Le sexe du futur bébé, voilà un sujet qui fait couler beaucoup d’encre, ici comme ailleurs.

Avant de pouvoir le déterminer par échographie, nos grand-mères avaient recours à toutes sortes d’astuces pour essayer de le deviner: La forme du ventre – pointu pour un garçon, aplati pour une fille – Les envies de femme enceinte – salé pour un garçon, sucré pour une fille – pour ne citer que les plus connus.

– Ouh là là, qu’est-ce que vous avez pris des hanches, ça c’est une petite fille!

– C’est un petit garçon mais merci quand même!

 

Aujourd’hui, on peut demander à le savoir de plus en plus tôt au cours de la grossesse, voire le choisir: Si certains médecins prescrivent d’avoir recours à des régimes draconiens avant la conception pour obtenir le sexe désiré (Mr Pourquoi nous avait expliqué ici que l’efficacité de la méthode est loin d’être prouvée!), dans certains pays, on peut même recourir au tri des spermatozoïdes, ou à la sélection des embryons du « bon » sexe.

Mais les progrès scientifiques se heurtent parfois à l’éthique. C’est pour des raisons éthiques qu’en France et chez ses voisins, le recours à la sélection des embryons n’est permis que dans des conditions médicales très particulières, pour éviter la transmission d’une grave maladie génétique. Et lorsque j’étais enceinte, certains médecins refusaient d’annoncer le sexe de l’enfant à naitre. En effet, en Angleterre où l’avortement pour raisons sociales (c’est à dire pour raison non médicale et sans avoir à en justifier) est permis jusqu’à 24 semaines de grossesse, cela conduisait parfois à un « avortement sélectif ». Un choix extrême à la mesure de la forte volonté de certains couples d’obtenir le sexe désiré.

 

En janvier dernier,  Marie – Les Aventures de Petite Bête dans son article « Garçon ou fille, être déçus« , nous faisait part de son indignation et de son incompréhension, par rapport aux couples qui demandent à connaitre le sexe de leur enfant, et surtout par rapport à ceux qui en sont déçus.

 

Aujourd’hui, un petit article sur quelque chose que je ne comprends pas : être déçu, voir triste à en pleurer, du sexe de son enfant à venir !

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Mais quelque part, j’ai envie de hurler quand j’entends ce genre de propos. Comment pouvoir apprécier sentir un enfant en soit, bouger, grandir, évoluer, déjà vivre et partager, tout en se faisant une idée si précise de qui il est ou plutôt de qui il doit être?

Car souhaiter à ce point (au fond de soi) avoir un fils ou une fille (au choix), c’est vraiment vouloir influer sur son enfant ? C’est regretter à vie ce qu’il est ? C’est garder cette sensation d’inachevé et d’imperfection ?

 

L’article avait provoqué un tollé presque général! Beaucoup de parents s’étaient senties jugés, sur un choix intime et personnel, ou sur des sentiments, souvent ambivalents, quelquefois difficiles à assumer, qu’ils ne maitrisent absolument pas.

Pourtant, il est légitime de se questionner sur les attentes que nous projetons sur notre enfant avant sa naissance et en en quoi ces attentes, en particulier en ce qui concerne son sexe, peuvent parfois être nocives.

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Un mandat sexué dévolu au bébé à naitre?

Marie évoquait dans son article deux raisons pour demander à connaitre le sexe de son futur bébé: l’impatience (la curiosité?) et la praticité (pour le choix du prénom, de la garde-robe, de la décoration de la chambre, etc.). Mais de nombreux commentaires ont plutôt parlé du processus de personnification du fœtus, de concrétisation de la grossesse. Dans cet article du magasine Psychologies, un papa témoigne:

« Imaginer le fœtus sexué le personnifie. De quelques cellules agglomérées, “il” ou “elle” devient quelqu’un ». Cela permet d’apprivoiser l’idée d’accueillir un nourrisson, de commencer à faire sa connaissance. « Surtout pour les hommes, qui ne le sentent pas dans leur chair, mais aussi pour les femmes qui ont tant de mal à se convaincre que les mouvements perçus correspondent bien à un enfant, savoir s’il s’agit d’une fille ou d’un garçon rend la grossesse puissamment concrète.»

