La laïcité. Mot chargé de tabous, de crises, d’angoisses, de peurs, qui génère plus souvent de la méfiance à l’égard de l’autre plutôt que de la compréhension ou même plus simplement, de la neutralité, du non jugement.
Pour moi la laïcité se résumait en gros, à avoir vu (« vu ») la charte de la laïcité à l’école de mes enfants ou avoir dans ma classe chaque année ou dans mon laboratoire, une fille voilée (élèves, thésardes). A avoir lu un mini dossier dans un journal gratuit ou bien un court résumé d’une rencontre entre Najat Vallaud Belkacem et des élèves de lycées parisiens.
Rien de transcendant. Je ne me suis jamais tellement posée de questions (dans le supérieur les signes « ostentatoires » ne sont pas interdits).
Et puis j’ai lu « Petit manuel pour une laïcité apaisée ». En seulement quelques jours. J’ai trouvé ce livre bouleversant. Bouleversant parce que je ne pensais pas que sous le terme de « laïcité » se cristallisait bien des débats, des souffrances, des mésinterprétations, parfois de la violence et de l’intolérance, un historique qui reflète aussi « l’état » de la société… Bref, j’avais une vision très naïve de ce que pouvait représenter la laïcité à l’école. Pourtant, pourtant, parler de laïcité c’est aborder des sujets délicats et actuels et en particulier, en parler à l’école c’est permettre aux enfants de vivre de manière plus apaisée en respectant les différences de chacun.
Le livre est composé de deux parties : la première (partie « Analyse ») retrace l’histoire et l’évolution de la notion de laïcité depuis plus de 100 ans (depuis les premiers débats qui ont débouchés sur la loi de séparation de l’église et de l’état en 1905 jusqu’à aujourd’hui). J’ai trouvé ce petit historique tout à fait passionnant : il remet bien les choses dans leur contexte (social, politique), rappelle le déroulement de certains évènements et comment on en est arrivé à la fameuse de loi de 2004 sur le port de vêtements ou d’accessoires dits « ostentatoires ».
La seconde partie (« Pratiques ») répond à des questions concrètes relatives à l’école, et propose des déroulements pédagogiques destinés aux enseignants.
Mais au fait, la laïcité c’est quoi ?
La laïcité se caractérise par trois grands principes : un principe de liberté de conscience et de religion ; un principe d’égalité des citoyen.ne.s interdisant toute discrimination liée à l’appartenance ou la non-appartenance à une religion (ce qui permet de parler de régime de laïcité et pas de régime de tolérance, dans lequel la liberté religieuse est acquise mais pas l’égalité politique) ; et un principe de neutralité de l’État, c’est-à-dire la non-ingérence réciproque de l’État et de l’Église. p.79
Sur le papier, ce principe a l’air vraiment intéressant et « apaisant » pour tout le monde. Sauf que la réalité est toute autre. Comment est-on passé d’une laïcité qui acceptait les croyances et les choix individuels religieux à une laïcité qui ne tolère plus le port de vêtements ou accessoires religieux s’ils sont « ostentatoires » ou « prosélyte » ? Et d’ailleurs c’est quoi un vêtement « ostentatoire » ou « prosélyte » ? C’est à ce genre de questions que tente de répondre ce livre. On comprend à travers les exemples de situations qui jalonnent certains chapitres que l’application de la loi de 2004 est très subjective et que son interprétation est souvent laissée à l’appréciation des équipes éducatives, des proviseurs, des CPE. Et que même au sein d’un même établissement les avis peuvent être très divergents. Ce livre rappelle également l’état actuel de la législation, ce qui est légal de ce qui ne l’est pas, au-delà de tout jugement (mais rappelle toutefois dans quel contexte cette loi de 2004 a été élaborée et comment on en est arrivé là).
