assurance sage femmeRappelez-vous, cet automne un petit vent de tempête a traversé le monde de la périnatalité: l’Ordre des sages femmes ayant brutalement sommé  – après plusieurs années de déni – les sages femmes pratiquant les accouchements à domicile (AAD) sans être assurées pour leurs risques professionnels de se mettre en règle.
Le montant des assurances professionnelles proposées par les compagnies d’assurance avoisinant le revenu moyen annuel des sages femmes libérales, cette injonction rendait donc l’accouchement à domicile – pourtant parfaitement légal – concrètement impraticable.

Cette nouvelle a donc rapidement suscité de nombreuses actions et protestations, de la part de sages-femmes (voir ici le billet de Dix Lunes), de la part de parent et futurs parents (comme ici par exemple) non pour promouvoir l’AAD comme nouveau modèle standard d’accouchement mais simplement pour que cette possibilité – qui relève aussi de la liberté individuelle – en reste effectivement une.

Sur les Vendredis Intellos aussi, certain-e-s d’entre vous ont réagi à cette annonce et ont ainsi complété les nombreux échanges qui avaient déjà pu avoir lieu par ici sur le thème de l’accouchement à domicile.

Plus récemment encore (car la situation est pour l’heure inchangée), l’excellent documentaire « Entre leurs mains » diffusé ces dernières vacances sur La Chaîne Parlementaire a plaidé en images pour ce choix d’accouchement, montré la maturité du choix des parents qui y avaient recours (pourtant souvent taxés d’inconséquence), et les pressions phénoménales – hiérarchiques, sociétales, morales – qui pesaient sur les sages-femmes qui choisissaient d’accompagner ces naissances. La question de l’assurance professionnelles de ces sages-femmes y est apparue à la fois centrale (car conditionnant leur pratique) et assez incompréhensible: comment de tels montants pouvaient être réclamés à des sages femmes dont la pratique se limite exclusivement à des accouchements à bas risque et dont les statistiques sont tout à fait satisfaisantes  (voir aussi là l’excellent argumentaire du CIANE sur l’évaluation des risques de l’AAD) ?

Il m’a donc semblé que quelques explications complémentaires sur le fonctionnement des assurances professionnelles santé nous seraient utiles à la compréhension générale de la question… d’où ma quête d’un spécialiste du sujet. Un grand merci à Bénédicte Rousseau (dont je vous invite à découvrir l’excellent blog) de m’avoir si gentiment orientée et un encore plus grand à notre invité du jour, Quentin Mameri, juriste et formateur diplômé en droit de la santé, pour avoir pris le temps de répondre à mes questions sûrement un peu maladroites de novice en la matière…

Mme Déjantée, pour Les Vendredis Intellos: D’une façon générale, pourriez-vous nous expliquer comment sont calculées les primes d’assurance pour les professionnels de santé? Tiennent-elles compte des revenus des praticiens? Des risques encourus? Comment ces derniers sont-ils évalués?

Quentin Mameri: Les critères d’évaluation des primes d’assurance doivent, pour plus de clarté, être replacés dans le cadre plus large de la souscription d’un contrat d’assurance.

Le risque constitue l’essence même du contrat d’assurance. Le risque peut se définir comme tout événement futur et aléatoire dont une personne redoute la survenance, et contre lequel elle s’assure (1). L’assureur apprécie le risque, au stade de la conclusion du contrat d’assurance, pour se prononcer sur son « assurabilité », et décider s’il accepte ou refuse de garantir l’activité d’un professionnel de santé. L’assureur doit refuser d’assurer un risque illicite c’est à dire lorsque celui-ci est contraire à l’ordre public ou aux bonnes mœurs (activités interdites …). Il peut refuser de garantir un risque s’il l’estime trop élevé ou si les données à sa disposition, au moment de la demande d’assurance, ne lui permettent pas de d’en apprécier suffisamment les contours.

Si l’assureur accepte de garantir le professionnel, il doit ensuite apprécier l’étendue du risque pour calculer le montant de la prime d’assurance, et délimiter le périmètre de la garantie. L’assureur tient compte notamment de la nature et de la spécialité de l’activité exercée et plus particulièrement de la fréquence et du coût moyen des sinistres pour une même activité. D’autres facteurs propres à la personne de l’assuré ou à l’activité pratiquée (nature des actes réalisés, etc … ) peuvent être également pris en compte en ce qu’ils constituent des causes d’aggravation du risque assurable. Le degré plus ou moins important du risque explique en partie la variabilité des montants des primes d’assurance entre professionnels de santé, mais à cela s’ajoute également des raisons tenant à la diversité des politiques de chaque compagnie d’assurance, ainsi que les contraintes liées au marché de la réassurance. Toutefois, la prise en compte de certains critères est prohibée. C’est le cas notamment des discriminations fondées directement sur le sexe (2).

