Dans un établissement parisien de quartiers riches, des collégiens de 6e ont été sanctionnés disciplinairement pour avoir imposé à des collégiennes des attouchements. On a également mentionné qu’ils avaient visionné des vidéos pornographiques sur leurs téléphones portables. D’aucuns vont même jusqu’à préciser marque et modèle du téléphone et nom du site pornographique consulté :

« Un autre père de famille rapporte que ces mêmes garçons regardaient aussi des vidéos pornographiques « YouPorn sur leur iPhone 6 », dans la cour de récréation. »

LeMonde.fr est plus prudent :

« L’enquête interne à l’établissement n’a par ailleurs, pour l’instant, pas permis de savoir si le visionnage des vidéos avait eu lieu à l’intérieur ou à l’extérieur du collège. Il s’agirait d’un jeu qui a dégénéré. »

La réaction de certains parents : il faudrait interdire les téléphones portables, ou du moins leur usage, dans les cours de récréation.

La solution de facilité

Comme le rappelle intelligemment Madmoizelle, même si l’on interdit l’usage des téléphones portables dans les cours de récréation, les élèves pourraient tout de même regarder des vidéos pornographiques à l’extérieur de l’établissement. Pour ma part, je me demande s’il est bien raisonnable d’occuper les surveillants, qui sont déjà si peu nombreux qu’ils n’ont semble-t-il pas remarqué que des collégiennes se faisaient agresser, à traquer les utilisateurs de téléphone portable, dont je suppose que la majorité ne regarde pas de porno…

Évidemment, certains politiciens ont embrayé, par exemple un ancien ministre de l’éducation, qui présente cette interdiction des téléphones comme une mesure de bon sens.

Il se trouve qu’il y a près de cela dix ans, j’assistais à une réunion avec cet ancien ministre, à l’époque député, sur des sujets de législation relative à l’informatique mais ne touchant pas à la sexualité, quand celui-ci nous tint à peu près ce langage :

« Vous vous y connaissez en informatique… De nos jours, les jeunes accèdent en ligne à bien plus de pornographie que ce qui était disponible de mon temps. Que puis-je répondre aux parents à ce sujet ? »

Notre première suggestion était, si je me rappelle bien, que c’était tout d’abord aux parents de discuter de ces choses là avec leurs enfants ; puis nous avons mentionné les logiciels de contrôle parental. Notre interlocuteur n’était guère intéressé… il est vrai que ces suggestions plaçaient les parents devant leurs responsabilités, et il attendait sans doute plutôt des suggestions de mesures que l’État pourrait mettre en place ou imposer aux opérateurs Internet.

Nous avons fini par botter en touche en expliquant que l’on avait proposé la création d’un domaine .xxx mais que les États-Unis, puritains, l’avaient refusé, alors que cela aurait permis de regrouper les sites pornographiques afin de faciliter leur filtrage. Cet argument était assez irréaliste, mais avait l’avantage de pouvoir renvoyer le blâme sur un pays étranger, méthode qui a toujours du succès en politique française.

Il n’était de toute façon pas évident pour moi si le politicien en face de nous recherchait une solution effective, ou juste à avoir quelque chose à proposer, indépendamment de son réalisme et de son efficacité.

Sur ces questions, il est flagrant que l’on agit comme si

  1. Le problème était fondamentalement lié à Internet et n’existait pas autrement ; comme s’il avait fallu que les enfants accèdent à des sites pornographiques pour avoir envie de se livrer à des attentats à la pudeur.

  2. Le problème serait convenablement traité par des mesures d’ordre technique (« filtrage d’Internet ») ou réglementaires (« il suffit d’interdire les téléphones portables »).

Relevons tout d’abord qu’au cours des 30 dernières années, on a, outre Internet (le coupable idéal des 15 dernières années) on accusé le heavy metal, les jeux de rôle puis les jeux vidéo de susciter des comportements indésirables chez les jeunes. La tendance à rechercher des « corrupteurs » extérieurs à la jeunesse (ici, les films pornographiques) pour expliquer ses dérives est bien antérieure.

Les enfants n’ont pas attendu la pornographie sur Internet pour se livrer à des attentats à la pudeur. Par exemple, dans le collège où j’étais en 6e, il y a eu la mode de plus ou moins forcer des garçons à se débraguetter devant curieuses et curieux, par exemple à l’arrière du car qui nous amenait à la piscine…

Comme l’explique d’ailleurs Madmoizelle : « le respect mutuel et le consentement, ça s’apprend ». J’irai même plus loin : certains enfants éprouvent du contentement à imposer leurs volontés aux autres, par la force s’il le faut. On peut bien leur supprimer leur accès Internet, cela ne changera rien. Le problème est ailleurs.

Qui définit la politique de filtrage et de « contrôle parental » ?

Comme souvent quand il y a un problème de fond, embarrassant, d’éducation, on promeut des solutions techniques, notamment le « filtrage » et le « contrôle parental ». Ainsi, les établissements scolaires filtrent les sites et services auxquels élèves et enseignants peuvent accéder.

Le plus souvent, ces solutions s’appuient sur des « listes noires » de sites entrant dans diverses catégories possiblement indésirables : pornographie, religions non traditionnelles, jeux d’argent, éducation sexuelle, avortement… Il est donc capital pour les adultes de définir une politique quant à chacune de ces catégories ; les réglages par défaut peuvent ne pas convenir.

