J’ai commencé le compte-rendu du livre « Contre les jouets sexistes » la semaine dernière, avec un article d’introduction sur l’injonction présente dans le choix des jouets. Voilà maintenant la première partie, qui analyse comment les jouets participent à la construction sociale de la féminité et de la virilité.       

contre les jouets sexistes

(je reprends le même principe : en noir, le résumé du livre, en bleu, mes commentaires personnels). 

 

La construction de la féminité

Il s’agit d’un « travail de dépréciation qui doit conduire la fillette à se résigner à jouer un rôle subalterne dans la société » et d’un « dressage à la délicatesse ».

Beaucoup de jouets a priori neutres sont bien souvent faits pour les garçons : on voit ainsi parfois à côté d’un jouet « neutre » sa déclinaison spéciale fille (même si les « légos pour fille » n’existaient pas au moment de la publication du livre, il me semble que c’est un bon exemple).

« La séparation entre garçons et filles n’a rien d’équitable : le masculin représente la norme et le féminin la différence ».

Les filles reconnaissent les valeurs considérées comme masculines (action, compétition, domination…) comme étant les valeurs dominantes de la société. Les filles sont donc plus enclines à s’approprier des jouets traditionnellement destinés aux garçons que l’inverse, les rôles masculins étant valorisés dans la société alors que les rôles féminins sont dévalorisés.

Les jouets de filles sont directement liés aux rôles que les femmes doivent « jouer » dans la société : la mère, la femme séduisante, la ménagère et l’amoureuse.

La maternité :

L’un des rôles majeurs que la société patriarcale confie aux femmes est celui de mère. Les poupons, poupées et accessoires sont proposés aux petites filles dès 3 ans. Elles « deviennent ainsi familières du type de soins que nécessite un tout-petit ». Les auteurs considèrent que cela explique le désir d’enfant et le fait que les femmes s’impliquent plus dans l’éducation des enfants beaucoup plus qu’un hypothétique instinct maternel.

Quand le magicien est né, le truc qui mettait son papa mal à l’aise, c’était de l’habiller. Il n’avait jamais eu l’occasion d’habiller un bébé aussi petit et ça lui paraissait une montagne. Je n’avais jamais non plus habillé de nourrisson, et pourtant ça me semblait naturel. Et j’ai remarqué la même chose dans les couples de notre entourage. Un des oncles du magicien va être papa, il nous a demandé plusieurs fois de lui montrer « comment on faisait ». Et je pense que le fait que le fait que ce soit présenté comme « naturel » pour les femmes et pas pour les hommes dès l’enfance y est pour beaucoup.

Toujours dans cette lignée, on propose également aux filles de jouer à la maîtresse ou à l’infirmière. Si les soignantes sont nombreuses dans les jouets , quand un médecin ou un secouriste est représenté, il s’agit d’un homme. « Aux filles les professions donnant les soins au quotidien (…) aux garçons les professions prestigieuses nécessitant un savoir scientifique ou une maitrise technique ».

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Un médecin, une infirmière ou aide soignante qui pousse un fauteuil roulant, une secrétaire médicale.

Les tâches domestiques :

En France, les femmes effectuent encore 80% des tâches ménagères. « Vu les objets que l’on offre aux petites filles, ce n’est pas très étonnant ! » On trouve bien sur tout ce qui touche à la cuisine, mais aussi des jouets ustensiles de ménage (aspirateurs, planches à repasser).

Quand on tape « jouet aspirateur » dans google image, sur 10 images issus de catalogues de jouet où on voit un enfant, il y a 9 petites filles. 

Pour ce qui est des métiers prônés dans les jouets pour filles, on trouve les femmes de ménage, les marchandes, les caissières… « Dans la réalité, ces professions sont fortement féminisés et s’apparentent aux tâches domestiques « traditionnellement » effectuées par les femmes ».

La beauté :

Il existe de nombreux jeux invitant les petites filles à se faire belle, soi-même ou via une poupée ou une tête à maquiller ou coiffer. Ils « visent principalement à lui apprendre la séduction ».

Les poupées mannequins, et en particulier la barbie, sont des modèles stéréotypés de la féminité aux mensurations irréelles.

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En pointillé, les proportions de la Barbie rapportées à la taille de cette femme. 

« Chez Barbie, la valeur et la reconnaissance de soi passent exclusivement par le corps. (…) La célèbre poupée et ses condisciples enseignent aux filles le « devoir (social) de beauté » qui incombe à leur genre »

« La fillette découvre ainsi dès son plus jeune âge les artifices de séduction qui ne pourront que lui apparaître « naturels » à l’âge adulte ».

(voir cet article du blog Les questions composent :  » je le fais pour moi-même« ).