Ainsi, pour que l’assureur soit en mesure d’apprécier et de délimiter le plus exactement possible le risque garanti, l’assuré doit lui apporter une information claire et loyale sur les éléments susceptibles de modifier son évaluation du risque, aussi bien lors de la conclusion du contrat, que tout au long de son exécution, l’assuré ayant l’obligation de déclarer, en cours de contrat, toutes circonstances nouvelles qui auraient pour objet ou pour effet d’aggraver le risque déclaré initialement. En effet, une modification du risque pourra conduire l’assureur à remettre en cause le contrat ou à procéder à une réévaluation de la prime (3).

Il sera toutefois précisé que cette latitude laissée à l’assureur dans l’appréciation du risque est tempérée dans le cadre des assurances rendues obligatoires par la loi du 4 mars 2002 aux professionnels libéraux et établissements de santé publics ou privés (4). L’article L 252-1 du code des assurances prévoit en effet que « toute personne assujettie à l’obligation d’assurance prévue à l’article L. 1142-2 du code de la santé publique qui, ayant sollicité la souscription d’un contrat auprès d’une entreprise d’assurance couvrant en France les risques de responsabilité civile mentionnée au même article, se voit opposer deux refus, peut saisir un bureau central de tarification dont les conditions de constitution et les règles de fonctionnement sont fixées par décret en Conseil d’Etat. Le bureau central de tarification a pour rôle exclusif de fixer le montant de la prime moyennant laquelle l’entreprise d’assurance intéressée est tenue de garantir le risque qui lui a été proposé (…) »



Pourriez-vous nous expliquer à quoi l’assurance professionnelle d’un praticien telle qu’une sage femme va-t-elle servir? Couvrir des frais juridiques liés à d’éventuels procès? pour indemniser d’éventuelles victimes d’erreurs médicales? Par ailleurs, qui s’acquitte de l’assurance professionnelle des praticiens exerçant en milieu hospitalier (clinique ou hôpital)? 

Q.M.: Lorsque l’on aborde le régime de l’assurance des professionnels de santé, il est indispensable d’évoquer leur régime de responsabilité civile professionnelle tant ces problématiques sont intimement liées. En effet, il faut distinguer deux hypothèses : celle du professionnel de santé libéral ou celle du professionnel de santé exerçant exclusivement pour un établissement : agent de la fonction publique hospitalière ou salarié d’une clinique privée.Concernant le professionnel de santé libéral, il engage sa responsabilité personnelle pour les fautes commises dans l’exercice de son activité libérale. Pour favoriser l’indemnisation de la victime, la loi du 4 mars 2002 (5) a rendu obligatoire l’assurance à l’égard de l’ensemble des professionnels de santé libéraux. Cette assurance garantit le professionnel des actions civiles pouvant être intentées à son encontre à l’exception des dommages trouvant leur origine dans leur faute intentionnelle. La garantie de l’assureur couvre les frais engagés pour le procès (frais de procédure, frais d’avocats, etc…) ainsi que l’indemnisation éventuelle de la victime. Toutefois, il convient de préciser qu’il est nécessaire de se reporter à chaque contrat d’assurance pour connaître le périmètre exact de la garantie souscrite (conditions, modalités, et étendue de la garantie, etc). Ainsi, les contrats d’assurances prévoient parfois des franchises à la charge du professionnel de santé ou de l’établissement mais également des plafonds de garantie.

Concernant les professionnels de santé salariés d’un établissement de santé privé (clinique) ou exerçant en tant qu’agent public, la responsabilité de leur établissement se substitue à leur responsabilité personnelle. Cela implique que dans ce cas c’est l’établissement qui est tenu de s’assurer et qui s’acquitte des primes, et non le professionnel. En effet, pour les agents de la fonction publique hospitalière, les principes généraux de droit public ainsi que les statuts de la fonction publique hospitalières prévoient que l’établissement public se substitue à leur responsabilité personnelle (6). Pour les professionnels salariés de clinique privée, les professionnels de santé y compris les médecins et les sages-femmes, nonobstant l’indépendance dont ils jouissent dans l’exercice de leurs fonctions, bénéficient d’une immunité civile de principe et par conséquent n’engagent pas leur responsabilité à l’égard des patients lorsqu’ils agissent dans les limites de leurs missions (7).

