La bible de la grossesse

J’ai relu il y a peu, suite à un appel lancé par Mme Déjantée, des extraits de mon exemplaire de la bible de la grossesse, J’attends un enfant de Laurence Pernoud (de la famille de Georges Pernoud, oui, oui, Thalassa, toussa).

Et je suis tombée de haut. J’en ai encore mal aux fesses.

Je l’avais acheté alors que j’étais enceinte de mon premier enfant. Cela me paraissait être le livre le plus sensé, puisque le plus lu et le plus vendu (ou peu s’en faut) sur ce sujet. Je l’avais lu en entier durant ma grossesse, pour savoir où j’en étais, et où en était le bébé.

Et bon, mon premier accouchement s’est plutôt mal passé, les suites de couches aussi, puis j’ai été enceinte une deuxième fois et j’ai opté pour l’accompagnement global, l’accouchement physiologique et « tous ces trucs de hippie ». Période durant laquelle j’ai lu un ouvrage sur l’accouchement qui se trouve aux environs des antipodes de la bible de Laurence Pernoud : L’accouchement, une affaire de couple ? de Maïtie Trelaün.

En reprenant l’ouvrage de Laurence Pernoud, oublié depuis 5 ans, relu à la lumière de mes deux grossesses, je suis donc tombée à la renverse en lisant un certain chapitre.
Pour être honnête, je considère que ce livre présente l’avantage d’être très complet en matière d’information globale, sur le plan des dispositifs sociaux, juridiques et médicaux concernant la grossesse. Il est un peu trop anxiogène à mon goût, certes, mais les infos sont là.

Malheureusement, à un endroit au moins, il y a un gros problème…

 

« D’autres positions pour accoucher ?

[…] Aujourd’hui, la position encore la plus répandue dans les maternités est la position classique : la mère et sur le dos, allongée ou en position semi-assise – elle a les jambes relevées et les cuisses écartées. Pour l’accoucheur et pour la sage-femme, c’est la position qui favorise mieux leur travail au moment de la sortie de l’enfant.

Depuis quelques années, une nouvelle tendance se dessine. Certaines maternités proposent d’autres positions d’accouchement, souvent en fonction des préférences des sages-femmes et de ce qu’elles ont exposé au cours des séances de préparation.

[S’ensuit une liste des positions : côté gauche, accroupie, debout, à quatre pattes ou à genoux]

Insistons sur un point important : il semble indispensable que le père soit associé au choix de la position d’accouchement et fasse part de ce qu’il souhaite ou de ce qu’il ressent. Pour certains hommes, des positions (à quatre pattes par exemple) sont difficiles à accepter et, si elles sont imposées, peuvent compromettre l’équilibre du futur couple.

Il est difficile de conseiller une position d’accouchement plutôt qu’une autre car, comme nous l’avons dit, cela dépend de l’organisation de la maternité et de la pratique des sages-femmes. Il est certains que ce serait bien que les mères puissent choisir la position dans laquelle elles se sentent le mieux puisque, au fil des années, la position classique n’a pas montré de supériorité évidente par rapport aux nouvelles. »

J’ai surligné en gras les passages qui me font réagir.

Dans le premier paragraphe, je vois écris noir sur blanc, au crédit finalement de l’auteure, que la position classique d’accouchement est pensée et utilisée pour le confort du personnel médical. Pas celui de la parturiente. Ce n’est pas comme si c’était la femme qui accouchait, hein, ce n’est pas la peine de lui faciliter la tâche (mode ironique on). C’est tellement ancré dans les mœurs que l’immense majorité des gens ne se rend pas compte qu’il n’est pas naturel, ni logique, d’accoucher ainsi.

Dans le deuxième paragraphe, où il est question des « nouvelles » positions d’accouchement (qui sont pourtant vieilles comme le monde), l’auteure explique ce sont les sages-femmes qui autorisent une position d’accouchement selon leurs propres préférences de travail. Je vois d’ici des tas de femmes se dire : « et bien, oui, il faut bien qu’elles fassent leur travail ! » Oui, mais en fait, non. La personne qui est en travail, c’est la parturiente. C’est elle qui fournit le plus gros effort. La (ou le) sage-femme est là pour l’accompagner, l’aider et d’adapter, pas pour décider à sa place de ce qui est une bonne ou une mauvaise position. Sauf en cas de problème de présentation du bébé, il n’y a pas de raison d’imposer une position de travail et d’expulsion à une femme, qui est parfaitement capable de ressentir elle-même quelle position est la plus efficace, la moins inconfortable, bref, celle qui lui convient le mieux. C’est d’autant plus vrai pour une femme qui accouche sans péridurale : ses sensations sont affûtées justement pour pouvoir faciliter la sortie du bébé par ses mouvements et les positions qu’elle adopte.