Quand j’ai lu le livre, j’ai voulu surligner des kilomètres de phrases pertinentes, vous citer des longs paragraphes bien argumentés, faire des commentaires à chaque « chapitre ». Et puis je me suis dit que j’allais probablement dénaturer le propos… Je donnerai ici simplement quelques phrases marquantes, qui, je l’espère, vous donneront envie d’en savoir plus ;)
Par exemple :
Alors que rien ne permet d’affirmer que cette religion serait incompatible avec la laïcité, les débats contemporains se sont crispés sur l’islam. Il est essentiel d’avoir en tête les facteurs qui expliquent cette évolution pour pouvoir mettre à distance cette identification d’un corps étranger à la laïcité.
Un chapitre qui m’a beaucoup intrigué, intéressé, interpellé : « Le combat pour la laïcité a-t-il été aussi le combat pour l’égalité hommes-femmes? » Avec par exemple, (à propos des filles voilées) :
Victimes ou coupables, aucun autre choix n’est laissé aux jeunes femmes pour se positionner. Difficile de faire de ce présupposé un levier de l’émancipation des femmes. Pourtant, certains mouvements féministes soutiennent cette logique et s’indignent qu’on puisse s’opposer à l’interdiction du voile. […] Or, le féminisme a consisté historiquement à défendre les choix individuels et la liberté des femmes.
En référence, ils citent d’ailleurs un ouvrage qui a été chroniqué auparavant par les VI, « Les filles voilées parlent ».
Et un petit dernier pour la route qui m’a fait sourire car c’est ce que je constate amèrement presque tous les jours (et contre quoi je me bats quotidiennement) :
Alors même que l’attention se focalise sur les politiques médiatiques autour du port du voile, l’école laïque s’arrange très bien du sexisme de l’orientation et des filières genrées, ou encore la présence massive de marques sur les fournitures scolaires assenant les pires stéréotypes sexistes. Il suffit par ailleurs d’ouvrir un manuel pour y voir le peu de place qu’occupent les femmes – autrices, scientifiques, politiques, etc. – et qu’y dominent encore les clichés sexistes.
Bref, vous l’aurez compris, beaucoup de sujets « brûlants » sont abordés dans ce petit manuel. Ce n’est pas si étonnant car on sent que bien souvent derrière le mot « laïcité » se cache des problèmes sociaux bien plus profonds. Aborder la laïcité de manière ouverte, sans jugement dans les écoles pourrait permettre en effet d’apaiser certaines tensions : c’est l’objectif affiché de la seconde partie du livre… Pour enseignants motivés ;)
Et c’est dans cette seconde partie que j’apporterais un petit bémol : on propose des solutions pédagogiques plutôt bien amenées et bien formulées pour encourager les enseignants à aborder le « fait religieux » en classe (ce qui est obligatoire depuis une loi de 2002). Cependant, bien que j’ai trouvé ces propositions fort intéressantes, je reste perplexe sur leur mise en œuvre dans les classes (je ne suis pas certaine par exemple que tous les enseignants soient ok pour animer un tel débat, pour diverses raisons qui leur sont personnelles mais aussi par manque de formations – c’est aussi évoqué dans le livre – et de connaissances sur le sujet). Marine Quenin, dans un TEDx consacré à la laïcité à l’école, explique rapidement pourquoi cette laïcité n’est pas toujours abordée en classe, mais aussi propose des solutions pour aborder la laïcité en classe, par le jeu.
Il me semble que la diversité des outils utilisés (jeu, débat, etc) peut contribuer aussi à une « laïcité apaisée ». Ce livre fait partie, de mon point de vue, de ces outils nécessaires. J’en profite ici pour préciser que, comme le dit très bien Marine Quenin dans son exposé, on n’a pas besoin d’être spécialiste de ces questions, ni pédagogues, ni universitaires, pour engager le dialogue avec les enfants, avec les élèves (est ce bien clair pour tous ?). Mais qu’il est nécessaire de « donner des outils aux enfants pour qu’ils comprennent le monde et qu’ils n’en aient pas peur », en particulier leur permettre par ce biais de développer leur esprit critique, leur apprendre à « penser ».