Toutefois, ces immunités cessent et le professionnel redevient pleinement responsable s’il commet une faute détachable de l’exercice de ses fonctions (agents publics) ou dépasse les limites de sa mission (salariés d’un établissement privé). C’est le cas notamment lorsque le professionnel commet une faute d’une particulière gravité. L’exemple le plus couramment cité de faute détachable des fonctions est celui rapporté par une décision ancienne dans laquelle une sage-femme avait provoqué, par maladresse, un incendie en versant de l’éther sur des instruments brûlants pour les désinfecter, puis sous le coup de l’émotion, avait fait tombé la bouteille d’éther provoquant une explosion et avait pris la fuite avec le médecin obstétricien, alors que les draps posés sur la patiente prenaient feu. La conséquence d’une telle faute est lourde. Le praticien ne pourra bénéficier de la protection de l’assureur de son établissement, mais devra prendre en charge sur son patrimoine personnel, en cas de condamnation, les frais inhérents au procès et l’indemnisation de la victime. Le professionnel de santé peut donc décider, avant tout litige, de s’assurer personnellement pour cette responsabilité d’exception bien qu’une telle assurance ne soit jamais obligatoire.



Dans le cas des sages-femmes pratiquant les accouchements à domicile, le montant des primes d’assurance qui leur ont été proposées est de l’ordre de 20 000 euros annuels, ce qui peut sembler faramineux surtout en comparaison des montants demandés dans les pays frontaliers de la France pour ces mêmes accouchements. Serait-ce lié à un contexte français particulièrement sensible à la question médico-légale? On évoque souvent les potentielles conséquences de l’affaire Perruche

Q.M.: Les professionnels de l’obstétrique (sage-femme, médecin-obstétricien) se plaignent très souvent du montant trop élevé de leurs primes d’assurances. L’importance de ces primes est souvent associée à une prétendue dérive à l’américaine de la responsabilité médicale, symbolisée dans l’esprit du professionnel par la jurisprudence Perruche. Or, les dernières études sur la judiciarisation de la santé montre, d’une part, que la fréquence des actions judiciaires en matière médicale est très faible, d’autre part que l’obstétrique n’est pas la spécialité la plus exposée au risque judiciaire (8). Cependant, le coût des sinistres en matière obstétrique est très important, puisqu’il s’agit dans de très nombreux cas d’indemniser le préjudice propre des parents, mais surtout le handicap subi par l’enfant tout au long de sa vie (9). On peut citer comme exemple le cas de fautes graves commises par une sage-femme ayant pour effet de maintenir la souffrance foetale entraînant chez l’enfant des infirmités cérébrales graves, ou bien encore une faute d’un médecin-obstétricien dans la pratique d’un accouchement dystocique entraînant chez l’enfant une paralysie du plexus brachial.

Quoiqu’il en soit, l’évaluation des primes d’assurance est d’une manière générale assez opaque, les assureurs ne communiquant pas sur leur méthode d’évaluation, pas plus qu’ils n’expliquent de manière précise les variations du montant des primes entre professionnels de différentes spécialités.

Le montant élevé des primes sollicitées par les assureurs à l’égard des sages-femmes peut s’expliquer par le coût important des sinistres en matières obstétrique. Mais ce n’est vraisemblablement pas le seul facteur : les enjeux économiques, ainsi que la spécificité du marché assurantiel en matière de santé, caractérisée par une offre d’assurance concentrée entre quelques compagnies pourraient contribuer à cette inflation.

En revanche, la saga « Perruche » est, selon toute vraisemblance, totalement étrangère à l’importance du montant des primes demandées aux sages-femmes. En effet, cette saga concerne essentiellement le diagnostic prénatal et plus particulièrement la question de la faute de diagnostic ou d’information sur le handicap congénital de l’enfant (10). Un tel contentieux concerne en premier plan les échographistes, médecins-obstétriciens, médecins généralistes ou laboratoires d’analyses médicales et non les sages-femmes, pour lesquelles la responsabilité concerne presque essentiellement l’accouchement et ses suites.

Dans la mesure du possible, le professionnel libéral répercute ses charges d’assurance sur les honoraires ce qui n’est pas toujours sans poser de difficultés, certains professionnels ayant même renoncé à exercer certaines spécialités médicales jugées trop coûteuses en prime d’assurance.

