Je me suis lancée dans la lecture du livre d’Elisabeth Badinter, le conflit, la femme et la mère. J’y reviendrai probablement dans d’autres articles (j’ai pris ce livre dans le but de réfléchir aux moyens de concilier maternité, vie personnelle et vie professionnelle, donc il y aura sûrement des articles à ce sujet), mais pour aujourd’hui, je voulais parler du choix d’être mère ou non, et des raisons de ce choix.

Elisabeth Badinter considère que ce choix, qui va bouleverser plus qu’aucun autre la vie des parents devrait être issu d’une solide réflexion.

Mais elle constate que ce n’est pas toujours le cas et insiste sur la pression qui pèse sur les femmes (et dans une moindre mesure, les hommes) pour faire des enfants, à la fois de la part de la famille, de l’Etat, de la société…

Faire le choix de ne pas avoir d’enfants (et devoir se justifier sans cesse)

« Quelle drôle d’idée de ne pas faire d’enfant et d’échapper à la norme ! Ceux-là sont constamment sommés de s’expliquer alors qu’il ne viendrait à l’idée de personne de demander à une mère pourquoi elle l’est devenue (et d’exiger d’elle des raisons valables) » (E. Badinter, le conflit, p. 23)

(par contre je pense qu’autant on ne posera pas la question à une femme déjà mère, je pense qu’on exige souvent des « raisons valables » de la part des femmes qui ont des difficultés à avoir un enfant et qui choisissent de continuer à essayer, parfois avec l’aide de la médecine).

Les « childfree » ont ces dernières années davantage exprimé leur refus d’avoir des enfants et leurs raisons, avec la création d’associations, de blogs consacrés à la question comme celui-ci, la publications de livres comme No Kids de Corinne Maier dont parle Mickaeje44 ici.

tu t'y mets quand
La pression reste très présente, comme en témoigne Véronique Cazot, scénariste de la BD Et toi, quand est-ce que tu t’y mets ? (dont sont extraites les pages ci-dessus) dans un article de rue 89 :

Trouvez-vous qu’il y a une forte pression sociale pour avoir des enfants ?

La pression est énorme ! Surtout entre 30 et 40 ans, l’âge où tout le monde se lance dans la grande aventure familiale et vous encourage à plonger avec eux ! Toute la société est construite sur ce modèle unique. C’est le seul qu’elle reconnaît et qu’elle avantage moralement et socialement. Une femme normale veut FORCEMENT des enfants. Sinon, c’est qu’elle a FORCEMENT un problème.

Un couple équilibré qui s’aime veut FORCEMENT des enfants. Si ce n’est pas le cas, c’est qu’il y a FORCEMENT quelque chose qui cloche ou que le couple ne s’aime pas assez. Or, des tas de couples déséquilibrés ou qui ne s’aiment plus font des enfants et ont leur place dans la société.

Les filles sont conditionnées dès le plus jeune âge à devenir mère. C’est la fin heureuse de tous les contes de fée. Une promesse de bonheur qui me semble pourtant loin d’être évidente.

J’imagine à quel point les femmes qui voulaient, mais ne peuvent pas avoir d’enfant doivent se sentir inutiles et désespérées, car la société oublie de les rassurer sur le fait qu’on peut s’épanouir sans être mère et qu’un enfant ne garantit pas non plus une vie heureuse.

Et vous, comment vivez-vous cette pression sociale ?

Je l’ai mal vécue les premières années car j’avais du mal à assumer mon choix. Je me sentais harcelée par la société et par mon entourage. Je souffrais de ne pas être comprise et me sentais de plus en plus anormale. Je m’indignais que l’on puisse juger ou imposer un choix aussi intime et important.

Je me sentais vraiment rejetée par la société. Depuis, ce rejet n’est plus du tout subi. Il incarne ma liberté et me protège de ce conformisme qui me semble enfermer tout le monde dans une illusion collective. Je trouve que la norme imposée par la société nous fait tous nous sentir anormaux à un moment ou à un autre et nous pousse à gommer nos différences jusqu’à ce que nous ne soyons plus nous-mêmes et ne réfléchissions plus par nous-mêmes. La norme me semble être la plus dangereuse des illusions.

Comme le souligne Elisabeth Badinter,

« Il faut donc une volonté à toute épreuve et un sacré caractère pour se jouer de toutes ces pressions, voire d’une certaine stigmatisation » (E. Badinter, le conflit, p. 23)

Je pense qu’il y a la matière à réflexion sur la liberté de choix que possèdent vraiment les femmes. Et sur les questions, qu’on pense anodines et qu’on pose parfois sans réfléchir (l’année de notre mariage, j’ai un peu l’impression d’avoir passé mon temps à répéter que non, le bébé n’allait pas suivre juste après, mais les personnes qui me posaient la question ne s’en sont probablement pas rendu compte).

Le choix d’être mère, pour quelles raisons ?

