Aujourd’hui m’attend une difficile mission: celle de chroniquer le dernier ouvrage du pédagogue Philippe Meirieu, Comment aider nos enfants à réussir, reçu pour la Bibliothèque des Vendredis Intellos grâce à la gentillesse d’Anne Bideault, journaliste et co-auteure de ce livre.
J’ai tellement procrastiné l’écriture de cette chronique qu’il me semble vous devoir quelques explications à ce propos. Comme c’est souvent le cas avec les gens célèbres: nous entretenons avec eux des liens assymétriques. Philippe Meirieu ignore absolument tout de mon existence alors que je puis, sans exagération, affirmer qu’il a marqué mon histoire personnelle. Autorité indéniable de mes études en sciences de l’éducation, mais aussi cause indirecte d’un de mes plus cuisants échecs pédagogiques: ayant reçu transitoirement la responsabilité d’assurer auprès d’un parterre d’étudiant avides de connaissances un cours jusqu’à l’avant veille (ou presque) incarné par l’illustre Pr. Meirieu. Imaginez seulement leur déception en me voyant, moi, tout juste plus diplômée qu’eux.
Bref, écrire ici une chronique, où je manifesterais tant mon accord que mon désaccord, relève donc en large partie de la transgression. Transgression au regard de l’autorité évidente que confère à Philippe Meirieu le succès de ses écrits, et aussi transgression au regard de la communauté scientifique dont je suis – du point partiellement – issue.
Mais je ne me dégonflerais pas. Moi qui ai défendu depuis quatre ans sur ce site le droit de chacun de débattre des thèses des grands spécialistes, de les questionner, de voir prises au sérieux leurs objections et d’obtenir des réponses, il semble qu’il me revienne aujourd’hui de joindre les actes aux paroles.
Car pour être tout à fait honnête, ce livre m’a soumis aux montagnes russes intellectuelles (pour ne pas dire émotionnelles). Tantôt l’envie d’en placarder des passages sur les murs de la ville, et la page suivante, l’envie de le vouer aux flammes de la Montagne du Destin . Tantôt il me semblait y lire l’espoir d’une société meilleure, plus juste, plus douce, plus vivante; l’instant d’après il m’évoquait le plus vibrant passéisme. Il me fallut plusieurs cycles d’intérêt/énervement pour comprendre qu’en réalité Philippe Meirieu se livrait à un exercice des plus périlleux: adopter une approche suffisamment compréhensive des réticences, préjugés et autres néophobies pour sécuriser, rassurer et permettre à tous de passer outre la tentation du « c’était mieux avant ».
L’objectif de ce livre est clair et assumé: il s’agit d’un livre de pédagogie destiné aux parents.
L’ancrage dans le champ disciplinaire de la pédagogie n’est pas anodin: au delà de l’expertise de Philippe Meirieu, cet ancrage est avant tout militant et entend s’opposer avec véhémence à l’entrée des théories de « développement personnel » dans le champ de éducation.
« Ce n’est pas non plus un « livre bisounours » qui distillerait des conseils généraux et généreux que nul ne peut contredire, mais qui confinent souvent à la mystique ésotérique: « Soyez vous-même pour que l’autre soit lui-même et que l’énergie spirituelle que vous faites émerger de vos échanges illumine à jamais votre vie! »
Si je souscris totalement à la nécessité de prêter une oreille attentive au risque de dérives sectaires, je n’en trouve pas moins ce point de vue caricatural: De nombreux-ses enseignants reconnaissent les bénéfices d’outils issus de la méditation tibétaine, ou encore de la communication non violente sans tomber dans le moindre ésotérisme. Sans compter que si on peut accuser ces nouvelles approches de réduire la « réussite » au « bien-être » vu comme superficiel et égocentrique, on peut de même accuser la pédagogie de réduire l’enfant à l’apprenant, niant par là même ses composantes émotionnelles, relationnelles, et son vécu hors de l’école.
Le choix de s’adresser aux parents n’est également pas le fruit du hasard. Par ce geste, Philippe Meirieu entend d’une part répondre aux inquiétudes des parents aux prises avec une société « en crise » qui cherchent désespérément comment agir de façon efficace et bénéfique pour la « réussite » de leur enfant. Et d’autre part, cet écrit est l’occasion de réaffirmer la place des parents au sein de la communauté éducative et de défendre la coopération et collaboration entre parents et professionnels autour de l’enfant.
