Je n’ai pas souvenir d’avoir appris à lire. Par contre, je me souviens vers 5 ans, quand je ne savais pas encore lire, combien cela m’énervait. Et puis un jour j’ai su lire, bonheur incroyable ! Entre les deux ? Pfff trou noir… Alors l’année dernière, lorsque la Grande Poulette est entrée au CP, j’étais toute excitée. Je savais à l’avance que la maîtresse était du genre méthode syllabique, et ça n’était pas pour me déplaire… (Ce que je ne savais pas c’est qu’elle allait s’appuyer sur la méthode phonético-gestuelle. Au début, j’étais moyen emballée, avouons le, mais vu la rapidité des progrès de la Grande Poulette, j’ai été conquise, comme je le racontais à l’époque sur les VI.)

La petite fille qui aimait les livres.

La petite fille qui aimait les livres.

Y a t’il une bonne et une mauvaise méthode pour apprendre à lire ?

En v’là une bonne question, une qui risque de vous opposer à votre belle mère, à l’instit’, à votre meilleure amie… Bref, une pour laquelle on trouve une nouvelle réponse chaque année ! Parce que oui, le choix de la méthode d’apprentissage de la lecture, c’est un peu la marotte des parents de jeune–enfant–plus–vraiment–en–bas–âge, pis aussi des ministres de l’Education Nationale, ou des chercheurs en sciences de l’éducation, et donc, aussi, un bon gros marronnier pour la presse !

Une étude sortie en novembre dernier vient relancer le débat. Il s’agit d’un rapport de recherche universitaire menée au laboratoire printemps–CNRS sous la direction de Jérome Deauvieau et intitulée « Lecture au CP : un effet-manuel considérable » (que l’on peut aussi consulter dans sa version synthétique ici.) Je ne vais pas faire durer le suspense trop longtemps, l’étude conclue à la supériorité de la méthode syllabique (celle où on apprend d’abord à déchiffrer les lettres, puis les syllabes et donc enfin les mots, versus la méthode globale, où on apprend à reconnaître des mots entier en les « photographiant » dans sa mémoire.)

Dans un article du 10 janvier dernier, le quotidien Le Figaro présente ainsi l’étude :

C’est un rapport qui pourrait relancer la traditionnelle querelle entre les tenants de la méthode syllabique – fondée sur le déchiffrage des lettres, le fameux B.A.-BA -, et les promoteurs de la méthode «mixte» semi-globale qui privilégie une entrée dans l’écrit par le «sens», partant des mots pour aller vers les lettres.

L’article précise au passage que cette méthode mixte est largement majoritaire dans notre pays, et que la méthode syllabique, elle, serait utilisée par moins de 10 % des enseignants en CP (20 % pour ce qui est des écoles privées sous contrat et jusqu’à 50 % dans les écoles privées hors contrat).  N’empêche, il dit aussi qu’il se vendrait chaque année en France environ 100 000 exemplaires de la bonne vieille Méthode Boscher (du nom de celui qui « inventa » la méthode syllabique en 1906)…

Concrètement, voilà l’étude :

Les chercheurs se sont intéressés aux milieux populaires, là où l’échec scolaire est le plus élevé. Au total, 446 élèves ont été évalués en juin 2013. Ils appartenaient à 23 classes «Éclair», anciennement zones d’éducation prioritaire (ZEP) de la région parisienne.

La majorité des enseignants (77 %) y ont adopté l’un des 23 manuels de la méthode mixte, associant méthode syllabique et méthode globale (Abracadalire ; Gaffi ; Mika ; Ratus…). Quelque 19 % des enseignants « bricolent » leurs propres supports ou combinent l’usage de deux manuels différents. Seuls 4 % ont adopté la méthode syllabique, utilisant Léo et Léa ; Je lis, j’écris. Beaucoup d’enseignants jugent en effet la méthode syllabique « trop rébarbative pour des publics populaires ».

Pourtant les résultats de l’enquête montrent que ce sont les manuels de méthode syllabique qui réussissent le mieux à ces enfants : on compte 19 points de réussite supplémentaires sur 100 aux épreuves de lecture et de compréhension.

 

L’étude dit même que cet effet de la méthode choisie a au moins autant d’influence que le niveau de diplôme des parents.

