Lorsque j’étais enceinte de mon premier enfant, je n’avais pas vraiment d’idée sur la question de l’allaitement, pas d’à priori trop ancré… Quelques doutes tout de même du style : » on verra bien si j’y arrive ? ». C’était en 2002, et voyant peu de mères allaiter autour de moi, je m’étais un peu préparée via les cours de préparation à la naissance proposés par la maternité. J’avais à l’époque trouvé le discours de la sage très adapté et très respectueux : elle présentait tous les avantages de l’allaitement pour la mère et l’enfant mais ce faisant, elle ne montrait pas du doigt les mamans qui n’étaient pas partantes. Bien au contraire, le discours était axé sur le « libre choix », le « ressenti » de chacune… Bref, tout le monde se sentait libre.
Les choses se sont un peu dégradées pour la suite de mon allaitement, lorsque confrontée à quelques difficultés, j’obtenais à la maternité ou chez mon médecin, toutes sortes de discours contradictoires (voire des informations un peu culpabilisantes sur la façon dont je m’y prenais). Et dans ce cas de figure, c’est loin d’être facile ! Remise en question, doutes font très vite surface avec un travail de sape qui peut être très douloureux … Bref, la forme du discours autour de l’allaitement (choix, façons de faire) me paraît être aussi primordiale que le fond. Communiquer juste, vrai tout en essayant de se mettre à la place de la personne qui écoute : voilà la ligne de conduite idéale. C’est mon avis, bien personnel et il me semble légitime de se demander si la promotion de l’allaitement menée depuis plusieurs années est efficace ?
Force est de constater que dans certains cas elle fait plus de mal que de bien et que la question de l’allaitement divise, car elle suscite des sentiments très forts qui ne font que renforcer chez certaines mamans le regret, la culpabilité, voire la honte … des sentiments qui au final peuvent remettre en cause le bien-être et l’équilibre des familles. Quelles sont les meilleures façons de faire pour informer sans culpabiliser ?
C’est à cette question que tente de répondre un ouvrage récent écrit à plusieurs mains* édité par « Les Editions du remue-ménage », sous la direction de Chantal Bayard (sociologue, impliquée dans la formation des professionnels de la santé en allaitement) et Catherine Chouinard (directrice des communications pour l’organisme Avenir d’enfants)
« La Promotion de l’allaitement au Québec – Regards critiques »
L’ouvrage est découpé en plusieurs chapitres, abordant d’une part les différents vecteurs de la promotion de l’allaitement : les médecins, les ouvrages spécialisés, la presse, les média sociaux et d’autre part, le ressenti des mères par rapport au discours et ce dans différentes situations (retour à la maison, la gestion de l’espace public, relation avec le père, relations intimes)
Mon impression générale est que le sujet est traité de façon très complète et très fouillée sans langue de bois, quitte à remettre en questions certaines façons d’agir. La diversité des auteurs* apporte forcément une grande richesse dans les réflexions et toutes les facettes sont abordées de façon approfondie : on analyse un fait en recherchant son origine, en comparant avec d’autres pratiques ailleurs, en se référant aux connaissances scientifiques, en remettant en cause certains aspects du discours et ses conséquences. Bref, j’ai le sentiment que cet ouvrage veut vraiment faire avancer les choses pour qu’enfin puissent cohabiter dans la promotion de l’allaitement : information fiable et respect.
Je ne vais pas balayer tous les aspects abordés dans ce livre : chacun(e) doit se faire son propre avis sans à priori et selon son histoire personnelle. Je voudrais juste insister sur un ou deux points qui m’ont marquée et amenée à réfléchir.
Le discours des médecins
Ah qu’il est primordial le discours des médecins ! C’est vrai que pour beaucoup de mères, ils sont les « sachant », leur parole est d’or et ont même parfois, un certain ascendant au point de ne pas oser contredire ou même interroger. Ainsi, la forme du discours est capitale comme l’illustre ce premier chapitre où on plonge dans l’histoire du Québec du XXe siècle. Comment la place des médecins dans la promotion de l’allaitement s’est-elle construite ?