Il est donc urgent de construire un nouveau contrat entre les parents et les enseignants, fondé sur le respect de la spécificité éducative de chacun, reconnaissant que nul ne détient la vérité de l’enfant et que la collaboration entre les acteurs chargés de son éducation est absolument indispensable.
Il y aurait beaucoup à dire sur cet ouvrage qui m’a fait noircir plusieurs pages de notes, mais pour ménager votre emploi du temps et le plaisir que vous aurez à le lire vous-même, je vous propose de vous donner un aperçu en trois coups de gueule, et trois coups de cÅ“ur.
Mes trois coups de gueule
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Les relents passéistes
Philippe Meirieu s’en défend âprement dans l’introduction de son livre, néanmoins, certaines descriptions de comportements sociaux me semblent parfois teintées de la méconnaissance frileuse des personnes trop pleines de l’expérience des années. Lorsqu’il évoque les rituels de passage contemporains par exemple:
Dans nos sociétés contemporaines, les rituels de passage traditionnels ont souvent disparu, remplacés par des rituels à caractère commercial ou clanique: le premier téléphone portable, la première fois que l’on prend le bus sans billet, le premier happy slapping, le premier « joint », la première fois qu’on « sort » avec une fille ou un garçon, la première fois que l’on conduit après un binge drinking, etc.
Qui me donne l’envie de demander: mais quel monde est donc décrit ici? Je ne dis pas que ces pratiques n’existent pas, ni qu’elles ne comportent pas pour certaines une grande violence, mais je peine à comprendre qu’on puisse occulter tous les autres événements importants qui marquent la vie des enfants et adolescents et qui sont autant des rituels de passage! Le premier trajet à l’école seul, les premières invitations à dormir chez les copains, les premiers voyages en train seul pour se rendre chez les grands parents, les premières colonies de vacances, la première fois où on arrive à nager, faire du vélo, le premier baiser, la première fête qu’on organise pour rassembler ses amis, la première fois qu’on est convié à la table des adultes pour y boire le café, la première fois qu’on dit « non » et qu’on assume son « non ». Mon incompréhension devant cette description pessimiste de ce qui semble être la lost generation s’accroît encore lorsque sont décrit de façon plutôt méliorative les rituels en cours jusque dans les années 1950.
Ces rituels scandaient les différentes étapes de l’accès à l’autonomie d’une manière très codifiée. Jusqu’au milieu du XXème siècle, ils étaient plus ou moins les mêmes pour tout le monde: certificat d’études, cérémonies religieuses d’intronisation à l’âge de la puberté, première cigarette, service militaire pour les garçons, fiançailles, permis de conduire, mariage…[…]La modernité se caractérise par l’affaissement de ces rituels traditionnels.
Première cigarette? Service militaire? Permis de conduire? Ceci était-il sérieusement moins clanique ou commercial?
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La méfiance vis à vis de l’enfance
Pendant longtemps a été débattue la question de savoir comment décrire l’enfance au regard de l’âge adulte: l’enfant est-il un demi-adulte? un adulte en devenir? ou y avait-il une identité propre de l’enfance? Personnellement, je souscris assez à la vision d’Alison Gopnik, selon laquelle l’enfant est « une autre espèce d’être humain », avec sa perception propre de l’espace et de lui-même, et parfaitement adapté à son activité. Selon cette professeur de psychologie et philosophie, l’enfant, délivré par les adultes des contingences matérielles nécessaires à sa survie, possède un esprit totalement tourné vers l’apprentissage et la compréhension de son environnement. Tel un voyageur des terres lointaines, il perçoit les moindres détails, ceux là même que nous ne voyons plus, prisonniers que nous sommes de notre vision utilitariste de notre environnement. Cette vision positive, enthousiaste, confiante, de l’enfance et de ses infinies capacités d’apprentissage me semble profondément nécessaire pour que nous les adultes puissions accompagner avec bienveillance, mais aussi avec respect, les enfants dans le développement de leurs capacités d’agir sur le monde.
J’ai à ce titre, beaucoup de réticences à lire une description de l’enfant comme néophobe,
Déjà très tôt, les habitudes se sont enkystées. Et il faut savoir attiser le désir, créer l’énigme, témoigner soi-même du plaisir de la découverte pour mettre l’autre en marche.
Impatient et rétif aux apprentissages,
On dit souvent qu’un enfant veut spontanément apprendre. Je ne le crois pas. En revanche, je crois que l’enfant, le plus souvent veut spontanément savoir. […] En réalité, ce qui l’intéresse vraiment, c’est de savoir sans apprendre.