Le livre souligne ensuite que de nombreux jeux créatifs pour petites filles concernent la mode et l’apparence (jeux pour dessiner des robes, fabriquer des bijoux…). Dans le manuel des filles de Nathan, l’essentiel des activités concernent la beauté, la cuisine, la fabrication d’accessoires et de bijoux.

Le numérique ne fait que renforcer le conditionnement des jouets en proposant des jeux centrés sur des activités « de filles » : lancer un magazine de mode dans le jeu mettant en scène les poupées Bratz par exemple. Et quand il s’agit de lutter contre des méchants, il s’agit de « combattre le mal avec élégance », et ouf, entre deux combats, on peut « changer de tenue (…) dans le placard magique » (jeu Winx Club). Pour illustrer ce passage, allez jeter un coup d’oeil sur le site internet Barbie.

Et pour les jeux et activités en extérieur, « il faut aussi maîtriser son attitude et ses mouvements ». Dans les cours d’école, les activités « de filles » (corde à sauter, élastique) sont très ritualisées et délimitées dans l’espace et « consistent à faire du sur place ». Le choix des sports est également très genré. Dans le livre « c’est génial d’être une fille » , on apprend que la danse permet de se dépenser « gracieusement et en musique ». « Bouger, d’accord, mais sans trop transpirer, sans mouvements agressifs, bref tout en féminité ». (bon, en même temps, ce livre est édité chez Fleurus. Depuis que j’ai vu ça, cette maison d’édition a perdu le peu d’estime que je lui portais). 

« Limiter l’espace qu’elles occupent, contrôler leurs gestes pur obtenir un résultat plus esthétique qu’efficace, limiter l’affrontement physique, voilà ce qu’apprennent les filles dans les jeux d’extérieur et les sports qu’elles sont encouragées à pratiquer ».

Les sentiments :

« Dans le système patriarcal, la vocation de la femme est de prendre soin des autres, d’entretenir le foyer et de plaire aux hommes. Le rôle féminin repose finalement sur l’abnégation. Et celle-ci trouve sa légitimation dans une certaine vision de l’amour. L' »amour » permet de justifier le sacrifice de soi, le dévouement et le temps passé à s’occuper des autres. (…) On soigne les bébés, les animaux, les malades, son mari… parce qu’on les aime. Les jouets préparent les petites filles à évoluer dans un univers ou « l’amour » sous toutes ses formes est la valeur première (…). A travers le maternage des poupées, mais aussi des animaux, et les relations d’amitié entre filles, les fillettes s’approprient le langage des sentiments et de la sensibilité ».

Là, je ne suis pas vraiment d’accord avec le livre. Pour moi, le problème n’est pas qu’on encourage les filles à s’approprier le langage des sentiments ou à passer du temps à s’occuper des autres, en particulier des plus fragiles, c’est qu’on n’encourage pas assez les garçons à le faire. (mais je dis peut être ça parce que je suis une fille et que j’ai été élevée comme telle…).

« Les jouets inculquent aux fillettes l’attente du grand évènement de leur vie : l’amour avec un grand A (…). Elles apprennent que c’est lui qui va leur permettre de se réaliser en tant que femme. Et que seul le regard masculin peut valider l’existence de la femme et la rendre heureuse ».

On le voit avec les nombreux jouets et histoires de princesses. Je me souviens de ma cousine qui dès 4-5 ans parlait du prince charmant dont elle serait amoureuse… Heureusement, quelques albums parlant de princesses cassent cette idée reçue, je vous en parle bientôt. 

En attendant le grand amour, les filles sont encouragées à l’amitié entre filles, si possible dans un univers girly où on parle amour, beauté, séduction, petits secrets (voir par exemple ce Girly quiz). A mon époque, le jeu à la mode, c’était le téléphone secret

On encourage également le goût des filles pour les animaux « de préférence mignons, inoffensifs et jeunes ». « Le culte du « mignon » réunit à la fois la tendresse du maternage et l’émotion devant ce qui est joli ».

« L’empire des sentiments, dévolu aux filles, est en fait l’institution du sentimentalisme comme forme de relation aux autres et au monde. La pensée, la réflexion, l’esprit critique, la science, la connaissance du monde qui les entoure… semblent totalement absents de l’univers des filles tel qu’il existe dans les jouets ».

La construction de la virilité

Les jeux de garçons : « Il s’agit de jeux plus bruyants, plus énergiques, actifs et vigoureux, qui engagent plus de luttes réelles ou symboliques, plus d’activité musculaires, plus de jeux de compétition et de rivalité » (Serge Chaumier).

La majorité des jeux de garçon véhiculent l’idée de domination, qui s’exerce par la technique, la conquête, la puissance et la guerre.

