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Bienvenue au monde : Confidences d’une jeune sage-femme (offert par les Editions Leduc aux Vendredis Intellos) est un livre que j’ai eu plaisir à lire, Anna Roy aime les mots, elle sait manier la langue française.

Dans la course effrénée de ces presque dix années d’obstétrique, il y a un devoir que je n’ai jamais manqué, celui de noircir mes cahiers de moleskine. Une seule crainte me tenaillait, celle d’oublier tous ces moments incroyables que l’exercice de cette profession m’avait permis de vivre.

Vingt-quatre heures d’obstétrique et d’écriture.

Pari réussi il me semble puisque malgré ces années d’exercice, la sage-femme n’a pas perdu de son émerveillement devant « le miracle de la naissance », elle reste, écrit-elle, « béate d’admiration devant ce jaillissement de la vie, sans cesse renouvelé ».

Chaque récit d’accouchement est le moyen de transmettre une idée, un sentiment, de nous faire partager le quotidien d’une sage-femme de nos jours, dans un hôpital parisien. De nombreux sujets sont abordés : l’accouchement, bien sûr, de plusieurs manières (en baignoire, par césarienne, sans ou avec péridurale, etc.), la grève récente des sages-femmes, le travail des autres femmes autour de la naissance, les visites à domicile, les suites de couches, la psychose puerpérale, la mort d’un nourrisson, l’instinct marternel, et bien d’autres.

Du coup, l’auteur ne fait que survoler tous ces sujets tous plus importants et passionnants les uns que les autres. Peut-être aurait-il fallu aborder moins de sujets mais un peu plus en profondeur. Par exemple, celui sur la philosophie de la naissance est très court : la sage-femme explique justement que peu de philosophes se sont penchés sur la question. Certains cependant l’ont fait mais elles ne nous rapportent pas leurs propos, c’est un peu dommage.

Mais je comprends l’idée de vouloir donner une vision globale, personne ne lirait un livre de 1500 pages et c’est bien plus percutant en peu de pages. D’ailleurs, à ce niveau-là, c’est  tout à fait réussi. Pour ma part, j’ai plongé dans le livre avec délice et j’ai eu du mal à m’arrêter, je l’ai lu en deux jours du coup ! Cela m’a presque donné envie de faire ce métier (mais je n’ai pas le courage de refaire des études!) pour être au contact du mystère de la naissance, de ce moment où deux deviennent trois, « être au plus près de l’essence de l’être », comme l’écrit encore Anna Roy.

J’ai beaucoup aimé ce livre, que je trouve nécessaire et beau, mais je l’avoue, certains passages m’ont laissée perplexe : j’ai eu l’impression que la femme est incapable d’accoucher, non seulement sans sage-femme mais sans technique. Les passages sur les femmes qui accouchent à domicile ou sans péridurale sont rares, la sage-femme ne cesse de montrer son rôle essentiel. A vrai dire, je reconnais ce rôle mais je crois aussi en l’importance de rappeler aux femmes qu’elles savent accoucher, qu’il faut qu’elles retrouvent ce savoir ancestral. Ce n’est pas ce qu’on apprend aujourd’hui dans les maternités des grandes villes en général (j’en connais qui habitent loin de la maternité à qui on a bien expliqué le déroulement de l’accouchement au cas où il ne serait pas possible d’arriver jusqu’à la maternité, et heureusement!). C’est effectivement, comme dans le livre, la sage-femme qui explique ce qui se passe (à de rares exceptions près).

Pour exemple, voici le récit que fait la sage-femme d’un accouchement qui l’a beaucoup surprise car la femme est déjà en train d’accoucher quand elle arrive :

Ma patiente se met à pousser comme une furie à la contraction. Je n’ai qu’à accompagner la sortie, elle fait tout le travail.

Pour moi, c’est bien le rôle de la sage-femme : accompagner. Et de temps en temps, aider, guider, ordonner. Non l’inverse.

Autre exemple : la sage-femme cite une lettre d’une patiente :

La liberté d’accoucher comme on le souhaite n’a de saveur que si elle se déploie sur un terrain sécurisé par des dizaines d’années de progrès médicaux. Vous aviez raison. Merci Anna.

Là encore, je ne suis pas d’accord. Oui les progrès sont bons mais ils ont leurs limites. Parfois, comme l’explique bien mieux que moi Michel Odent, la technique crée des problèmes qu’elle est ensuite obligée de régler.

Mais comme j’ai apprécié ce livre, je ne veux pas rester sur cet aspect-là, pourtant non négligeable, mais sur les autres. Il y a deux problèmes majeurs que la sage-femme soulèvent et qui méritent d’être discutés (et faire l’objet de livres à part entière!) : les conditions de travail des sages-femmes (entre autres…) et le retour à la maison après l’accouchement.

Ce que nous voulons ? Un statut qui soit conforme à notre situation. Profession médicale dans le code de santé publique, dans les faits et la responsabilité. Annexe paramédicale dans les textes de la législation hospitalière. Il y a comme un problème. Qui dit statut dit rémunération à hauteur. Nous attendons.

Anna Roy évoque aussi haut et fort ce qui est caché, dit entre deux portes : le premier mois après l’accouchement (au moins) est souvent très difficile. Elle le voit dans ses visites à domicile et en parle (ça fait du bien!) :

En France, les suites de couches n’intéressent guère les professionnels de la périnatalité : pas assez exaltant, sans doute. Les pouvoirs publics ne semblent pas non plus s’y intéresser, sauf pour mettre toujours plus tôt les jeunes parents à la porte de l’institution hospitalière. Tous victimes consentantes, sans doute, l’image d’Epinal de la jeune accouchée heureuse, souriante, les seins gorgés de lait étant dans toutes les rétines.

(…) quelle ne fut pas ma surprise quand je poussai enfin les portes des appartements parisiens. L’exercice libéral m’ouvrit les yeux sans ménagement. Trop souvent, je trouvai des femmes seules, épuisées, sans aide, complètement déboussolées. Fréquemment, je ne pratiquais pas l’obstétrique, je palliais l’absence des maris, des mères, des amies, des cousines ou des aides ménagères (dont disposent les femmes aux Pays-Bas par exemple).

(…) Croyez-moi, la détresse des jeunes mères, à Paris, n’est pas belle à voir.

 

Pour finir, je vous laisse sur ces mots de Dostoïevski, cité par Anna Roy :

L’apparition d’un nouvel être est un grand mystère, un mystère incompréhensible, et c’est dommage que vous ne le compreniez pas. Ils étaient deux et voilà qu’apparaît un nouvel être humain, un nouvel esprit, complet, achevé, tel que n’en a jamais créé main humaine, une nouvelle pensée, un nouvel amour. C’est même terrible… Il n’y a rien de plus grand au monde.

Bref, un livre nécessaire, agréable à lire et dispo à la bibli des VI ! 

Clem la matriochka