Georges Brassens, qui a bercé mon enfance grâce aux 33 tours de mes parents, demeure mon chanteur préféré. La fête des Pères se rapprochant, c’est l’occasion de  partager avec vous la chanson des Quatre Bacheliers, magnifique hommage d’un fils à son papa. Pour ceux qui ne connaîtraient pas encore cette chanson, c’est le moment de se rattraper :

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Nous étions quatre bacheliers
Sans vergogne,
La vraie crème des écoliers,
Des écoliers.

Pour offrir aux filles des fleurs,
Sans vergogne,
Nous nous fîmes un peu voleurs,
Un peu voleurs.

Les sycophantes du pays,
Sans vergogne,
Aux gendarmes nous ont trahis,
Nous ont trahis.

Et l’on vit quatre bacheliers
Sans vergogne,
Qu’on emmène, les mains liées,
Les mains liées.

On fit venir à la prison,
Sans vergogne,
Les parents des mauvais garçons,
Mauvais garçons.

Les trois premiers pères, les trois,
Sans vergogne,
En perdirent tout leur sang-froid,
Tout leur sang-froid.

Comme un seul ils ont déclaré,
Sans vergogne,
Qu’on les avait déshonorée,
Déshonorés.

Comme un seul ont dit  » C’est fini,
Sans vergogne,
Fils indigne, je te renie,
Je te renie.  »

Le quatrième des parents,
Sans vergogne,
C’était le plus gros, le plus grand,
Le plus grand.

Quand il vint chercher son voleur
Sans vergogne,
On s’attendait à un malheur,
A un malheur.

Mais il n’a pas déclaré, non,
Sans vergogne,
Que l’on avait sali son nom,
Sali son nom.

Dans le silence on l’entendit,
Sans vergogne,
Qui lui disait :  » Bonjour, petit,
Bonjour petit.  »

On le vit, on le croirait pas,
Sans vergogne,
Lui tendre sa blague à tabac,
Blague à tabac.

Je ne sais pas s’il eut raison,
Sans vergogne,
D’agir d’une telle façon,
Telle façon.

Mais je sais qu’un enfant perdu,
Sans vergogne,
A de la corde de pendu,
De pendu,

A de la chance quand il a,
Sans vergogne,
Un père de ce tonneau-là,
Ce tonneau-là.

Et si les chrétiens du pays,
Sans vergogne,
Jugent que cet homme a failli,
Homme a failli.

Ça laisse à penser que, pour eux,
Sans vergogne,
L’Evangile, c’est de l’hébreu,
C’est de l’hébreu.

 

On sait que dans sa jeunesse, Georges Brassens commit quelques larcins qui lui valurent une condamnation avec sursis. Ayant été dénoncés, ses complices et lui furent conduits au commissariat, où, encore mineurs, ils durent attendre que leurs pères viennent les chercher. On imagine sans peine l’attente angoissée des adolescents, qui ne devaient pas se sentir bien fiers. Si les autres jeunes gens durent affronter la fureur paternelle, ce ne fut pas le cas de Brassens… Les premiers pères prononcent les paroles blessantes attendues par la société, comme des automates. Mais le père du futur chanteur, pourtant le plus impressionnant physiquement, ne joue pas le rôle qu’on attend de lui. Son attitude n’est pas surprotectrice, en arrivant le dernier et en laissant son fils « mariner » au commissariat, il lui permet d’éprouver –un peu- les conséquences de ses actes. Une sacrée force de  la nature que ce papa !

Pour autant, on sent tout l’amour du monde dans le « bonjour petit » qu’il adresse à son garnement. Il est un père qui ne juge ni ne condamne mais accepte son fils tel qu’il est. Pour cela, il s’expose à être lui-même critiqué comme un géniteur« qui ne fait pas son boulot » (comprenons sermonner, menacer, sanctionner). Ce père a compris que son fils, cet « enfant perdu à de la corde de pendu » avait avant tout besoin de son affection et de sa présence, comme une ancre à laquelle s’accrocher dans la tempête. Sans peut-être même en avoir conscience (ni Gordon, ni Haïm Ginott n’écrivaient dans les années trente !), il permet à son fils de ne pas s’enfermer dans le rôle du délinquant…Et, quelque temps plus tard, il autorisera le jeune Georges à quitter Sète pour « tenter sa chance » à Paris.

Toute sa vie, Brassens éprouvera une grande reconnaissance envers l’attitude de son père: « Je crois qu’il m’a donné là une leçon qui m’a aidé à me concevoir moi-même : j’ai alors essayé de conquérir ma propre estime. […] J’ai tenté, avec mes petits moyens, d’égaler mon père. Je dis bien tenté » (citation pêchée dans wikipédia)…  Et si la véritable « autorité »  se trouvait là ? Grâce à l’hommage qu’il rend à son père avec cette chanson, le grand Georges donne à réfléchir à tous les parents, à l’heure où nous avons tendance à être si peu tolérants envers les jeunes.

 

Flo La Souricette