La technique :

La raison, le savoir, la technique sont vus comme masculins alors qu’on relègue les filles du côté de l’intuition et de la créativité. Les jeux de réflexion, de stratégie, les jeux liés aux sciences dures sont plutôt réservés aux garçons. Le livre cite les jeux de bricolage, les jeux de constructions « traditionnellement masculins » qui sont des « espaces de valorisation de la maîtrise et de la technique », la glorification des véhicules et leur lien avec des métiers typiquement masculins (pompiers par ex). Et même pour jouer au docteur, c’est l’aspect chef et maîtrise de la science qui sont mis en avant plus que le soin.

L’informatique est également un domaine de garçon, le jeu vidéo « reste encore un espace identitaire masculin ». Le livre souligne même que la profession d’informaticiens est de plus en plus masculine (20% de femmes en formation d’ingénieur en infirmatique dans les années 1980, 11% en 2000). Et même s’il ne concerne pas vraiment les enfants, je ne peux que vous conseiller cet article sur le sexisme chez les geek

« Cette division sexuelle du savoir dans les jouets se prolonge à l’école et dans les études ».

La conquête :

« Dans l’univers des garçons, l’espace de la maison n’existe tout simplement pas. Les jouets et jeux mettent en scène des espaces sauvages (forêt, désert, espace intersidéral, océan, etc.) ou hostiles (champ de bataille, ville, etc) qui sont à conquérir et à assujétir par les armes ».

L’aspect le plus séduisant de la conquête, c’est l’aventure. Parmi les aventuriers traditionels, le chevalier, le pirate ou le cow boy. Chez les pirates playmobil, une seule femme et une seule « épouse de chevalier » dans les boites chevaliers.

Nombreux sont les jeux vidéos qui s’appuie sur l’aventure. Dans ceux-ci, même lorsqu’il y a des objectifs de quêtes, le sens du jeu réside dans les combats qui permettent d’acquérir des points d’expérience.

Et surtout, il y a la figure héroïque, qui ne connait pas la peur, surmonte la souffrance et reste toujours invincible. Il est engagé dans un combat pour sauver le monde. Du héros réel (soldat par exemple), on est passé au super-héros. Si leur rôle est de protéger le monde, c’est surtout un pretexte à la violence, ou une vengeance des humiliés sur ceux qui dominent (cf les X-Men, méprisés en tant que mutant mais qui se serviront de leur pouvoir pour sauver le monde). « Pour le petit garçon, devenir un « héros » c’est accomplir des exploits pour revêtir un statut social valorisant, lié à la virilité ». « Protéger les autres est alors prétexte à la violence ». Parmi les héros plus réalistes, des métiers considérés comme virils parce qu’ils comportent une grande part de risque : pompiers, policiers, espions.

Les véhicules-jouets sont généralement réservés aux petits garçons. Ainsi, sur le site internet de Toys’r’us, dans la catégorie « véhicules radiocommandés« , nous avons  126 résultats pour les garçons et… un seul résultat pour les filles (et devinez de quelle couleur est  la voiture pour fille ?). Dans les jeux vidéos, les jeux de simulation de conduite sont nombreux. Ils se basent à la fois sur la vitesse et la compétition, mais également dans certains jeux à de la violence pure, comme dans la série Grand Theft Auto où on gagne des points quand on écrase des piétons.

« A travers ces jouets, le petit garçon comprend que le monde lui appartient et que son rôle est d’y étendre sa domination. Il comprend qu’il est au coeur d’un espace infini, et qu’il n’y a nulle autre limite à son désir : s’il n’a pas l’étoffe d’un héros, un véhicule ou une arme pourra lui apporter la puissance dont il a besoin pour contrôler l’espace et maîtriser les autres. »

La puissance :

« Les jouets destinés au petits garçons participent de façon massive à une véritable injonction à la puissance virile ».

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Le corps masculin représenté dans les jouets se caractérise très souvent par ses muscles (cf les figurines action man ou Hulk ou la « figurine de catch » visible juste au dessus). Sur le plan de l’expression des émotions, on retrouve soit de la férocité, à travers des visages grimaçants, soit la maîtrise de soi, à travers des allures glaciales. « Cette apparence froide fait écho aux injonctions permanentes à garder son sang froid ». De plus, le corps masculin est présenté comme un corps machine, les armes et véhicules étant présentés comme des prolongements naturels de ce corps.

Le sport, et en particulier le football (1e fédération sportive de France, à 98% masculine), est omniprésent dans la culture masculine des enfants comme des adultes. « Les enfants mâles apprennent par le biais de la pratique sportive à être compétitifs, à vaincre leurs adversaires, à dépasser leurs propres limites physiques et mentales, toute ces attitudes qui seront attendues d’eux en tant qu’hommes (…). Les petits garçons intériorisent (…) un rapport à l’espace, au temps et aux objets qui est marqué par la conquête, la maîtrise, la domination ».

