Les médias, grands coupables sur bien des fronts pour bien des gens. Le dur jugement dont les journalistes font l’objet serait-il parfaitement injuste ? Ou peut-on appliquer le fameux : « Il n’y a pas de fumée sans feu » ? J’ai envie de conclure d’avance : la vérité se trouve entre les deux. Le tous pourris ne peut pas être vrai, mais le travail des journalistes est loin d’être satisfaisant sur bien des sujets, et en particulier les sujets de société.

L’école, par exemple. Grand objet de fantasmes en tous genres, de réformes avortées ou hâtives, elle est aussi, dans les médias, objet de généralisations. Pourtant, s’il est bien un endroit où l’identité est faite par l’équipe et seulement l’équipe, c’est l’école. A quoi bon alors vouloir classer les établissements ? A quoi bon chercher à établir un classement du niveaux des élèves de même âge à travers le monde ? Ca fait du bien, ou pas. Ca permet de croire qu’on réfléchit à notre système scolaire.

Et ça donne l’occasion de démonter l’école « à la française ». Dans ce domaine, les quidams et les médias adorent jouer des coudes pour êtres les premiers à dégainer. Lequel nourrit l’autre, c’est un vaste débat. Les clichés, pourtant, sont toujours véhiculés par les médias, traditionnels ou non. « Oui, on le sait bien, un enseignant ça ne bosse que 4 jours dans une semaine, ça ne bosse que 36 semaines sur 52, et ça pleure pour une demie journée supplémentaire ? » rappelle Perrine dans son billet. Je me souviens de réflexions que j’entendais quand je préparais des papiers de rentrée scolaire au bureau : ah ces profs qui viennent de rentrer de vacances et qui comptent déjà les jours avant la Toussaint ! Pourtant, aucun enseignant rencontré ce jour-là en reportage ne m’avait parlé des prochaines vacances. Ce sont des collègues journalistes qui, alors, se sont amusés à compter les jours avant la Toussaint, pour « une accroche originale ».

Plus généralement, Perinne réagit à une tribune qui exprime une opinion sévère sur l’école. Sans rien proposer. Peut-être qu’effectivement, l’auteur n’a rien à proposer. Ou peut-être que ce n’était pas l’objet et qu’il s’agissait juste de… faire du sensationnel. On en a pris l’habitude, les journalistes doivent vendre leur papier, leur angle, leur interviwé. Il ne faut pas seulement du neuf, il faut surtout du « qui va faire réagir », « qui va (dé)plaire », en bref du sensationnel. Alors le papier dresse un portrait tragique de cette école française qui mène visiblement nombre d’enfants à leur perte. J’avoue que pour avoir fait entrer ma fille aînée à l’école en septembre, le titre me fait frémir. Et en premier lieu parce que j’ai toute confiance en l’équipe pédagogique de son établissement.

Mais la confiance, ça n’est pas vendeur. Pas autant que l’échec fabriqué, la défiance envers les enseignants qui ne font pas leur travail (les parents n’ont-ils pas, eux aussi, un rôle à jouer dans la réussite de leurs enfants ?), ce système que personne ne veut réformer en profondeur mais que tout le monde critique ouvertement. Les médias raffolent de ces interviews ou tribunes à charge. En cela, ils participent grandement à la propagation de clichés mensongers ou au mieux caricaturaux, de méfiances injustifiées et de critiques sans fondement.

La profession de journaliste ne tourne pas qu’autour de ça, mais beaucoup. La littérature, d’ailleurs parfois écrite elle aussi par des journalistes alors laissés libres de choisir un angle moins sensationnel, essaie parfois de contre-balancer cette tendance (insufflée par les rédacteurs en chef et les propriétaires de titres plutôt que par les journalistes de terrain).

Le livre cité par Marmotte en est un bon exemple. A lui seul, il démonte bien des clichés sur les femmes qui travaillent chez elles. Celles qui sont, souvent, vues comme des paresseuses qui dorment beaucoup et se paient le luxe de vivre aux crochets d’un compagnon à qui elles ne préparent même pas de bons petits plats.

Mais là encore, d’où viennent les clichés ? Les médias n’en sont-ils pas parfois les premiers pourvoyeurs ? Je travaille désormais de chez moi. J’ai mon entreprise. Pourquoi l’image que je renvoie aux gens est celle d’une mère au foyer même pas disponible pour tout et rien à la demande ? Sans doute parce que c’est l’image que j’ai vue, lue, dans bien des magazines. Une sorte de mère au foyer bas de gamme : je dors en décalé, je bois des cafés, je ne fais pas tous les repas, je n’ai pas un appartement mieux tenu que ma voisine qui travaille dans un bureau à 40km.

Le télétravail, peu répandu en France, n’est jamais valorisé dans les médias. Et surtout pas quand il s’agit pour une famille de lier, au mieux, vie privée et vie professionnelle. Adapter ses horaires pour aller chercher bébé à la crèche est normal, mais télétravailler ça n’existe pas.

L’autre cliché est celui de la femme qui se limite dans son ambition. Elle n’ose pas aller au-dessus de la micro-activité, parce que ce serait mal vu de travailler de chez elle tout en faisant garder ses enfants et en ayant l’audace d’avoir un bon salaire. Or, ce n’est pas obligatoire, les médias nous cantonnent bien trop à ce modèle de mère qui sacrifie ses ambitions professionnelles. Parce que médiatiquement parlant, c’est beau de se sacrifier.

Et puis, vous auriez dû assister à une conférence de rédaction où j’ai vendu un portrait de jeune mère et jeune entrepreneuse. « Petite » est l’adjectif qui a directement qualifié l’entreprise de cette femme que j’avais rencontrée. Alors que, non, pas du tout. C’était une SARL des plus classiques, avec un capital assez important et de grandes ambitions européennes. Mais une jeune mère ne pouvait que monter une « petite » entreprise.

Les clichés médiatiques viennent de la société dont sont issus les journalistes. Mais pas seulement. Le journalisme ne s’est pas remis en question et doit donc maintenant vendre à tout prix pour survivre. Les économies font qu’il n’y a plus assez de monde pour assurer le travail correctement, et aller au plus pressé signifie : ne plus creuser l’information, ne plus prendre de recul, aller dans le sens des clichés (parfois sans s’en rendre compte), nourrir ces clichés par du sensationnel qui sera vendeur.

Arrêter de véhiculer des clichés, c’est avoir le temps et les moyens de donner des informations autrement. Si les médias sont responsables de bien des clichés, ils ne le sont pas forcément par choix.