Plus gênant, la classification des sites dans les catégories est parfois douteuse. J’ai ainsi eu la surprise, lorsque j’ai voulu accéder à Écrans, la rubrique Internet du journal Libération, depuis ma chambre d’un centre de conférences scientifiques, de constater que celle-ci était bloquée comme étant dans la catégorie « streaming », c’est-à-dire les sites qui distribuent des fichiers audio et vidéo plus ou moins légaux. La bande dessinée en ligne Xkcd, quant à elle, était classée dans les sites pornographiques !

Constatant ces mauvais classements, j’ai voulu en informer le fournisseur du logiciel de filtrage. Il fallait remplir un formulaire, en anglais bien entendu. Vu l’heure à laquelle on m’a répondu, le service chargé de traiter ce genre de demandes devait être délocalisé en Inde… Ce sont donc des non-francophones qui décident de si tel ou tel site français est dans telle ou telle catégorie : on mesure la difficulté quand il s’agit non pas de pornographie mais de tel ou tel type de propagande !

Lorsque le réseau social Facebook a censuré le tableau l’Origine du Monde, de Courbet, assimilé à de la pornographie, on s’est en France indigné devant cette marque d’inculture et de puritanisme américain. Voire. Un site ou un moteur de filtrage qui a des millions d’utilisateurs doit forcément passer par des catégories standardisées et des règles fixes, applicables par des personnels peu qualifiés et dont on n’attend pas de connaissances culturelles. Le tableau de Courbet, objectivement, représente une femme jambes écartées, vulve en évidence ; décider de l’admettre, alors qu’on n’admettrait pas un manga ou une photographie contemporaine représentant la même pose, nécessite de porter un jugement culturel assez délicat et subjectif.

Ma curiosité piquée, j’ai voulu vérifier si le filtre qui m’interdisait Xkcd et Écrans filtrait au moins convenablement le porno. Si certains sites érotiques étaient effectivement filtrés, j’ai pu constater qu’un site de bande dessinée érotico-humoristique (feu le Love Blog) ne l’était pas… (Et, bien entendu, je savais de toute façon contourner le filtrage.) Quant aux systèmes basés sur les mots-clefs, rappelons qu’il fut un temps où ils bloquaient les sites traitant de cancer du sein au motif qu’ils parlaient de seins !

Lorsque les journalistes affirment, pour promouvoir l’usage de logiciels de contrôle parental, que

« La liste noire regroupe plus d’un million de sites pornographiques, régulièrement mise à jour. »

ils n’expliquent pas qui met la liste noire à jour et selon quels critères on estime qu’un site est pornographique ou non.

Les adultes doivent donc être conscients que les systèmes de filtrages peuvent à la fois sur-filtrer et sous-filtrer, et peuvent souvent être contournés.

La mauvaise éducation

La pornographie est dangereuse pour les adolescents, nous dit-on. Certains attaquent son immoralité, notamment parce qu’elle présente du sexe sans amour, des relations de groupes, ou des pratiques s’écartant des normes traditionnelles. D’autres pointent son manque de réalisme : morphologies hors normes (et éventuellement retouchées chirurgicalement), pratiques extrêmes ou brutales sans expliciter les précautions associées… Ainsi, on nous dit que des préadolescents, habitués à voir des sexes épilés dans les films, ne comprennent pas que la pilosité est naturelle.

On peut bien sûr objecter que ces traits sont partagés par une bonne partie de la fiction cinématographique. Dans les films d’action, les héros accomplissent souvent des actions illégales, physiquement impossibles ou du moins très risquées, sans subir les conséquences qui attendraient quiconque ferait ainsi dans la vraie vie. Cela n’est d’ailleurs pas propre aux films récents : songeons par exemple à ces combats sur la cabine d’un téléphérique en mouvement, dans Quand les aigles attaquent… et à toutes les courses-poursuites en voiture.

Une différence, nous dit-on, est que les adolescents se rendraient bien compte que les cascades des films relèvent de la fiction à ne pas tenter de reproduire chez soi (par exemple, ils distinguent la conduite automobile réelle de celle des cascadeurs ou des effets numériques des films), tandis qu’ils prendraient la pornographie comme unique référence en matière de sexualité.

C’est là que l’on se demande si l’on ne prend pas le problème à l’envers.

Notre société sexualise les enfants depuis le plus jeune âge. Ainsi, dans les piscines, les petites filles de 3 ans portent des maillots couvrant la poitrine, alors qu’évidemment à cet âge il n’y a rien à soutenir ou à cacher (si tant qu’il faille cacher la poitrine féminine). Les marchands de journaux mettent en façade à hauteur de yeux d’enfants des annonces pour des revues pornographiques comme Union, et l’on s’étonne de ce que les dits enfants demandent ce que cela veut dire que « chaudasse ». On trouve quantité de publicités pour divers produits avec des femmes nues. On fait toute une histoire de la longueur des jupes des adolescentes : trop courtes, c’est indécent, trop longues, ça fait trop religieuse…

Parallèlement, on éduque peu à la sexualité, en dehors de quelques explications physiologiques sur le rôle du coït pour la reproduction et la nécessité d’utiliser des préservatifs. C’est sans doute ce vide que le porno vient combler.

DM