Récemment, nous avons fait une razzia de bouquins à la médiathèque d’Albi. Après avoir été surpris par un passage pas bienveillant du tout dans Petit Ours Brun, on a parcouru 4 livres plutôt récents et qui ont comme point commun de traiter de l’école du point de vue des émotions de l’enfant :

– BLOCH Serge, L’école de Léon, 2000.

L'école de Léon Serge Bloch littérature jeunesse enfants livre sur l'école

Autant vous prévenir, on commence fort d’entrée de jeu avec la charmante petite histoire de Léon, 3 ans, qui va faire sa rentrée à l’école maternelle. Comme on peut s’en douter, il est pas enchanté le gadjo, voire un brin réticent. Tu m’étonnes! A votre avis, comment a réagi le petit bout de chou quand il s’est retrouvé seul au milieu de 30 moutards en larmes? On l’écoute :

« Et on est allés dans ma classe… Et là, c’était l’horreur! Il y avait plein d’enfants qui pleuraient, des vraies sirènes de police […]. C’était ça l’école!… J’ai serré la main de maman et j’ai senti comme si je pleurais à l’intérieur pour pas que ça se voie. » Yeah! Digne d’un orphelinat d’antan!

Mais pas de panique! Les gamins sont passés à autre chose au cours de cette première journée traumatisante. Ils ont fait des gommettes, chanté et goûté, « sauf ceux qui n’ont fait que pleurer ». Ah quand même! Bonjour l’ambiance dans la salle de classe.

Une fois la journée terminée, Léon se rend compte qu’il faut y retourner le lendemain! Mazette! « Alors c’est tous les jours la rentrée! » commence-t-il à comprendre… Eh oui mon con!

Rassurez-vous, quelques pages plus loin, le petit Léon nous explique que maintenant il aime son école. Ouf!

Tout ça me fait penser à un passage tellement juste d’un livre de Catherine Baker :

« Les enfants n’aiment pas l’école. Ceux qui disent l’aimer, comme je le faisais, vivent souvent dans un système de séduction dont ils ont bien plus de mal à se débarrasser que ceux dont a brisé la révolte par la répression. »

Puis, un autre:

« A l’école, on a peur.

A la mère dont le petiot hurle au premier jour de la maternelle, on dit : « Il va s’habituer. » C’est effectivement ce qui se passe. On s’habitue. La plupart oublient même qu’ils ont eu peur, qu’ils s’y sont accoutumés. Le pli est pris. Ils ont peur toute leur vie, ne savent plus de quoi. C’est là que réside l’atrocité de la souffrance obscure. » (Insoumission à l’école obligatoire, Catherine Baker, 1985)

 – BRAMI Elisabeth et LE NEOUANIC Lionel, Moi j’adore, la maîtresse déteste, 2002.

Moi j'adore, la maîtresse déteste élisabeth brami lionel le néouanic littérature jeunesse enfants livre sur l'école

Voici un deuxième livre avec un sujet différent du premier. Ici, on s’intéresse aux interdits posés par la maîtresse, répertoriés par un enfant. Le ton du bouquin se veut humoristique. En effet, y’a de quoi rire.

Au menu:

– des enfants qui ne peuvent pas satisfaire leurs besoins primaires à leur guise (manger, se lever,faire pipi sans permission, parler, jouer, rêvasser)

– des enfants soumis sans équivoque à l’adulte (lever le doigt pour parler, demander la permission pour se lever, se taire, ne pas faire de bruit, travailler parce que la maîtresse l’a décidé, être poli, réciter ses leçons, ne pas se salir…)

– des enfants obligés de mentir pour esquiver des situations pénibles (« faire croire qu’on a envie de faire pipi pour aller se promener », « faire croire qu’on est malade pour aller à l’infirmerie », « dire qu’on a perdu son cartable pour ne pas travailler », « raconter des bobards pour ne pas se faire gronder »…), etc.

Bref, là encore, ça donne envie!

– MATHUISIEULX Sylvie, POUYAU Isabelle et SABATHIE Laurent, Aller à l’école, pour quoi faire?, 2006.

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Cette histoire raconte la journée de Justine, petite écolière qui tombe malade et qui ne peut aller en cours. Elle reste à la maison avec sa maman qui lui explique le pourquoi du comment de l’école.