Modelable à merci par la volonté et l’action des adultes
Que veut-on vraiment? Flatter ou éduquer l’enfant? Formater le consommateur ou former le citoyen? Si nous voulons faire de lui un consommateur, cédons à ses caprices, encourageons ses pulsions. Si nous cherchons à développer le citoyen, demandons-nous comment faire émerger sa pensée.
Je ne prétendrais pas que les enfants ne demandent jamais le même dessin animé 450 fois de suite, ni ne manifestent jamais leur impatience à savoir tout de suite faire du vélo sans jamais tomber, ni qu’un adulte maltraitant ne peut durablement blesser psychologiquement un enfant, mais je me demande dans quelle mesure nous n’analysons pas beaucoup trop les comportements des plus jeunes au travers de notre propre grille d’adulte. Pourquoi voir de la néophobie là où on pourrait lire un comportement transitoire visant à « recharger » ses batteries avant de repartir à la conquête du monde? Pourquoi voir de l’intolérance à la frustration là où il n’y a peut être qu’un feu, qu’un désir intense de comprendre et appréhender le monde pour pouvoir le transformer? Pourquoi penser que l’adulte modèle l’enfant, comment penser que nous avons la possibilité matérielle (et seulement le droit!) d’en faire ce que nous voulons?
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Le consensus autoritaire sur des questions qui font encore débat
Certaines questions d’histoire ou de psychologie ne semblent pas réellement faire consensus dans la communauté scientifique, et c’est bien normal: il y a de multiples façons de décrire l’environnement, de le lire, de l’appréhender. Aussi, il me gène toujours de lire, même avec une louable volonté de vulgarisation, un trop grand lissage de ces débats.
Lorsque par exemple, à la page 131, Philippe Meirieu situe dans les années 1970 la montée des stratégies parentales individualistes pour assurer à son enfant une place dans les filières les plus élitistes, je m’interroge sur sa vision de l’école du début du XXème siècle. Celle-là même que l’historien de l’éducation Claude Lelièvre a décrit comme tellement inégalitaire, organisant par la division entre un « ordre du primaire » et un « ordre du secondaire » un véritable apartheid social.
C’est ainsi que l’on a vu monter des comportements familiaux largement inédits jusque-là , les parents développant des stratégies élaborées pour choisir les bonnes langues, les options et les filières adéquates et place, le plus tôt possible, leurs enfants sur les bons rails, veux qui les conduiront tout droit dans les « bons lycées », ceux qui ne préparent pas au baccalauréat, mais aux classes préparatoires aux grandes écoles.
Je ne dis pas que la situation actuelle est idyllique, mais je ne me vois pas dire, surtout sur ce point-ci, qu’avant c’était mieux.
Mes trois coups de cœur
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La définition de la réussite
Je ne connais personnellement aucun parent qui ne souhaite pas que son enfant « réussisse », pour autant l’élaboration d’une définition commune d’une telle « réussite » est une tâche plus qu’ardue! Parle-t-on de réussite économique, et si oui, sur quels critères nous basons-nous? Et quel rapport de domination cela implique-t-il? Réussir économiquement veut-il dire gagner plus que le voisin? Parle-t-on de réussite sociale? Et donc de prestige de la fonction, celui-là même qui nous renvoie une fois encore aux inégalités de notre société, qui vénère le philosophe plus que le potier, le physicien plus que l’ébéniste, le trader plus que l’ouvrier. Parle-t-on enfin de réussite personnelle? Tellement difficile à appréhender tellement elle est un élément subjectif, et mouvant, changeant…
A ce titre, je salue la prouesse de Philippe Meirieu, qui nous livre une définition de la « réussite » optimiste, et porteuse d’espoir:
Il faut redonner au mot « réussir » une dimension plus transgressive et émancipatrice: réussir, c’est trouver du plaisir dans la connaissance, dans la création, au service des autres et de la société. Réussir, c’est s’inventer soi-même et renouveler le monde. Et il est bien de notre responsabilité sociale de montrer que la réussite peut se construire à travers l’invention, l’imagination et l’engagement.
