Lorsqu’on m’a proposé de lire le livre d’Ann Sinnott, intitulé Allaités … des années ! de l’édition du Hêtre,  j’avoue m’être précipitée sur l’occasion tant il est rare de trouver des ouvrages sur l’allaitement prolongé. Il est rare d’en trouver, comme il est rare de lire la moindre étude sur les tenants et aboutissants psychologiques et scientifiques de la pratique. Et je suis persuadée que cette absence joue dans la façon dont les gens jugent l’allaitement des bambins et ne parlons même pas du cas des enfants de plus de 5 ans qui sont allaités !

allaitéesdesannées

C’est donc la volonté de l’auteur d’Allaités … des années ! de traiter de ce sujet à moitié tabou dans nos sociétés occidentales. Son livre est découpé en 11 parties. Et tout au long de son ouvrage, de nombreux témoignages de mères allaitantes ou ayant allaité leurs enfants viennent étayer ce qu’elle dit. Je ne vous parlerai ici que des 2 premiers chapitres de son livre, et je passerai le flambeau à d’autres neurones.

Dans un premier temps Ann Sinnott traite de l’allaitement en tant que nécessité mondiale. Elle s’intéresse aux recommandations de l’OMS, à savoir un allaitement exclusif jusqu’à 6 mois et sa poursuite jusqu’à l’âge de 2 ans au moins, accompagné d’une alimentation solide. L’auteur souligne l’importance de cette recommandation pour la santé des enfants et critique la manière dont de nombreux médecins occidentaux rejettent cette recommandation au titre qu’elle ne concernerait que les pays en voie de développement. Elle y voit une condescendance malsaine. Par ailleurs,  elle souligne les taux d’allaitement extrêmement bas en occident, en particulier au delà de 6 mois. Et que sans étude poussée on ne peut savoir quel impact ces taux bas ont sur la santé des petits occidentaux.

Elle explique ces taux bas par plusieurs facteurs. Notamment, par l’impact négatif de certaines interventions après la naissance : la séparation mère/enfant, le manque de compétences du personnel soignant « Un cas plus fréquent, et qui enfreint ouvertement la recommandation de l’OMS selon laquelle les bébés ne devraient rien recevoir d’autre que du lait maternel pendant les six premiers mois de leur vie, est celui des sages-femmes qui continuent de suggérer de donner un biberon et continuent de donner aux nouveaux-nés de l’eau/du glucose/du lait industriel, bien souvent sans la permission de la mère. » Et pour la petite histoire, c’est exactement ce qui m’est arrivé à la naissance de ma puce … mais passons !

Elle souligne également la désinformation, voici un témoignage d’une maman :  » Les autorités médicales m’ont beaucoup remise en question quand j’ai poursuivi l’allaitement de mon fils au-delà de six mois. On m’a dit qu’il ne mangerait pas de solides et deviendrait obsédé par sa mère si je n’y prenais pas garde. Il est tout le contraire de ça aujourd’hui. » Les spécialistes de l’allaitement devenues mères à leur tour déplorent également la désinformation : « Les commentaires de visiteurs de santé et de conseillers en allaitement, qui non seulement ont des services une expérience de première main mais sont quotidiennement témoins de l’expérience des autres, apportent une confirmation accablante des insuffisances de certains professionnels de santé. »

Or Ann Sinnott, rappelle qu’une seule étude (une seule !!!) a été faite en occident sur l’impact nutritionnel de l’allaitement long et elle ne permet pas d’apporter un éclairage scientifique. C’est pourquoi en l’absence de réponse établie, elle ne comprend pas qu’il y ait une forme de rejet de cette pratique, en particulier dans le milieu médical. Transformant bien souvent cette pratique mère/enfant en phénomène caché. Ainsi les mères concernées se méfient de plus en plus du corps médical (tiens ça me rappelle quelqu’un …) qui se montre très défaillant sur la question.

Dans le deuxième chapitre : Grand temps d’arrêter ! Ann Sinnott traite de la question de l’impact psychologique de l’allaitement long de l’enfant. Elle rappelle dans un premier temps l’importance de l’influence de Freud : « Parallèlement aux croyances négatives du corps médical, les psychologues ont tendance à désapprouver violemment l’allaitement long. » … « Sigmund Freud, souvent présenté comme le « père de la psychanalyse, a défini la période 0-18 mois comme le « stade oral » du développement psychosexuel. » Ainsi Ann Sinnott, parle de nombreux psychologues avec qui elle a discuté pour son livre et qui sont totalement défavorables à l’allaitement prolongé. L’auteur voit pourtant dans certains propos tenus des interprétations extrêmement personnelles qui ne reposent sur rien de scientifique, Freud ayant été lui-même souvent remis en question sur certains aspects de ses théories (notamment sur la place du sexe … mais passons).

