Je vous avais parlé, il y a quelques mois, d’une méthode d’hypnose élaborée par Gérald Brassine : la PTR. Cela fait maintenant plus de 6 mois que je vais voir une psychologue qui utilise cette méthode. Je reviens donc partager mon (excellente) expérience.

La libération des traumas

La première séance chez ma psy préférée n’a servi qu’à planter le décor : j’ai exposé ce qui m’amenait dans son cabinet. La psychologue que je vais voir est très fine et saisit rapidement les mécanismes en jeu. Le but n’est pas d’exposer de long en large les événements traumatisants, ni de triturer les vieilles blessures. Il s’agit plutôt de donner au/à la thérapeute les éléments nécessaires pour qu’il/elle puisse orienter ensuite les séances d’hypnose proprement dite.

Sur la thématique de l’abus sexuel, il y a eu trois séances d’hypnose. Ensuite il s’agissait de faire le point sur les effets de ces séances. Une quatrième séance a été ajoutée pour « balayer dans les coins ».

Les séances d’hypnose sont très confortables : on est conscient-e-s, le contexte suggéré est sécurisant, et on n’entre pas dans l’événement en tant que tel, parfois les scènes évoquées ont même un aspect comique. On pourrait être tenté-e-s de se dire en fin de séance : « c’est tout ?! ». Mais cela ne m’a pas effleurée : les émotions générées étaient très denses. Et surtout, j’ai vu rapidement les effets de ces séances.

Peu après, une situation de potentielle agression (une tentative d’attouchements subtilement justifiée comme étant un « massage », à l’insu de mon plein gré bien entendu) me révèle combien j’ai changé : pas de paralysie, pas de pétage de plombs, pas d’angoisses, pas de bugs… J’ai posé calmement mais fermement mes limites. Adieu l’impuissance acquise. Je me suis ensuite réjouie d’avoir observé un comportement et un état intérieur inédits dans ce genre de contexte.

J’aborde à présent d’autres thématiques, qui renvoient aussi à l’enfance, la petite enfance, l’histoire familiale…

Le bilan (provisoire) est donc pleinement positif :

  • Cette méthode est rapide : il ne s’agit pas d’être en thérapie pendant des années ni d’excaver absolument tous les détails d’un événement (en partie) refoulé.
  • Elle est pragmatique : le but n’est pas de connaître le pourquoi du comment, le but c’est d’aller mieux, et ce, en corrigeant les mécanismes psychologiques initiés lors de l’événement traumatique, autrefois protecteurs mais devenus néfastes.
  • Elle est efficace : bien sûr, ceci est mon expérience. Mais pour moi, les bénéfices sont évidents. (Je peux ajouter l’expérience d’une connaissance à qui j’ai transmis le tuyau et qui est également enchantée : retour du sommeil, diminution des cauchemars…)

J’adhère aussi pleinement à la philosophie de la démarche qui permet à la personne de sortir de l’état de victime, de (re)développer son estime de soi, sa confiance en elle et sa capacité d’agir. Autrement dit, elle donne des outils pour se protéger et se (re)construire.

L’enfant méduse

J’aimerais continuer cette contribution en évoquant quelques extraits d’un roman que j’ai fini tout récemment. J’ai été frappée par la manière dont il faisait écho à ce que dit Brassine, pas seulement quant au sujet abordé (l’abus sexuel) mais aussi quant à la manière dont l’auteure formule les vécus du personnage principal. Attention : je vous recommande d’être en forme pour le lire, surtout si l’abus sexuel fait partie de votre histoire ou de celle de quelqu’un de proche.

L’enfant méduse est un roman de Sylvie Germain. L’histoire se passe principalement dans les années 50. Lucie a 8 ans, elle est l’enfant du second mariage de sa mère. Elle a ainsi un demi-frère âgé d’une vingtaine d’années qui s’avèrera être un « ogre »…

Dans un sens, le livre n’est pas très « réaliste » : parce que Lucie est incroyablement consciente de ce qu’elle vit. Or – que ce soit en me référant à ma propre expérience ou à celles des proches qui ont aussi vécu un abus sexuel – l’enfant n’est pas capable de se formuler ce qu’il/elle vit et n’est pas conscient-e de la manipulation mise en Å“uvre par l’abuseur. Pour l’enfant, l’abus sexuel et tout ce qui l’entoure ont quelque chose d’incompréhensible, d’indicible, d’informulable. Mais ce manque de réalisme n’est pas un défaut du roman. Car précisément, ce n’est pas un documentaire, c’est un roman. Cette explicitation est donc profitable :

  • pour celles et ceux qui ont vécu un abus, elle permet de reconnaître des émotions, des sentiments, des mécanismes psychologiques, des comportements, souvent restés non formulés. (Bien entendu, chaque enfant, chaque histoire et chaque vécu sont différents, mais reconnaître l’un ou l’autre élément est éclairant.)
  • pour les autres, ce roman permet de prendre la mesure de l’impact d’un abus sexuel sur un enfant.