Le troisième paragraphe m’a fait bondir. Littéralement. Un papa qui doit être consulté ? Il peut l’être, sans aucun doute, mais aux dernières nouvelles, ce n’est pas lui qui accouche. Ce n’est pas lui qui souffre, ce n’est pas lui qui s’arrache les tripes pour sortir un bébé de son ventre. En quoi est-ce que sa sensibilité devrait absolument et sans conditions être ménagée, alors que celle des femmes qui accouche ne l’est jamais ? Et je parle bien de la sensibilité psychologique. Une parturiente est, dans une maternité classique, une sorte de gare dans laquelle une bonne partie du service passe. Elle est à moitié à poil, elle subit sans arrêt des examens et voit passer une foultitude de gens dans sa chambre, d’autant plus si l’accouchement dure longtemps et que les équipes tournent. En phase d’expulsion, sa vulve est exposée à tout le staff médical. Sa pudeur et son intimité, quel que soit le tact du personnel, sont largement mis à mal. Alors celle du papa, excusez-moi, mais elle ne fait pas le poids. S’il ne peut pas supporter une position non conventionnelle impromptue, c’est qu’il n’a pas grand chose à faire dans la salle d’accouchement. Oui, je suis dure, mais j’ai accouché à quatre pattes (sans ce que cela ait été planifié, discuté, soupesé ni argumenté à l’avance), et c’est mon mari qui a sorti le bébé de mon ventre. Alors je sais que ce n’est pas un argument valable.

Dans le dernier paragraphe, je savoure l’euphémisme. Pas de supériorité évidente de la position dite gynécologique sur les autres ? Mais dites-moi, chère Laurence Pernoud, vous n’avez pas pris de cours d’anatomie ? Parce que moi, qui n’en ai jamais eu, je sais que se retrouver à plat dos ou à demi assise avec les genoux écartés et le bassin posé sur un matelas, c’est le contraire d’une position physiologique. Elle ferme le bassin et bloque le mouvement de descente puis de remontée du bébé (il y a un « coude » à franchir). Si on veut accoucher physiologiquement sur le dos, le bassin doit être surélevé et mobile (et non posé à plat sur une surface dure), et les genoux rentrés vers l’intérieur pour ouvrir le sacrum (l’arrière du bassin).
Mon expérience – qui ne constitue en rien une généralité, on est d’accord – m’a démontré que la meilleure position est celle qu’on choisit spontanément, et qui change suivant la phase de l’accouchement.

Bref, pour une information réellement pertinente de la femme enceinte, je suggère à Laurence Pernoud de modifier ce chapitre. Je sais bien que la majorité des maternités n’offre pas cette liberté de mouvement, mais pour les aider à changer leurs habitudes, il faut bien commencer quelque part… Et ce grand classique de la littérature périnatale devrait donner l’exemple !

Yokogeriyodan

18 réflexions sur “La bible de la grossesse

  1. Ce grand classique était déjà largement démonté dans « l’art d’accommoder les bébés » en 1979…

    Il y a une réédition (que je n’ai pas lue) mais qui vaut sans doute la peine.

  2. Je ne peux être que d’accord avec toi ! J’ai connu une grossesse et un accouchement médicalisé pour mon premier et je ne souhaite pas réitérer pour un second. Lorsque je suis devenue maman je me suis beaucoup informé et tout part de là ! Aujourd’hui j’ai la chance d’avoir une maison d’accouchement qui s’est ouverte à 20 min de chez moi et j’espère pouvoir y aller et garder un souvenir magnifique d’un véritable accouchement
    Je relirai ce livre avec un nouveau regard ^^

    • Oui, c’est vraiment intéressant. Je ne l’ai pas relu en entier, et je pense que d’autres passages que celui-ci peuvent heurter les femmes qui sont allées au-delà discours sécuritaire et médicalisé autour de l’accouchement. En fait, le problème de ce livre, c’est qu’il a l’air tellement exhaustif et complet qu’on n’a pas l’impression qu’il puisse y avoir encore d’autres informations pertinentes sur le sujet. Je me suis faite avoir, comme beaucoup de femmes avant moi… et certainement après moi.
      Mais il est assez difficile de remettre ce discours officiel en cause, tant on passe au mieux pour des doux dingues, au pire pour des irresponsables, dès qu’on parle de démédicalisation de l’accouchement.

  3. On peut toujours rêver d’un accouchement non médicalisé à la maison dans une piscine spéciale à cet effet. Mon amie avait tout prévu avec la sage femme sauf la fuite d’eau qui a chamboulé le programme à la dernière minute…

  4. Moi je trouve ça beaucoup plus traumatisant pour le mari de voir sa femme trifouillée par tout le staff médical que de la voir dans une position « animale »…

    En ce qui concerne le bouquin, moi j’aime bien, mais pour prendre du recul justement. J’ai le « Elever son enfant autrement » de 1982, et c’est vraiment drôle de voir comme les recommandations changent d’une décennie (voire d’une année !) à l’autre. Ça m’a permis de relativiser pas mal de choses (alimentation, vaccins, etc.).
    Le souci c’est quand la personne lit ce genre de choses comme une bible justement. Il ne faut pas oublier que tous ces bouquins sont écrits par des gens, pas par Dieu ^^
    Un peu d’esprit critique !

    • Tout à fait d’accord.
      Le problème vient de toute façon du fait qu’on est élevé dans la peur autour de la périnatalité, et la peur paralyse notre esprit critique. Le discours le plus sécuritaire, au moins en apparence, sera le plus facilement reçu…

  5. Oui mais il s’agit de quelle réédition du livre ? Car je suppose que tu n’as pas acheté l’édition originale (qui doit être une perle en termes d’absurdités médicales et légales). Je crois avoir vérifié par le passé que ses conseils ont changé au gré des rééditions, donc je suppose que c’est aussi le cas pour le chapitre sur l’accouchement.

  6. Merci beaucoup de ta contribution! J’avoue que ce passage n’avait pas manqué non plus de me faire sourire… (pour ne pas dire autre chose! )

  7. Pingback: Résultats du jeu de fin d’année, et petit débrief en passant | Les Vendredis Intellos

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