Elisabeth Badinter cite alors un sondage extrait de Philosophie magazine répondant à la question « pourquoi fait-on des enfants ? »

Un enfant rend la vue de tous les jours plus belle et plus joyeuse 60%
Cela permet de faire perdurer sa famille, de transmettre ses valeurs, son histoire 47%
Un enfant donne de l’affection, de l’amour et permet d’être moins seul quand on vieillit 33%
C’est faire cadeau de la vie à quelqu’un 26%
Cela rend plus intense et plus solide la relation de couple 22%
Cela aide à devenir adulte, à prendre des responsabilités 22%
Cela permet de laisser une partie de soi sur Terre après sa mort 20%
On peut permettre à son enfant de réaliser ce qu’on n’a pas pu faire soi-même 15%
Avoir un enfant est une nouvelle expérience, cela induit de la nouveauté 15%
Pour faire plaisir à votre partenaire 9%
C’est un choix religieux ou éthique 3%
Autres réponses 4%
Vous avez eu un enfant sans raison particulière par accident 6%

Mais elle considère que :

En vérité, la raison pèse peu dans la décision d’engendrer. Probablement moins que dans celle du refus d’enfant. Outre que l’inconscient, lui, pèse de tout son poids sur l’une et l’autre, il faut bien avouer que la plupart des parents ne savent pas pourquoi ils font un enfant et que leurs motivations sont infiniment plus obscures et confuses que celles évoquées dans le sondage. (…) En fait, la décision découle plus largement de l’affectif et du normatif que de la prise en compte rationnelle des avantages et des inconvénients. (E. Badinter, le conflit, p. 22)

Alors j’ai eu envie de me poser la question honnêtement : pourquoi je suis devenue mère ?

Je me suis toujours imaginée avec des enfants. En bonne partie, je pense, parce que c’est « comme ça que ça se passe ». Et probablement aussi avec l’idée inconsciente de reproduire le modèle familiale (je voulais des enfants « tôt », comme ma mère qui a eu ses trois enfants avant 28 ans).

A la fin de l’adolescence et au début de ma vie d’adulte, cette envie d’enfant est devenue plus concrète parce que je travaillais (et travaille toujours) avec des enfants, et que je trouvais géniale la relation qu’on pouvait avoir avec eux.

Et puis arrivée au moment à l’âge auquel j’imaginais avoir des enfants je me suis sentie.. pas si pressée que ça d’en avoir. L’envie était là mais elle se heurtait à d’autres envies et ne prenait pas le pas sur les autres. Justement, rationnellement, en mesurant les avantages et les inconvénients, je ne voyais pas de raisons de me décider maintenant.

Et puis un jour, sans l’avoir prévu, un test de grossesse positif. Et une joie très profonde. Pourquoi ? Je n’en sais rien.

Alors on avait la possibilité d’élever un enfant (des revenus stables et suffisants, un couple solide…). Mais ce n’est pas une raison. Tout est effectivement venu de l’affect : le bonheur qu’on éprouvait, l’amour qu’on portait à ce qui était pour nous un futur bébé et non un amas de cellules…

La seule raison que j’identifie, c’est que même si j’étais loin d’être sûre d’être une bonne mère, j’étais sûre que mon amoureux allait être un père génial et qu’on était bien entourés et que cet enfant aurait la chance de rencontrer plein de gens géniaux (famille élargie, amis…) et de découvrir une vie riche (je sais, ça a un côté horriblement prétentieux).

Mais finalement, je me dis que cette arrivée surprise a été une très bonne chose parce que je n’aurais pas pu me fonder sur des raisons rationnelles pour prendre la décision de faire un bébé et que cette certitude de faire le bon choix, basée sur l’affect, je n’aurais pas pu l’avoir si le bébé n’avait pas déjà été là. D’ailleurs, pour le moment en tout cas, les raisons qui iraient dans le sens d’avoir un deuxième enfant ne font pas le poids par rapport aux raisons qui me poussent à m’arrêter là ! Est-ce que ça serait différent face à un test de grossesse positif ? Je n’en sais rien.

Alors je considère qu’Elisabeth Badinter a raison dans mon cas : la raison a peu pesé dans ce choix. Mais contrairement à ce qu’elle semble sous-entendre, je ne considère pas qu’un choix basé sur l’affect soit inférieur à un choix basé sur la raison, sur la rationalité. Je n’ai pas choisi d’avoir un enfant pour des raisons rationnelles. Je ne suis pas tombée amoureuse pour des raisons rationnelles non plus et les choix que j’ai fait concernant ma vie de couple sont aussi guidés essentiellement par l’affect. Je ne les considère pas comme moins légitimes.

Et vous, pourquoi avez-vous fait un enfant ? Est-ce que vous avez une « bonne raison » ? Est-ce que ça vous parait nécessaire d’en avoir ?

Lila et le magicien

 

PS : j’utilise les expressions « avoir un enfant » et « faire un enfant » pour aller plus vite, mais ces expressions ont un côté « mécanique » qui me gênent un peu ici. On ne possède pas son enfant, et j’ai beaucoup plus le sentiment que mon fils s’est fait seul, avec simplement mon aide… Voir aussi cet article.

PPS : zut, je me rends compte après coup que ces extraits ont déjà été analysés sur les vendredis intellos par madame bavarde ! Je poste quand même mon article, mais je vous renvoie au sien.