Les tablettes tactiles, ipad ou autres, font souvent partie du quotidien des bébés. Aux Etats-Unis, une étude a montré que « Plus d’un tiers des bébés ont déjà cliqué sur un smartphone ou une tablette avant même d’apprendre à marcher ou à parler. À l’âge d’un an, un enfant sur 7 les utilise même au moins une heure par jour. » Et en France, le marché se développe, que ce soit celui des tablettes pour tout-petits dès 18 mois ou des applications pour tout-petits.

Mais qu’en disent les spécialistes du développement de l’enfant ?

Une récente étude d’Annette Karmiloff-Smith, spécialiste du développement neurocognitif de l’enfant, affirme que les tablettes sont bénéfiques pour le développement des tout-petits. Elle encourage à confier des tablettes aux enfants dès leur naissance : « Ces appareils doivent faire intégralement partie de l’environnement d’un bébé, dès sa naissance. Ils apprennent tellement vite avec ».

bébé ipad

Elle insiste sur le fait que des enfants à qui on avait confié des ipads à 6 mois et 12 mois apprennent rapidement à se servir de l’appareil (faire défiler le texte par exemple). Mais j’ai du mal à voir le lien entre être capable de faire quelque chose et le fait que ce soit intéressant pour l’enfant ou bénéfique pour son développement. Effectivement, à 18 mois, mon fils était capable de déverrouiller mon iphone, mais personnellement j’en ai conclus qu’il était doué en imitation et que je passais trop de temps sur mon téléphone, pas que je devais lui confier !

Mais regardons l’étude d’un peu plus près (ou plutôt ce qu’en disent les journaux, je n’ai pas eu accès à l’étude proprement dite) : elle démontre que les enfants sont davantage capables d’identifier le chiffre 3 s’ils le voient sur une tablette. L’étude explique peut être plus en détail comment on sait que les enfants ont reconnu le chiffre 3, par rapport à quel support (quelle couleur ? quelle animation ? quelle différence entre les différents supports) et quel est l’intérêt pour le développement de l’enfant de savoir identifier le chiffre 3 (sans savoir à quoi il correspond) à 6 ou 12 mois. Elle ne semble pas prendre en compte les autres aspects de la question (développement social et émotionnel de l’enfant par exemple). Bref, utiliser cette étude pour en conclure de manière générale que les tablettes sont bonnes pour le développement de l’enfant me semble une généralisation abusive.

Rappelons qu’en France, un rapport a été publié en 2013 par l’académie des sciences concernant l’usage des écrans par les enfants et résumé sur les vendredis intellos par Declickids ici. S’il déconseille globalement l’usage des écrans avant 3 ans, il est moins sévère avec les tablettes, soulignant que parmi les écrans, « C’est le format le plus proche de leur intelligence. »

On peut souligner qu’il n’y a pas de position unanime des différents auteurs du rapport. Si Olivier Houdé recommande l’usage des tablettes dès 6 mois, Serge Tisseron est beaucoup plus réservé.

Mais les deux chercheurs sont d’accord pour dire que pour que l’usage des tablettes puisse être bénéfique (ou en tout cas non nocive) pour les tout-petits, il faut prendre en compte deux aspects, soulignés par l’académie des sciences mais totalement absent de l’étude d’Annette Karmiloff-Smith, ou en tout cas du résumé qui en est fait dans la presse :
l’usage des tablettes doit être accompagné par un adulte et l’enfant ne doit pas être laissé seul avec :
« Les tablettes tactiles (plus exactement, visuelles et tactiles) peuvent contribuer dans un contexte relationnel, avec l’aide des parents, des grands-parents ou des enfants plus âgés de la famille, à l’éveil précoce des bébés au monde des écrans. » (rapport de l’académie des sciences)
« ce n’est pas parce que les bébés possèdent cette dextérité tactile qu’ils ont le contrôle suffisant pour être laissés seuls face aux écrans. Dans le cadre d’un éveil précoce, une tablette interactive peut participer au développement de l’intelligence du bébé, avec le concours d’un adulte ou d’un enfant plus âgé. » (Olivier Houdé)
La tablette ne peut en aucun cas remplacer la manipulation d’objet, le développement de la motricité, le contact avec les autres. Elle doit donc être utilisée de manière modérée, en laissant davantage de place à d’autres activités qui lui permettront de construire son rapport au corps et le rapport au temps, ce que ne permet pas la tablette, d’après Serge Tisseron :
« L’écran « high-tech » est donc un objet d’exploration et d’apprentissage parmi tous les autres objets du monde réel, des plus simples (peluches, cubes en bois colorés, hochets) aux plus élaborés (tablettes numériques tactiles). » (rapport de l’académie des sciences)
« Ceux qui savent utiliser des cubes réels gagneront peut être à utiliser des cubes virtuels, mais ceux qui ne l’ont jamais fait auront probablement tout à y perdre » (Serge Tisseron).
« La tablette ne remplace pas la table d’éveil classique faite avec des tissus, une roue, un miroir, qui stimule aussi par le toucher et les gestes de préhension : les bébés doivent avoir les deux. Il ne faut pas réduire toutes ces ouvertures neuronales disponibles ! » (Olivier Houdé)
Enfin, je voudrais revenir sur la comparaison qu’Annette Karmiloff-Smith fait entre les livres et les tablettes. Elle affirme en effet : “Books are static. When you observe babies with books, all they are interested in is the sound of the pages turning. Their visual system at that age is attracted by movement. » (traduction approximative : « les livres sont statiques. Quand on observe des bébés avec des livres, la seule chose qui les intéresse c’est le son des pages que l’on tourne. Leur système visuel, à cet âge, est attiré par le mouvement »). Ca fait bondir la bibliothécaire passionnée de lecture aux bébés que je suis ! Je me dis qu’elle n’a pas du voir souvent de bébés avec des livres. Là encore, le lien créé avec l’adulte autour du livre est totalement effacé. Et « pour asseoir les repères temporels, le meilleur instrument reste le livre. « Les écrans nous introduisent à un présent éternel, dénonce Tisseron. L’enfant frotte la tablette, une image surgit. Il frotte, une autre arrive. En revanche, quand il tourne les pages d’un livre cartonné, il y a un avant, un pendant et un après. Au-delà de son rôle affectif et dans la maîtrise du langage, l’histoire du soir est un excellent support d’apprentissage de la temporalité. » (source)
Suite à leurs résultats, Annette Karmiloff-Smith et son équipe ont lancé une étude de plus grande envergure, sur une centaine d’enfants suivis plusieurs années. « She expects to observe better behaviour, motor control and visual attention in children regularly using iPads. » Nous en saurons donc probablement plus dans quelques années !
Lila et le magicien