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L’effort d’éducation populaire en direction des parents
Il n’est pas un secret que les inégalités scolaires et sociales sont assez largement dues à celles qui préexistent à la naissance de l’enfant, celles qui font qu’un enfant de prof sera souvent sensibilisé dès le plus jeune âge aux savoirs scolaires là où les autres le seront moins. Sans même que les parents-profs cherchent particulièrement à « privilégier » leur enfant, il leur est simplement naturel de leur transmettre ce qui les a intéressé, ce qui a piqué au vif leur curiosité, ce qui constitue leurs référents en terme de connaissance et de mettre tout ceci en lien avec leur quotidien auprès de leur enfant. A ce titre, ce livre réalise un incroyable travail d’explicitation pour tenter de rendre accessible au plus grand nombre ce que certains parents, souvent issus de la culture scolaire, font sans même vraiment y songer.
C’est pourquoi un des meilleurs services qu’on puisse rendre à nos enfants, c’est de les interpeller pour qu’ils mobilisent les connaissances acquises à l’école dans la vie quotidienne: « Pourquoi n’utilisent-tu pas la proportionnalité pour réaliser plus facilement cette recette de cuisine? Peut être pourrais-tu nous expliquer l’origine de ce relief étranger, toi qui viens d’étudier la géologie? Puisque tu viens de faire un module sur le développement durable, tu pourrais nous dire exactement ce que sont les OGM? Le bâtiment que nous allons visiter, peut être en connais-tu l’histoire? Et le romantisme sur lequel vous travaillez en classe, tu trouves que c’est une attitude devant la vie qui est encore d’actualité?
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Un foisonnement de bonnes idées
Tout au long de ce livre, Philippe Meirieu ne cesse de ponctuer son propos d’une diversité d’exemples, de suggestions, d’idées… parmi toutes celles-ci, j’en retiendrais particulièrement deux pour mon petit quotidien de maman.
Instaurer régulièrement des « jours sans écran », oui, ça parait dingue, mais hors grandes-vacances-dans-le-trou-paumé-des-Cévennes, je ne crois pas que nous l’ayons déjà fait. Je dois aussi confesser que cette idée fait aussi écho à mon amour pour Jane Austen, en cela qu’elle m’évoque ces longues soirées autour du feu, où l’une joue du piano, tandis que l’autre lit, et le dernier brode…Romantisme, quand tu nous tiens…
Mettre en place une « boîte aux lettres » à la maison, pour que chacun, tout le temps, puisse écrire aux autres…. des lettres manuscrites! Celle-ci est encore un peu trop chère pour moi mais j’ouvre l’oeil!!!
J’espère vous avoir donné envie de découvrir ce livre, et de vous joindre au débat!! Bonne lecture à tout-e-s!!!
Mme Déjantée
Quel plaisir de lire une article si bien écrit….
A vrai dire j’apprécie bien plus de découvrir le livre à travers vos yeux, avec votre analyse que je trouve extrêmement intéressante!
Je n’ai malheureusement pas pu me rendre aux dernières rencontres des Vendredis Intellos pour vous rencontrer. Je savais bien que je passais à côté de quelque chose!
Pour en revenir à l’article, je reviens à l’instant d’une conférence de Xavier Pommereau (Nos ados.com; l’adolescent suicidaire; Ados en vrille mère en vrac…) et il avait le même point de vue que Philippe Mérieu sur les rituels de passage.
Il disait que les jeunes étaient en manque de rites de passages homologants et qu’ils s’en inventaient, de fait, eux-mêmes, souvent au travers de la consommation.
Est-ce que le fait que la société ou les adultes « reconnaissent » leur passage au monde adulte en instaurant un rite les aiderait à traverser l’adolescence?
Je pense en tous cas que de nombreuses civilisations ont pratiqué et pratiquent encore ce rituel, avec des adultes qui sont partie prenante de l’évènement.
Et si c’est un moyen de garder le lien avec eux ça ne peut pas faire de mal, que ce soit de façon personnalisée ou uniformisée.
En fait, je ne conteste pas du tout la nécessité de « rites de passage » et effectivement je trouve qu’on accorde bien trop peu d’importance aux adolescents, qu’on ne leur donne pas l’occasion de voir combien ils sont utiles à la société, qu’on ne les responsabilise pas assez. Ce que je conteste en revanche c’est la valeur qu’on prête à leurs expériences ainsi qu’aux prétendus « rites de passage » du passé. Je ne crois pas que fumer sa première cigarette ou faire son service militaire soient des rites de passage particulièrement souhaitables. Dans son livre, Philippe Meirieu évoque des propositions pour « réinventer » les rites de passage, essentiellement centrés sur l’école. Là encore, je comprends, approuve dans une certaine mesure mais ne souscris pas à 100%, notamment parce que j’y vois une forme de réductionnisme (à l’apprenant…).
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