supplémentaire pourrait alors être culpabilisant pour une mère qui serait trop fatiguée pour reprendre un travail. Cependant, le problème se pose déjà puisque certaines grossesses sont marquées par un épuisement ou des incompatibilités avec le travail qui précèdent largement le congé prénatal : on va alors parler de grossesse pathologique, mais en réalité, il s’agit juste de prescrire un congé lorsque le corps de la femme enceinte ne veut pas rentrer dans les bornes temporelles prévues la loi. De surcroît, la possibilité pour une femme enceinte de continuer à travailler jusqu’au début de son congé maternité dépend énormément du type de travail et de ses conditions : un travail très physique où l’on travaille debout par exemple est différent d’un travail de bureau ; un travail à 1h de voiture de son domicile n’est pas la même chose qu’un travail à 5 minutes à pied (surtout quand la voiture provoque des contractions).

Les grossesses et les accouchements ne se passent pas tous de la même façon : il faudrait donc avoir un congé qui permette effectivement du repos, mais compatible avec le principe d’un congé postnatal partageable.

Bien évidemment, changer la loi sur ce point ne suffit pas : un congé partageable buterait probablement sur les mêmes difficultés que le congé parental (pris à 98% par des femmes alors qu’il est parfaitement partageable), avec cependant l’avantage d’être mieux rémunéré (jusqu’à 83,58€ par jour, comme vous l’avez compris). Mais il permettrait au moins de lever un obstacle important au partage pour les couples dans lesquels la fameuse « bonne volonté » des pères est là, sans contraindre la femme qui accouche à prendre en charge presque la totalité du travail d’élevage.

De surcroît, il me semble que si l’égalité professionnelle est fortement corrélée à la question du congé parental en raison de l’éloignement des femmes du travail qu’il entraîne, le congé parental est quant à lui crucial en ce qui concerne la répartition des tâches pour les vingt années suivantes : comment rééquilibrer en effet la prise en charge des tâches d’élevage à l’issue d’une période où la mère a été disponible 24h/24, et a pu développer pleinement son instinct maternel souvent acquis une compétence bien plus grande que son conjoint dans les soins aux enfants ?

Anne GE