Là je ne suis pas vraiment d’accord. Je suis sans doute trop bisounours, mais je pense que de nombreux clubs mettent l’accent sur le jeu en équipe et sur le fair play et le respect des autres joueurs, plutôt que sur la compétition…

« Tandis que les filles auront des jeux sportifs plus restreints dans l’espace (comme la marelle, la corde à sauter), les garçons auront tendance à occuper l’espace (…) géographique, mais également l’espace sonore et visuel (par leurs cris, leurs déplacements rapides et nombreux, leur débordement d’énergie ».

« Quant aux jeux vidéos de sport, (…), ils se caractérisent par une compétition en solitaire ou tout tourne (…) autour de l’argent : il faut gagner des matchs pour acheter de meilleurs joueurs, cercle vicieux dont l’objectif reste le profit et le pouvoir »

La guerre :

« La logique guerrière est omniprésente : il s’agit de mettre un adversaire hors d’état de nuire au moyen d’armes diverses ». Il y a une « injonction à une virilité violente inhérente à ce type de jouets ».

On passe de la guerre fantastique (sabres lasers inspirés de la guerre des étoiles par ex) à la guerre réaliste. Mais dans les deux cas, les jouets « se caractérisent principalement par une surenchère des armes » comme on le voit dans cette boite de figurine de lance-missile dont le déscriptif précise bien que les soldats « disposent de nombreuses munitions ». « L’arme devient le prolongement nécessaire du corps viril » « Mais avoir une arme, cela signifie s’en servir, et les petits garçons l’ont bien compris (…) Qui n’a pas constaté la violence avec laquelle ces « armes’ sont utilisées par les petits garçons pour frapper leurs soeurs ou des camarades plus jeunes qu’eux ? Non seulement cette violence est tolérée car « on joue », mais en plus elle est stimulée par ces jouets guerriers qui fournissent à la fois le prétexte et l’accessoire pour s’y livrer dans l’impunité la plus totale ».

Les jeux vidéos de guerre sont nombreux et consistent à tuer des ennemis, quelqu’ils soient. Le monde militaire y est mis en scène de façon réaliste. Des soldats admettent d’ailleurs avoir été formé à la guerre à travers leur pratique des jeux vidéos dans l’enfance et l’adolescence. On peut rapprocher ces passages des déclarations du prince Harry : «C’est une joie pour moi (d’envoyer un missile) parce que je suis quelqu’un qui adore jouer à la PlayStation et la Xbox, donc je pense que je suis assez utile avec mes pouces.» Mais même si la mort y est présente, les corps des victimes se volatilisent rapidement. « Quelle responsabilité face à autrui ces jeux violents apprennent-ils aux enfants, si les conséquences de leurs actes ne sont pas visibles ? »

« Conquérir le monde grâce à la puissance, à la guerre, à la technique et au savoir : voilà le message qu’adressent aux petits garçons les jouets qui leur sont destinés. Apprendre à devenir un homme, c’est apprendre à agir sur le monde et à le transformer, faire de son corps un instrument froid et efficace de domination, cultiver la froideur calculatrice, le sentiment de victoire. Les rapports humains mis en scène dans les jouets sont marqués par une logique d’affrontement, de maîtrise ».

Pour les auteurs, les jouets pour garçons « dépassent les frontières de l’âge » avec des adultes qui collectionnent les (petites) voitures ou sont fans de foot parce que la vie héroïque promise par ces jouets ne correspond pas à leur vie réelle et que rester dans cet univers du jeu est le seul moyen de les retrouver. (je devrais dire ça à mon mari quand il passe ses soirées à jouer à World of Warcraft).

Les jeux guerriers dominent l’offre faite aux petits garçons et sont nocifs pour tous. En revanche, les jeux basés sur la technique sont intéressants parce qu’ils « proposent une autre vision du monde aux enfants » et les petites filles devraient également se les approprier ».

Et voilà pour cette partie de constat, un peu déprimante. J’espère quand même que seulement une petite partie des enfants sont contraints à rester strictement dans les jouets destinés à leur genre. Mais je pense que malheureusement les injonctions sont si nombreuses qu’il est difficile d’échaper entièrement à ce conditionnement, malgré la bonne volonté des parents. 

La semaine prochaine, je vous parle de la représentation de la famille et de l’hétéronormativité, mais après, promis, on passera aux alternatives et aux moyens de lutte, ce qui permettra des articles un peu plus positifs !

Lila