Il y a quelques temps, pour profiter du beau temps, on est sortis avec le magicien pour notre promenade quotidienne. Il pousse fièrement sa mini poussette. Objectif : le parc, à 500m de chez nous. Mais visiblement, le magicien n’est pas décidé. Il n’avance pas, fait des allers-retours sur un bout de trottoir. 

Je me retrouve dans une situation assez semblable à celle évoquée par Isabelle Filliozat dans ce passage d’Au coeur des émotions de l’enfant (p. 52) :

« Margot, Adrien, allez on y va. »… Je suis à côté de la voiture et les enfants ramassent des marrons sur le trottoir. Ils font semblant de ne pas m’entendre et continuent leur quête (…) Je commence à sentir l’énervement monter… quand je me pose la question : « Pourquoi diable est-ce que je désire tant qu’ils montent en voiture tout de suite? » Parce que je l’ai décidé ainsi ? Quelles sont mes raisons ? Nous sommes dimanche, je suis seule avec eux, j’ai décidé de leur consacrer toute cette belle journée. (…) Pourquoi donc courir ? Quelle différence y’a-t-il entre ramasser des marrons sur le trottoir, jouer au square ou faire un tour de manège ? Pourquoi ne pas les laisser à leur plaisir sur ce trottoir ? (…) Vous avez, j’en suis sûre, déjà rencontré ce type de situation. Nous réagissions souvent de manière automatique, nous ferions bien de nous poser plus souvent la question : « Pourquoi ? Qu’est-ce qui me pousse à dire oui ou non aux demandes de mes enfants ? Qu’est-ce qui me dicte mon attitude ?« 

Visiblement, mon fils est très content sur le trottoir. Alors très bien.

Je me suis mise à son rythme. Et c’est à un autre extrait que j’ai pensé, de Maria Montessori cette fois (l’enfant, édition Desclée de Brouwer, p. 72) :

« L’enfant de dix-huit mois à deux ans est capable de parcourir des kilomètres. Il peut franchir des passages difficiles, monter des escaliers. Seulement, il marche avec un but différent du notre. Nous cheminons pour atteindre un but extérieur, et nous allons droit à ce but. L’enfant, lui, marche pour élaborer ses propres fonctions. Son but est donc de se créer lui-même. Il est lent. Son rythme n’est pas encore établi, mais les choses qui l’entourent l’attirent. L’aide que devrait apporter l’adulte serait, à ce moment, de renoncer à son propre rythme, à ses propres buts »

On est restés dehors 1h30. Sur environ 150m de trottoir (oui, de ma rue, on voit la tour Eiffel, mais non la photo n’est pas de moi) :

Rue_de_Belleville

On est passés à la librairie (et on a craqué sur le dernier Bulle et Bob, et on n’a pas regretté, il est génial !).

On a vu un chien, et le magicien s’est approché un peu, mais pas trop quand même, parce qu’il était impressionné.

On a regardé passer des motos, des voitures, des camionnettes.

On est allés dire bonjour à l’épicier égyptien, choisir une mangue et jouer avec le carillon accroché à sa porte.

On est passés à la biocoop et le magicien a choisi une pomme et s’est régalé.

Le magicien a découvert que dans une rue en pente, la poussette de sa poupée roulait toute seule dans un sens, mais pas dans l’autre.

On a vu passer non pas un, ni deux, mais 4 camions poubelle ! Et ça, pour le magicien, c’était vraiment la fête.

On a croisé la voisine (une « grande » de 3 ans).

Le magicien a enlevé le bonnet de sa poupée et m’a demandé de le remettre, il a fait traîner un peu son doudou par terre.

Le magicien a dit « au revoir » à un tas de passants (au revoir est son mot préféré).

On a vu des pigeons.

J’ai profité du soleil.

Bref, on a passé un excellent moment. C’est un de mes meilleurs moments de la semaine. Et le magicien est rentré crevé mais de très bonne humeur.

Alors pourquoi c’est souvent tellement difficile de se détourner de notre programme, de se mettre au rythme de l’enfant ? Encore un extrait de Maria Montessori (même livre, p. 84-85) qui insiste à la fois sur la nécessité et sur la difficulté de respecter le rythme de l’enfant. 

« le rythme n’est pas comme une opinion (…) : le rythme fait partie intégrale de l’individu ; c’est un caractère qui lui est propre, au même titre que la forme de son corps. Si le rythme est en harmonie avec le corps, l’individu ne peut en changer sans souffrance. Quand nous voyons un paralytique porter lentement un verre à sa bouche en risquant d’en renverser le contenu, il naît du heurt insupportable de ce rythme avec le nôtre une souffrance à laquelle nous essayons d’échapper, en substituant notre rythme au sien ; c’est ce que nous appelons « aider le paralytique ». Quelque chose d’analogue se passe entre l’enfant et nous : une défense inconsciente nous incite à empêcher ces mouvements lents de l’enfant, exactement comme nous chassons une mouche inoffensive. (…) Quand le rythme de l’enfant est lent, il (l’adulte) y substitue le sien. Au lieu de l’aider dans ses besoins psychiques les plus essentiels, l’adulte se substitue à l’enfant dans toutes les actions que celui-ci voudait accomplir lui-même, lui fermant toute possibilité d’activité, devenant l’obstacle le plus puissant au développement de sa vie. » 

Voilà, il ne s’agissait pas vraiment de réagir aux textes mais de réussir à placer les deux seuls livres d’éducation que j’ai lu de raconter une anecdote, parce que je trouve que ça fait du bien de dire quand ça marche, quand c’est chouette. D’ailleurs, toutes les semaines, sur mon blog, je réunis des petits bonheurs. Et vous, quel est votre dernier moment chouette avec vos enfants ?

Edit du 27 avril : Hier soir avec le magicien nous avons réécouté « Bulle et Bob au jardin » que nous avons acheté ce jour là. Une des chansons invite justement à prendre son temps, à faire une pause. Alors j’ai eu envie de partager une partie de la chanson (et des belles illustrations d’Ilya Green), même si le cadre est beaucoup plus bucolique que mon morceau de trottoir !

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« On pourrait passer son temps / allongé au bord d’un étang / regarder passer les nuages / voir des moutons, des chats, des mages

On pourrait passer des heures / à écouter pousser les fleurs / Sentir le vent nous frôler / Prendre le temps de regarder

On pourrait, tiens,, on pourrait » (Natalie Tual)

Lila et le magicien