La justesse de l’écriture m’a frappée. Elle n’est ni voyeuse, ni pudibonde. Elle est claire sans être inutilement « trash ». Assez rapidement, les parallèles avec ce que j’avais lu chez Brassine ont été évidents.

[Je spoile un peu mais pas trop…]

Par exemple, Brassine montrait dans Prévenir, détecter et gérer les abus sexuels subis par les enfants l’importance des « verrous » : ces mécanismes que l’abuseur met en place pour empêcher toute parole le dénonçant. Les verrous peuvent être « évidents », comme les menaces ou le chantage, ils peuvent être aussi plus subtils, par exemple, en faisant croire à l’enfant qu’il/elle a voulu l’abus.

Dans ce sens, Sylvie Germain utilise textuellement le mot « verrou » pour décrire ces mécanismes :

Son secret, – un sceau invisible le maintient enfoui, bâillonné. Un sceau fait de honte et d’effroi. Lucie se tait. L’ogre lui a volé sa voix, il a mis sous verrou les mots de l’impossible aveu qui la tourmente tant.

C’est qu’il règne sur elle par la douleur et par la peur. (…)

Parfois il tente, après avoir abusé d’elle, de la rassurer, – de la séduire et de l’apprivoiser. Il feint alors la douceur et la complicité. « Ma petite Lu, tu es bien avec moi, n’est-ce pas ? Tu aimes bien mes caresses, c’est agréable, non ? Nous ne faisons rien de mal, tu sais. C’est très beau de s’aimer comme on s’aime, tous les deux, vraiment. Mais les autres sont méchants, et jaloux, c’est pourquoi il ne faut rien leur dire. Rien, et jamais ! Tu me le jures, hein, que tu ne raconteras rien à personne ? C’est notre secret, notre grand secret à tous les deux seulement ! Il faut le garder ainsi. » Et il la saoule alors de mensonges, murmure tout bas contre son oreille. Mais plus souvent il la menace, et c’est par cela qu’il la tient. « Si tu dis un seul mot, je te tordrai le cou, tu entends ? Ne t’avise surtout pas d’aller me dénoncer, je t’écraserai comme un pou. Tu la fermes, sinon, zou ! Je t’expédie tout droit au cimetière dans une jolie boîte en sapin. Et n’essaie pas de bloquer ta fenêtre, j’entends venir quand bon me semble et trouver toujours les volets ouverts. Si jamais tu t’enfermes, tu auras de mes nouvelles le lendemain, crois-moi ! Tu dois m’obéir en tout. »

Ma première contribution avait pointé l’importance de parler de sexe pour prévenir et gérer les abus. A contrario, l’absence de parole est flagrante dans le roman, ainsi que l’impact de ce tabou.

Et puis aussi, elle n’éprouvait plus soudain que méfiance et malaise à l’égard des adultes. C’est qu’elle connaissait désormais leurs vrais corps, elle savait ce qu’ils faisaient la nuit dans leurs chambres closes. Elle comprenait leurs sous-entendus, leurs sourires en coin et leurs petits rires acidulés lorsqu’ils évoquaient « la chose » en parlant des histoires privées des autres, – jamais d’eux-mêmes. Elle ressentait alors jusqu’au dégoût leur hypocrisie, leur vulgarité. Ils s’ingéniaient à ne pas parler de « ça » devant les enfants, du moins ouvertement, mais ils ne savaient pas prendre garde aux irruptions de « ça » dans la vie des enfants. Ils étaient trop aveugles pour reconnaître les traîtres qui se trouvaient parmi eux.

Depuis longtemps les adultes sont devenus pour Lucie une autre race, une race étrangère indigne de confiance, affublées de corps opaques et étouffants. Elle les tient à distance, – ils comptent des ogres dans leurs rangs.

[J’arrêter de spoiler.]

L’enfant méduse m’a donc beaucoup plu pour sa justesse. (De plus, l’écriture est très poétique, ce qui ne gâche rien.) J’avoue avoir été un peu sur ma faim quant à la fin, qui aurait presque réclamé un 2e tome plutôt qu’un chapitre. Mais cela n’a pas gâché ma lecture (très prenante).

Vous vous en doutez, je ne peux que vous recommander de lire L’enfant méduse – mais, vraiment, pas quand vous êtes déprimé-e-s…

Dame Andine cogite