Si on revient à l’étude elle-même, on peut y lire de façon plus subtile (et absconse à la fois) :

L’analyse des variations du rendement pédagogique des manuels ne renvoie pas à une opposition bloc à bloc entre méthode mixte et méthode syllabique. Tous les manuels de la mixte n’ont pas le même rendement, et il en va de même des manuels de la syllabique… Il est frappant de constater que le manuel qui se révèle le plus efficient avec les élèves des milieux les plus défavorisés soit aussi le plus exigeant non seulement dans l’apprentissage technique du code, mais aussi dans ses contenus intellectuels, de par l’ambition lexicale et littéraire des textes qu’il propose à la lecture des élèves.

Les sciences cognitives s’en mêlent

En décembre dernier, juste après la sortie de ce rapport donc, une tribune dans Le Monde signée par l’éminent Stanislas Dehaene (un ponte de la psychologie cognitive qui étudie ce qu’il se passe dans le cerveau des pti-nenfants-qui-apprennent) estimait que si la France a d’aussi mauvais résultats dans l’enquête PISA, et notamment que, si notre Education Nationale est si forte pour creuser les inégalités sociales entre les élèves, c’est justement à cause de l’apprentissage de la lecture, preuve en serait cette fameuse étude. Ainsi Stanislas Dehaene écrit :

Ce résultat vient confirmer ce que trois décennies de recherches en psychologie cognitive ont démontré : seul l’enseignement explicite du décodage graphophonologique est vraiment efficace. En 2000, par exemple, une vaste méta-analyse américaine montre que les enfants à qui on enseigne ces principes parviennent plus vite, non seulement à lire à haute voix, mais également à comprendre le sens de ce qu’ils lisent.

…/…

Les recherches de mon laboratoire, fondées sur l’imagerie cérébrale, le confirment : tous les enfants apprennent à lire avec le même réseau d’aires cérébrales, qui met en liaison l’analyse visuelle de la chaîne de lettres avec le code phonologique. Entraîner le décodage graphème-phonème est la manière la plus rapide de développer ce réseau – y compris pour les enfants défavorisés ou dyslexiques.

 

La tribune du psycho-cognititien est longue et passionnante, il décrit notamment quatre facteurs essentiels à l’apprentissage. Je ne vais pas la résumer ici, mais je ne résiste pas à l’envie de citer quand même ce petit passage sur l’utilité de l’erreur (si seulement les profs et les parents pouvaient en être un peu plus convaincus…) :

L’erreur, indispensable à l’apprentissage.

Elle n’implique ni sanction, ni punition, ni mauvaise note (celles-ci ne font qu’augmenter la peur, le stress et le sentiment d’impuissance de l’enfant). Dans une classe efficace, l’enfant essaie souvent, se trompe parfois, et il est gentiment corrigé pour ses erreurs et récompensé pour ses succès.

 

Il n’empêche, certains spécialistes se sont empressés de souligner les limites du rapport Deauvieau. Effectif trop faible, pas d’évaluation du niveau des élèves en début d’année,  pas de mesure solide de l’effet maître, ou des liens entre les manuels et la pratique réelle en classe… Ok, cette étude n’est pas infaillible ! (Mais on peut s’étonner qu’elle n’ait pas été menée par l’Education Nationale elle-même…)

Pour ma part, expériences personnelles et goût (foi ?) pour les sciences cognitives obligent, je penche pour une nette supériorité de la méthode syllabique aussi. Mais ce que je retiens surtout de l’étude de Jérôme Deauvieau, c’est qu’on peut, qu’il faut même être exigeant avec les enfants. Et que ce n’est pas parce qu’ils viennent d’un milieu défavorisé qu’il faut leur proposer des méthodes d’apprentissage a priori plus faciles. En cela, cette étude s’oppose donc très nettement au Plan de rénovation de l’enseignement du français à l’école élémentaire (qui date déjà d’il y a presque 40 ans !) qui déclarait en substance qu’il fallait opter pour « une approche de la culture écrite qui, d’une part, donnerait la primauté à la compréhension sur le décodage, et éviterait d’autre part « les savoirs abstraits et la performance littéraire », inaccessibles aux publics populaires du fait de l’insuffisance de leurs ressources culturelles et cognitives. »

L’enfer est pavé de bonnes intentions…

Miliochka

 

Remarque :

Pour ceux que ça intéresse, deux articles déjà publiés sur les VI, qui vont plutôt dans le sens de la familiarisation de l’enfant avec les lettres et la graphie :

Un A est-ce vraiment plus abstrait qu’un caméléon (apprendre à lire en famille) par Mme D

La planète des Alphas, ou comment apprendre à lire en s’amusant par CarpeDiem.