Enfin, il est régulièrement mentionné que d’autres pays européens pratiqueraient des primes d’assurances d’un montant beaucoup plus raisonnable. Cependant, il est très difficile de procéder à une approche comparative des primes assurantielles entre la France et d’autres Etats. D’une part, parce qu’une comparaison n’est possible que par une confrontation de produits d’assurance comparables ce qui implique un examen minutieux des contrats français et étrangers et de leurs clauses. D’autre part, l’évaluation de la prime d’assurance dépend, comme on l’a rappelé précédemment, d’un certains nombres de critères variables étroitement liés à la singularité de chaque système juridique et des marchés assurantiels de chaque Etat.

En 2011 la Cour Européenne de Droits de l’Homme a condamné la Hongrie pour une situation proche (en cela qu’elle empêchait de fait la pratique des AAD) à celle que nous connaissons en France. La France pourrait-elle (en théorie) faire l’objet d’une comparution devant cette instance pour le même motif (à savoir “violation du droit au respect de la vie privée et familiale”)?

Q.M.: D’un point de vue général, il convient de rappeler que tout justiciable bénéficie d’un droit de saisir individuellement la Cour européenne des droits de l’Homme s’il estime qu’il a été victime d’une violation, par un État membre, des droits et libertés protégés par la convention européenne des droits de l’Homme, à condition toutefois d’avoir épuisé toutes les voies de recours juridictionnelles internes. Dans la décision rendue par la Cour européenne des droits de l’Homme le 14 septembre 2010, la Cour condamne l’Etat Hongrois pour violation de l’article 8 consacrant le droit au respect de la vie privée et familiale, pour ne pas avoir mis en place un cadre légal prévisible de l’accouchement à domicile. Toutefois, il faut faire preuve de prudence quant aux transpositions hâtives des jurisprudences de la Cour européenne des droits de l’Homme. En effet, une solution peut s’expliquer par la singularité de la réglementation juridique de l’Etat déféré devant la Cour, la spécificité des situations factuelles soumises au juge et la politique jurisprudentielle de la cour à un moment précis. De plus, la condamnation d’un Etat par la Cour européenne des Droits de l’Homme n’a ni pour objet, ni pour effet d’annuler, de modifier ou de réformer le droit interne mais permet à la victime d’obtenir le versement de dommages et intérêts ou une satisfaction morale résultant de la simple condamnation de l’Etat.

Contact: 
quentin.mameri@gmail.com ou 0628065530

Notes bibliographiques: 
(1) Définition de Jérôme BONNARD dans son ouvrage : Droit des assurances, édition Litec Lexis-Nexis, 2ème édition.

(2) CJUE, Grande chambre, 1er mars 2011, Association belge des Consommateurs Test-Achats ASBL c/ Belgique

(3) Article L 113-2 du code des assurances

(4) Article L 1142-1 du code de la santé publique.

(5) Ibidem

(6) Article 11 de la loi du 13 juillet 1983 modifiée portant droits et obligations des fonctionnaires :

« Les fonctionnaires bénéficient, à l’occasion de leurs fonctions et conformément aux règles fixées par le code pénal et les lois spéciales, d’une protection organisée par la collectivité publique qui les emploie à la date des faits en cause ou des faits ayant été imputés de façon diffamatoire au fonctionnaire. Lorsqu’un fonctionnaire a été poursuivi par un tiers pour faute de service et que le conflit d’attribution n’a pas été élevé, la collectivité publique doit, dans la mesure où une faute personnelle détachable de l’exercice de ses fonctions n’est pas imputable à ce fonctionnaire, le couvrir des condamnations civiles prononcées contre lui (…) »

(7) Cour de Cassation, Assemblée plénière, 25 février 2000 97.17.378 et 97.20.152 (principe général); Civ. 1, 9 novembre 2004, n° 01-17.908 (médecin salarié) et 01-17.168 (sage-femme salariée).

Article L 1142-2 du code de la santé publique « l’assurance des établissements de santé couvre leurs salariés agissant dans la limite de la mission qui leur a été impartie, même si ceux-ci disposent d’une indépendance dans l’exercice de l’art médical »

(8) Pour une étude récente : Anne LAUDE, Jessica PARRIENTE, Didier TABUTEAU, La judiciarisation de la santé, Paris, Edition de la Santé, 2012.

(9) Sous réserve du cas particulier du diagnostic prénatal (Jurisprudence Perruche et ses suites).

(10) Il convient de rappeler que la jurisprudence Perruche a été endiguée par la législateur (article L 114-5 du code de l’action sociale et des familles) même si la première chambre civile de la Cour de cassation continue à faire de la résistance, en réservant son application exclusivement aux enfants nés postérieurement à l’entrée en vigueur du dispositif (Civ.1, 15 décembre 2011, n° 10-27.473).