Encore une semaine de travail acharné pour les VI, et un debrief qui parle de marges…
TheWorkingMum a eu la chance de suivre une conférence donnée par Jonathan Levy, un psychopédagogue qui donne des formations sur le thème de la pédagogie et des droits de l’enfant à l’Unesco. Il a fait un topo intéressant sur l’évolution de la manière dont la société (française) a vu l’enfant au cours des siècles. Lisez sa synthèse, passionnante. Au-delà de la question historique, évidemment très intéressante, une telle mise en perspective nous permet surtout de prendre conscience que le projet éducatif mis en place par une société pour une génération d’enfants dépend de nombreux facteurs : comment on le considère, son statut et ses droits, le contexte économique et social, les courants pédagogiques dominants, l’idéologie dominante, la vision de l’avenir. Quel « jeu » leur laisse-t-on ? Quelles « marges » de liberté ? Comment considère-t-on leur chemin d’apprentissage ?
Puisqu’on parle de conférence, Muuuum nous a également offert un compte-rendu de conférence cette semaine, offerte par Arno Stern, 80 ans, un pédagogue et un chercheur qui a consacré sa vie à la recherche d’une certaine forme d’expression libre via la peinture qu’il a appelée « formulation ». Au-delà de l’intérêt de la vie et de l’expérience d’Arno Stern, ce qui frappe dans la manière dont il travaille, c’est d’abord la façon dont il a cherché à protéger la liberté expressive et créatrice des enfants dans ses ateliers (lieu clos et sans fenêtre, absence de contraintes ou de thèmes, travail collectif mais pas collaboratif, table-palette), et c’est aussi la place de l’adulte à leur côté (un aidant, un servant, et non un guide ou un maître). Intriguant.
MamanBouquine a par ailleurs chroniqué pour nous un ouvrage du chercheur en psychologie du développement américain Peter Gray. L’ouvrage a l’air passionnant et attire notre attention sur un phénomène dont on a déjà souvent parlé sur les Vendredis Intellos : la réduction alarmante du jeu libre chez nos enfants. Pour Peter Gray, c’est le jeu libre partagé qui permet aux enfants d’apprendre tout ce qu’ils doivent savoir. Or ce jeu libre est menacé, d’une part par la pression croissante que nous exerçons sur nos enfants (toujours plus d’école, d’activités, et donc moins de temps pour jouer), mais aussi sur la surveillance constante dont ils font l’objet (interventions intrusives dans leurs activités, nombreuses interdictions, réduction de leur territoire de liberté, etc.). La posture de Peter Gray est très intéressante. Elle ouvre la voie à une réflexion sur la liberté qu’on laisse à nos enfants aujourd’hui, mais surtout à l’importance de cette liberté pour apprendre et se construire. Et si nos enfants sont certes libres de s’exprimer, de donner leur avis, de choisir beaucoup de choses, ils sont aussi très contraints, notamment physiquement. En filigrane se pose donc la question suivante : de quelle liberté parle-t-on quand les enfants sont presque totalement privés de jeu, notamment de jeu libre et partagé avec d’autres enfants (isolement, surveillance constante, intrusion des adultes), et qu’on leur impose d’apprendre via une pédagogie qui les contraint physiquement (classe, camarades, enseignant) ?
La transition vers le passionnant article de MmeDéjantée est facile, puisque sa contribution cette semaine interroge justement l’espace, le « territoire » de l’enfant. Ses marges de liberté, mais au sens spatial du terme cette fois. On s’interroge avec elle : comment se fait-il que dans notre société qui sur-valorise l’enfant et l’enfance, il soit devenu à ce point indésirable dans l’espace commun ? Au-delà de nos capacités d’adulte à supporter les « nuisances » générées par nos enfants, il semble que la plusieurs pistes méritent d’être explorées. D’abord, l’espace public, l’espace commun, en dehors de quelques lieux spécifiquement balisés et équipés, est de plus en plus considéré comme inapproprié aux enfants. Pourquoi ? D’abord parce que c’est le territoire des adultes. Qui vont et viennent de manière légitime. Ensuite parce qu’il est considéré comme « dangereux » et que nos sociétés de « risque 0 » ont de plus en plus de mal à s’accommoder des responsabilités et des risques (« interdire » la rue à l’enfant arrange le parent comme le responsable politique). Enfin parce que nos sociétés ont évolué de telle manière qu’un enfant dans la rue, qu’il soit seul ou en bande, est forcément vu de manière négative (jeunes qui traînent, parents démissionnaires). Cette hyperspécialisation des territoires (adultes d’un côté, enfants de l’autre) est très contrôlée, et même genrée… La question que pose MmeDéjanté dépasse celle de l’enfant dans nos villes, et doit s’étendre aux milles couleurs de la société : défendre la présence, dans l’espace commun et public et non à sa marge, de tous les humains dans leur infinie diversité (y compris les personnes âgés, malades, handicapées ou sans domicile) apparaît comme une urgence.
Avant d’essayer une timide synthèse, je voudrais ajouter un grain de sel personnel. Je connais un peu le Japon. Là-bas, comme ailleurs, le territoire de l’enfant se réduit, et l’enseignement ne passe pas vraiment par le jeu. Mais l’enfant est, plus qu’ici me semble-t-il, le bienvenu dans l’espace public. Aller à l’école seul est banal, normal, même à Tokyo. Et si vous connaissez un peu les films d’animation signés Miyazaki, alors sans doute avez-vous vu des scènes où les enfants peuvent jouer sans la supervision permanente des adultes. C’est le cinéma, c’est idéalisé et souvent cela représente le passé, mais il me semble que cela représente aussi une réalité. À creuser peut-être.
Quant aux réflexions des neurones de la semaine, il est intéressant de constater à quel point elles interrogent la liberté qui est laissée à l’enfant. Quelle marge notre société est-elle disposée à lui accorder ? Quel jeu, au sens d’espace qui permet la mobilité ? Au nom de notre angoisse (du présent comme de l’avenir), nous contraignons ses apprentissages, nous interdisons ses déplacements et ses rencontres sans supervision, nous organisons le moindre instant de sa vie, nous intervenons en permanence dans ses activités. Et si c’était au détriment de ce que nous voulons construire ? Et si la marge de liberté laissée était justement le lieu, physique et symbolique, des apprentissages sociaux indispensables à la construction du monde de demain ?
Merci pour ce debrief. Je voulais juste apporter une petite rectification car je pense que c’est important : Peter Gray n’est pas psychologue mais il est chercheur et son domaine de recherche est la psychologie du développement.
c’est corrigé, pardon, et merci
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