Pendant la première moitié du XXe siècle, il s’avère que la mortalité infantile (notamment chez les nouveaux-nés) préoccupe beaucoup les spécialistes de la santé publique.
La révolution pasteurienne du dernier du XIXe siècle a permis de faire le lien entre les diarrhées et entérites qui emportaient nombre de nourrissons et l’ingestion de lait de vache contaminé
En même temps, les mères québécoises francophones, affichent des taux particulièrement bas.
… l’abandon constant et persistant de l’allaitement maternel, par les mères canadiennes-françaises représentait la principale, sinon l’unique, cause de la mortalité infantile
Bref, la solution est de prôner le retour à l’allaitement. Oui mais voilà… Le corps médical n’a pas réussi à obtenir l’adhésion des mères tel qu’ils l’espéraient. Et c’est dans la forme du discours, qu’il faut en rechercher les principales causes.
* Certains sont trop autoritaires
Ils accusent les mères d’avoir jusque là, refusé l’allaitement pour des raisons purement « égoïstes », car pour beaucoup d’entre eux, l’allaitement représentait une servitude.
L’idée que les femmes refusaient le sein à leurs enfants pour mieux profiter « des plaisirs d’une vie mondaine trépidante » revient à plusieurs reprises sous la plume des hygiénistes.
Ils ont d’autre part des propos très tranchés et accusateurs présentant les femmes comme des ignorantes, voire peu touchées à la mort de leur enfant du moment qu’il ait été baptisé.
Bref, les médecins se présentent comme des super sauveurs, visant à imposer une emprise sur la population féminine.
Jamais il n’est question du « plaisir de l’allaitement », du « bonheur de nourrir son enfant (note perso : le voir s’ouvrir à la vie attaché au sein de sa mère, avec sa petite main caressante, le regard perdu, ivre d’extase)
Jamais, dans les propos des médecins, il n’était question du plaisir d’allaiter, /…/, sans doute parce que, étant hommes, ils ne pouvaient tout simplement pas imaginer que ce geste puisse procurer un quelconque contentement. Pour le Dr J. Gauvreau, l’allaitement maternel s’apparentait en fait à de l’esclavage, [à] un joug doux, mais un joug tout de même
* D’autres sont incohérents
Alors que les spécialistes imposent « l’allaitement comme étant la panacée » contre les problèmes d’hygiène notamment, des médecins de famille, « moins spécialistes » et également « mal informés » ont quant à eux, plutôt œuvré à la désinformation en essayant au contraire d’être à l’écoute des mères qui jugeaient leur lait trop pauvre : ils confirmaient la chose et encourageaient trop vite le passage au biberon.
Bref, deux approches opposées qui conduisent toutes les deux à l’échec.
Que conclure ?
Sur la base de faits qui se sont produits durant une bonne partie du XXe siècle, on peut conclure que les discours des professionnels de santé doivent être les premiers remparts à la désinformation mais aussi au manque de respect des individus.
Affirmer que le lait maternel n’est meilleur que pour des questions d’hygiène ou qu’il peut être « trop pauvre », que l’allaitement est une forme de joug ainsi qu’ un discours tranché, tout puissant, accusateur et méprisant envers les mères qui n’allaitaient pas ont finalement conduit au phénomène contraire au résultat recherché.
Bref, autant sur le fond que sur la forme, le discours se doit d’être bien ficelé…
A l’heure actuelle, il n’est pas rare d’entendre encore des aberrations de la bouche de certains médecins et pédiatres avec comme conséquence directe l’arrêt de l’allaitement… Heureusement, ils ne sont pas tous « mal informés » ou des sachants tout puissants, qui imposent sans expliquer « … Et les discours semblent lentement évoluer dans le bon sens.