La lecture de ce livre m’a paru plutôt facile – bien qu’il aborde des questions assez ardues (la législation par exemple). La forme y est sans doute pour quelque chose : les problématiques sont abordées simplement sous forme de questions concrètes qu’on a tous entendu au moins une fois (mais dont on n’a jamais vraiment entendu de réponses argumentées, là c’est chose faite J ). Les réponses, en quelques pages (petit bonus pour moi qui n’ait que peu de temps de concentration sur mes différentes lectures !) sont claires et petit plus : chacune des réponses est fournie avec les références adéquates. Chacun est alors libre d’aller creuser un peu plus la question dans les ouvrages, articles cités. Je dois reconnaitre que cette forme m’a beaucoup plu et a due probablement jouer sur mon appréciation du livre : pouvoir lire une question ainsi que la réponse en une seule fois est absolument fantastique pour moi ! Par ailleurs, cette forme permet au livre de servir de référence, pour nous permettre de venir piocher les informations que l’on cherche à un instant donné.
Quelques exemples de questions abordées pour la partie « analyses » :
- Que signifiait, au XIXème siècle, la fondation d’une école républicaine laïque ?
- Qu’est ce que la liberté de conscience ?
- La laïcité à l’école est-elle une exception française ?
- Pourquoi parle-t-on autant de la laïcité à l’école depuis les années 80 ?
- Que prévoit la loi de 2004 dite « sur le voile à l’école » ?
Les questions sont aussi bien historiques, philosophiques, politiques, concrètes (c’est ce qui fait, de mon point de vue, la richesse aussi de l’ouvrage).
Des questions dans la partie « Pratiques » qui apportent des pistes à des situations concrètes. Par exemple :
- Comment enseigner la laïcité ?
- Que faire si un.e élève défend des arguments religieux en classe ?
- Que faire si une élève se présente voilée à l’école ?
En définitive, c’est un livre que tous les enseignants (au moins) devraient avoir lu. Même si mon sentiment, à la fin de la lecture de ce livre, est un peu triste : j’ai l’impression que l’on glisse, doucement mais surement, vers une uniformisation de l’être humain. Bientôt, l’uniforme sera de rigueur dans toutes les écoles, peut-être même qu’un jour nos enfants/élèves devront se peindre en blanc et avoir la même coupe de cheveux… Comme si gommer les différences permettaient de mieux les accepter ?
J’espère en tous cas que d’ici là des voix s’élèveront (des voix pleine de sagesse) et que nous, parents, éducateurs, enseignants soyons présents et à l’écoute de nos enfants, nos élèves, pour leur montrer que la différence (quelle qu’elle soit), ne doit pas être le berceau de la discrimination mais qu’au contraire, elle est une grande richesse pour l’humanité :). Et que chacun a le droit de vivre sa culture, sa religion, ses valeurs et ses convictions sans le jugement incessant de l’autre.
Le livre est disponible au prêt pour les adhérents à la bibliothèque des VI !
Nydhuile
Merci.
C’est vraiment intéressant, la laïcité. Et il est un peu désolant de voir à quoi elle est si souvent réduite. Même si tout ça est difficile, évidemment.
Bonne journée.
Merci ! Vous avez raison, la question est complexe…
Soyez heureuse: la majorité des pays occidentaux soutient le port du voile librement porté (sous la pression des pairs).
L’exception française portant une volonté d’émancipation individuelle face aux contraintes collectives (de la famille, de la religion et de la société) aura bientôt disparu, au profit d’une valorisation des moyens de contrôle de chaque groupe social, dont il ne sera certes plus possible de sortir, mais qui porteront une fierté collective.
Je ne vois pas à quoi vous faites référence, tchaf lorsque vous dites « L’exception française […] aura bientôt disparu, au profit d’une valorisation des moyens de contrôle de chaque groupe social ».
Il ne me semble pas que la loi de 2004 est entrain d’être remise en question ?
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