Visualiser un petit gars ou une petite fille, cela permettrait d’imaginer plus précisément ce que sera notre vie future avec notre petit. Mais cette vie sera-t-elle très différente selon le sexe de l’enfant? De nombreuses études ont montré que filles et garçons ne sont pas éduqués de la même façon, c’est l’un des thèmes clés des Études de Genre. Pour citer celle-ci, par exemple:

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Du coup, (je cite toujours le même article de Psychologies):

Les parents fantasment le fœtus comme fille ou garçon et le chargent, alternativement, des stéréotypes liés à chaque genre. (…) La confirmation du sexe accélère bien sûr l’investissement psychique des parents, qui organisent leurs représentations et leurs comportements à l’égard du bébé.

En tant que maman et féministe, cette conclusion me questionne. A quel point est-ce que je modèle mes enfants? Est-ce que ma représentation du sexe les empêche d’exprimer leur personnalité? Est-ce qu’avoir une préférence pour un sexe ou pour l’autre, c’est tomber dans le « piège du genre »?

Pour Sylvain Missonnier, pas nécessairement:

Ce n’est un problème que lorsque ces projections aliènent l’enfant et le privent de son identité. Connaître le sexe peut laisser le temps aux parents d’assouplir leurs désirs, d’envisager un autre scénario.

Et ne pas savoir le sexe:

ne le mettrai pas pour autant à l’abri de cet inévitable modelage. « Un nourrisson asexué, cela n’existe pas », écrit Chantal Zaouche Gaudron, psychologue du développement.

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Être déçu, pour quelles raisons?

Si idéalement, on devrait avoir les même attentes, qu’il s’agisse d’une fille ou d’un garçon – même si cet idéal n’est pas partagé par les détracteurs de la « Théorie du Genre »! – alors pourquoi aurait-on une préférence pour une fille ou pour un garçon?

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Parfois, cette préférence s’étend à l’échelle de toute une société. Il est connu que dans les sociétés chinoises et indiennes, par exemple, il y a une nette préférence pour les garçons, au point que les bébés filles sont si souvent rejetés que le ratio homme / femme est très déséquilibré:

Le garçon travaille aux champs, succède au père, assure les vieux jours, perpétue en prolongeant la lignée le culte des ancêtres. La fille représente une bouche supplémentaire à nourrir tant qu’elle n’est pas dotée et mariée. Elle coûte trop cher.

Mais cette préférence existe aussi dans une certaine mesure dans nos sociétés occidentales. Mr Pourquoi nous disait ici que:

Dans une clinique aux USA, qui permet aux couples de choisir le sexe de leur enfant grâce à une sélection des embryons obtenus par FIV, on observe qu’ « Aux États-Unis, 55 % des familles veulent des garçons mais au Canada, 65 % veulent des filles ».

Cet article évoques différentes raisons:

Pendant la grossesse, beaucoup de choses enfouies remontent à la surface de la future maman, en cause : le lien à ses propres parents. Or, le sexe de bébé n’échappe pas à cette règle. Une femme qui a eu de mauvaises relations avec sa mère peut à la fois avoir envie d’une fille afin de réparer les erreurs commises ou, au contraire, préférer avoir un petit garçon par peur de la confrontation.
Quand la future maman attend un petit homme, c’est la relation au frère et au père, surtout si celle-ci était conflictuelle ou très patriarcale, qui peut susciter appréhension et peur chez ces femmes. Mais surtout, elles se demandent souvent « comment vais-je élever un garçon ? ». L’attente de ce bébé suscite beaucoup de questions quant à l’éducation qu’il « faut » donner.

Certaines pressions familiales peuvent également être la cause d’un certain stress : avoir un garçon par exemple, c’est perpétuer le nom de famille, c’est donc très important…

Passé, relation aux parents, schémas et traditions familiales, autant de raisons possibles, conscientes ou inconscientes, d’avoir une préférence.