Ce livre est bourré de contradictions, pour être poli. Prenons en deux:

– Dès le départ, la mère assène à sa fille que « l’école est obligatoire » et qu' »il faut une bonne raison pour ne pas y aller »; à la page suivante on apprend qu' »en France, une loi dit que l’instruction est obligatoire pour les enfants »… Oui, rappelons qu’en France l’école n’est pas obligatoire.

– On apprend un peu plus loin que « grâce à l’école, Justine devient capable de faire beaucoup de choses toute seule ». Super! Pourtant, le livre se conclue sur les mots de la petite fille : « C’est bizarre… Aujourd’hui, je n’étais pas à l’école, et pourtant j’ai appris des tas de choses…. » Oh oui, captain obvious, comme c’est curieux!

A aucun moment Justine ne manifeste sa sympathie pour l’école. Bien au contraire. On peut lire à un moment ceci: « Justine est plutôt contente de rester à la maison », « elle se met à rêver d’un monde sans école, sans leçons ». C’est presque du Ivan Illich dans le texte…

 – FONTANEL Béatrice et PLACIN Lucile, A l’école arc-en-ciel, 2014.

A l'école arc-en-ciel béatrice fontanel lucile placin littérature jeunesse enfants livre sur l'écoleDernier livre qui, tant sur le fond que sur la forme, se rapproche de l’histoire de Léon. Ici, le héros s’appelle Tom et fait lui aussi sa rentrée des classes, traumatisante, est-ce utile de le préciser? Avec Léon, le larmomètre était déjà bien haut, mais avec Tom c’est carrément l’inondation, au sens propre puisque à force de pleurer, notre petit gars provoque un véritable océan de larmes dans la cour de récréation! Waouh! Carrément!

Grâce aux jolis dessins et à une approche métaphorique, les auteurs de cette histoire parviennent à nous faire croire qu’après le déluge notre petit Tom nage non plus dans son chagrin mais dans le bonheur, symbolisé par un sublime arc-en-ciel final (vous pigez le titre, ça y est?). De toute beauté.

Si ce livre a le mérite d’être plus subtil que les autres,  il reste tout de même profondément pro-école et soutient la thèse que l’enfant finit par aimer l’école et que tout va pour le mieux dans le meilleur des mondes.

Pour résumer, ces quatre livres minimisent tous les souffrances de l’enfant et leur mal-être à l’école. Même si ces thèmes sont abordés, à des degrés divers, ils n’ont que peu de poids face à la chute positive des histoires : la détresse de l’enfant n’est pas si grave puisqu’il finit par aimer l’école… Léon et Tom finissent par rentrer dans le rang ; Justine, une fois rétablie, se hâte de faire son cartable.

Autre point commun entre tous ces livres,  c’est l’acharnement des auteurs à défendre l’indéfendable. Ils ont beau pointer le caractère détestable de l’école, ils finissent quand même par lui trouver toutes les vertus possibles (antre du savoir, temple de la socialisation, lieu où l’on fait les 400 coups…). Si les auteurs mettent en avant le point de vue des enfants c’est pour mieux le tourner en dérision (Moi j’adore, la maîtresse déteste), le démolir sous le poids d’arguments fallacieux  (Aller à l’école, pour quoi faire?), ou pour montrer qu’il n’est pas fiable, qu’il peut vite changer (L’école de Léon, A l’école arc-en-ciel).

On peut enfin dire que ces histoires restent, malgré tout, des versions édulcorées de la vie à l’école. En effet, des sujets comme les humiliations, les punitions, la cadence infernale des journées de cours, le despotisme éclairé (ou pas) des adultes, la trouille omniprésente ne sont pas vraiment abordés…

Reste à conclure en adressant, par la voie de Catherine Baker (encore elle), un petit message aux concepteurs des livres dont nous avons parlé et plus largement à tous les adultes qui aiment et défendent l’école :

« Nous devrions devant chaque enfant que nous rencontrons rougir de honte pour toutes les humiliations que nous leur faisons subir. Je ne connais aucun domaine de la vie sociale où l’indélicatesse soit poussée aussi loin. »

Sommes-nous les seuls parents à nous trouver désappointés face à cette « littérature »? Connaissez-vous des livres qui abordent la déscolarisation et/ou la non-scolarisation?

Libres enfants du Tarn