La culpabilité, pourquoi, comment ?
Le chapitre IV (écrit par Manon Niquette) évoque cette question de la culpabilité : le point névralgique de cet ouvrage, me semble-t-il.
Comme précisé en tout début de chapitre, il faut chercher à échapper à « la spirale de la mauvaise conscience »
L’auteur nous livre une analyse intéressante en pointant du doigt des campagnes de promotion souvent menées comme si l’allaitement n’était rien d’autre qu’un « produit commercial » comme les autres, c’est-à-dire sous l’angle marketing…tout simplement parce que nous évoluons dans la culture de la publicité commerciale.
Les campagnes de promotion de la santé sont réalisées par des personnes qui baignent dans la culture de la publicité commerciale. … Le recours à une approche marketing pour transmettre des messages sur l’allaitement peut conduire à des aberrations.
Et alors ?
Ce qui en ressort, c’est que le produit (l’allaitement) n’a donc QUE des avantages et que TOUT est extrêmement facile. Il y a comme une sorte de promesse de résultat.
Cela choque la communauté citoyenne cible (inconsciemment ou pas)…parce qu’à la moindre difficulté, la mère est mise en face de son propre échec et se sent incompétente… la honte et la culpabilité apparaissent.
La culpabilité vient surtout du conflit entre les messages qu’elle a reçus sur l’allaitement et ses propres contraintes liées à la vie des femmes de nos époques modernes : notamment la recherche de performance sur son lieu de travail où règne souvent le manque de reconnaissance ou à la maison avec une charge de travail intense et pas souvent très équilibrée …
Ce qui dérange dans les messages et qui peut surprendre (ce qui fut mon cas) :
On traite ‘allaitement comme s’il s’agissait d’une habitude ou d’un comportement simple comme le lavage des mains … C’est une erreur.
Il faudrait préciser :
L’allaitement est un apprentissage et comme pour tout apprentissage, il faut se fixer des objectifs, accepter les erreurs et se donner du temps
En guise de conclusion de ce chapitre, j’ai vraiment apprécié la liste des dix recommandations pour une communication optimale (dont l’objectif premier serait de mesurer le degré de satisfaction des mères allaitantes et non les taux d’allaitement). Parmi ces recommandations, certaines me semblent tout à fait réalisables (parler des possibles difficultés et du temps nécessaire pour apprendre, le soutien à la mère, des informations plus pratiques, inclure et former le père…) D’autres me semblent plus vaines lorsqu’il s’agit par exemple de sensibilisation des employeurs vers une meilleure reconnaissance des femmes qui allaitent.
Encore bien d’autres sujets abordés dans cet ouvrage qu’il aurait été passionnant de commenter… Je laisse le soin à d’autres de découvrir ces réflexions permettant de faire avancer la cause de l’allaitement et le respect des femmes et de venir nous en reparler ici.
Je retiens qu’il doit vraiment être possible d’informer, sans retenue, de tous les bienfaits de l’allaitement tout en laissant à chacune le choix de faire en son âme et conscience, sans jugement : parce que chaque humain est unique et on l’oublie souvent trop vite.
Merci aux Editions du Remue-Ménage (Québec) de nous avoir fait découvrir cet ouvrage, disponible au prêt dans la bibliothèque volante des Vendredis Intellos.
Pascale72
Article présenté également sur mon blog ICI
Les auteurs : Denyse Baillargeon, Chantal Bayard, Martina Chumova, Kathleen Couillard (Maman Eprouvette), Emmanuelle Dennie-Fillion, Sylvie Louise Desrochers, Francine de Montigny, Pascale de Montigny Gauthier, Manon Niquette et Lise Renaud
Merci beaucoup pour cette belle chronique!!! Elle donne envie de dévorer cet ouvrage!!!
On ne peut pas l’envoyer à tous les médecins ce livre ??? ;)
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