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Pour les grossesses suivantes, quand on n’a pas pioché « le choix du roi » à la grande loterie de l’eurobébémillion, la préférence peut se préciser. Et sous l’article de Marie, beaucoup de commentaires soulignaient que, plutôt qu’une déception par rapport au bébé à naitre, il s’agissait d’avoir à faire le deuil du bébé qui ne naitrait pas.

Devenir mère, c’est aussi accepter qu’un jour je sois grand-mère, et le faire avec une fille ou un garçon me semble différent, rien que par l’expérience physique que la grossesse et la maternité représente. Et qui peut dire qu’avec une bru c’est la même chose? (sérieux, vos rapports avec votre belle-mère sont-ils les mêmes qu’avec votre mère?)

Quand j’ai su que j’attendais un deuxième garçon, j’ai pleuré, il fallait que je fasse le deuil d’avoir une fille. Et oui, mon homme ne voulant pas de troisième, c’était ma dernière « chance ». Il fallait que j’accepte que je ne connaitrais pas cette joie… il fallait que ça sorte, c’est sorti par mes larmes. Ça a duré deux jours, le temps que je me fasse à cette idée. Ce n’était pas que j’étais triste d’avoir un garçon, non, mais je n’aurais jamais de fille, c’est une nuance importante, en tout cas pour moi! Car ce petit mec, je l’aimais déjà! Mais c’était le deuil de la petite fille qu’il fallait que je fasse…

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Moi aussi, j’ai envie d’employer le terme de deuil : je dois faire le deuil d’avoir une fille un jour. J’ai trois merveilleux garçons en bonne santé qui font toute ma fierté et que je ne voudrais remplacer pour rien au monde; simplement, je n’ai pas de fille.

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En définitive, il me semble que ce qui indignait le plus Marie, c’était qu’un enfant puisse être moins aimé parce qu’il n’est pas né du bon sexe. Or en lisant les commentaires, hors cas extrêmes (qui cacheraient une souffrance et justifierait peut-être un travail sur soi?), la déception quant au sexe de l’enfant se traduirait par le deuil d’un enfant rêvé, plutôt que par un rejet de l’enfant réel. A la question: « Aimerions-nous moins notre enfant s’il n’est pas du sexe souhaité? », dans la grande majorité des cas, heureusement la réponse est non! Au contraire, comme dit Sylvain Missonnier au sujet du futur enfant: « Sur son sexe, la couleur de ses cheveux ou son caractère, ils [les parents]doivent renoncer à l’enfant idéal. Et le plus tôt est le mieux. » Dès lors, l’éventuelle préférence pourrait bien en réalité faire partie du processus normal lorsqu’on « s’accouche parent », et que  nos fantasmes se confrontent à la -parfois dure- réalité.

Quoi qu’il en soit, à la naissance, « le nourrisson fait toujours surprise », assure Monique Bydlowski. Fille ou garçon, attendu comme tel ou pas, c’est un « tout autre » qui arrive et que les parents apprennent, petit à petit, à connaître.

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Il faut garder à l’esprit que le bébé est un charmeur de haut vol. Par exemple, à l’heure où je vous parle, j’aime encore mon bébé, si ce n’est plus, après qu’il m’ait privée de sommeil pendant trois nuits de suite, et assommée d’un coup de boule puis tenue par les cheveux pour m’énucléer l’œil gauche de ses griffes acérées. Il lui suffit de brandir son sourire édenté n°12 et de me postillonner un « blblblblbpffffrt » dans la figure, et je suis cuite. Pour le sexe du bébé, ce serait un peu la même chose:

Bien des déceptions se guérissent avec la réalité du bébé. Le nouveau-né est suffisamment séduisant et gratifiant pour que ses parents le trouvent formidable !

Je vous laisse, j’ai des griffes formidables de bébé merveilleux à aller raboter!

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Bonne vacances!

Drenka