Par ailleurs, nombreux sont les psychologues qui voient dans l’allaitement prolongé la manifestation d’un vide social. Ces dires étant contredits par quelques témoignages de mamans allaitantes qui disent qu’elles sont entourées par leurs familles et amis. Mais ce qui est le plus critiqué par les psychologues est le potentiel pouvoir que la mère a sur son enfant, et sur les motivations parfois obscures à poursuivre l’allaitement.  D’autres soulignent le fait qu’au contraire cela peut être l’enfant qui prend le pouvoir sur sa mère, que l’allaitement va amener l’enfant à entretenir un fantasme « Maman et moi sommes faits l’un pour l’autre« . Ann Sinnott répond à ces remarques en mettant en avant différents témoignages de mères qui expliquent comment elles sont arrivées à allaiter leur enfant plusieurs années. La grande majorité l’ont fait alors qu’elles ne l’avaient pas du tout prévu et montrent avec quel naturel cela est venu. Toutes témoignent d’une relation saine avec leur enfant et d’un équilibre manifeste de ce dernier.

Enfin, l’auteur souligne le fait que l’arrêt de l’allaitement peut être un véritable traumatisme pour l’enfant. Celui-ci ne comprenant pas pourquoi on l’oblige à arrêter une pratique qui le rassure. Ann Sinnott critique le fait qu’on a tendance, dans nos sociétés occidentales à prôner la séparation pour des raisons économiques, en oubliant le bien-être des enfants, qu’on cherche également à provoquer l’attachement pour l’objet, le biberon plutôt que pour les gens : la mère. « Miller m’a dit que les enfants doivent « apprendre à transférer leurs affection à leurs passions de la personne – la mère- aux objets »; que les « sentiments, profonds et primitifs, peuvent s’attacher à d’autres objets »: que « l’enfant doit apprendre à trouver dans les livres le plaisir qu’il trouvait autrefois dans le sein et « à éprouver des sentiments amicaux pour d’autres gens ». » J’ai trouvé intéressant pour ma part de lire le témoignage de femmes qui ont été allaités pendant des années durant leur enfance. L’une d’entre elle explique comme elle a mal vécu le sevrage et s’en rappelle comme quelque chose qu’elle essaye de réparer à l’âge adulte. Une autre témoigne au contraire de son sevrage naturel à 7 ans, comme quelque chose de simple et qui s’est fait soudainement. J’ai trouvé très intéressant de lire le point de vue des enfants devenus adultes ! 

Enfin, Ann Sinnott rappelle qu’en l’absence d’études précises on ne peut juger de l’état de santé psychologique et de l’état du développement des enfants allaités au long cours. Mais qu’en observant un échantillon de ces enfants, ils semblent tous en bonne santé. Certains psychologues admettent que les cas pathologiques sont très rares.

Je me suis arrêtée dans cette lecture. J’ai trouvé cet ouvrage très intéressant et comme je l’ai souligné au départ je déplore le manque d’informations sur la question. C’est d’ailleurs ce qui me pose problème. L’ouvrage d’Ann Sinnott est intéressant dans la mesure où il met en avant l’ensemble des questions que posent l’allaitement long, il souligne l’absence de réelles libertés des femmes et des enfants qui le vivent, victimes des préjugés de nos sociétés occidentale. Mais en l’absence de réelles études scientifiques, dénuées de relents moraux et détachées de l’influence de nos visions freudiennes, je trouve qu’on ne peut apporter que peu de réponses satisfaisantes. En effet, l’auteur s’appuie beaucoup ses propos sur les témoignages de mères. J’ai eu la sensation en commençant cette lecture que la balle était sans cesse renvoyée entre d’un côté le personnel soignant et les psychologues et de l’autre les mères avec leurs enfants. Un match que je trouve déjà fatiguant à observer et qui je le redis n’a pas tellement lieu d’être sans études plus poussées sur le sujet. Et si tout cela était trop entaché par des préjugés trop profonds ? De l’autre côté, les mères qui vivent l’allaitement au quotidien sont facilement sur la défensive quand on vient les critiquer. Le livre a au moins le mérite de donner un coup de pied aux idées reçues. Mais à quand une discussion totalement ouverte et une absence de tabous sur une pratique qui remonte à la nuit des temps et qui se vit tout naturellement et sereinement dans la plupart des familles allaitantes ? 

 

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