HoltApprendreSansEcoleGrâce à la bibliothèque volante des VI, j’ai pu découvrir, du moins en partie, cet ouvrage de John Holt, généralement plus connu en France pour le livre Les apprentissages autonomes.
En fait, il est loin de n’avoir écrit que deux ouvrages, et on comprend vite à quel point le sujet de la suppression pure et simple de l’école lui tient à cÅ“ur.

En ce qui me concerne, je n’aime pas l’idée d’aller aussi loin dans le raisonnement, mais pour un certain nombre de raisons (vous pouvez en découvrir certaines sur mon blog), je ne souhaite pas scolariser mes enfants.
Si je n’ai pas confiance dans le système éducatif en place, je crois, contrairement à Holt, qu’il est possible de le modifier en profondeur (par la méthode Montessori par exemple). Holt lui souhaiterait pousser la théorie de l’apprentissage autonome à son paroxysme : pas d’école du tout, et une liberté totale pour les enfants.

Passé ce désaccord entre nous, et passé un style d’écriture longuet à mon goût (j’aime le droit au but moi !), l’auteur développe des idées qui me plaisent beaucoup, et que je trouve intéressantes d’évoquer même si on souhaite la scolarisation classique de son enfant.

Par exemple, l’idée qu’apprendre ne doit pas être désolidarisé de vivre. Apprendre, ce n’est pas seulement à l’école, c’est aussi dans « la vraie vie ». On apprend partout, tout le temps, même sans s’en rendre compte. On apprend en observant, en discutant, en vivant simplement.
Holt prône un système d’apprentissage tel qu’on peut en trouver aujourd’hui sur Wikipédia ou au travers des blogs et des sites (son livre a été écrit en 1976) : la possibilité d’apprendre de tout le monde, d’apprendre à tout le monde, qu’on soit diplômé ou pas. Un partage très élargi du savoir.
Il détaille ainsi le fonctionnement de la Beacon Hill Free School à Boston qui propose des cours gratuits dispensés par des personnes comme vous et moi, c’est-à-dire pas forcément des enseignants, pas forcément des personnes disposant d’un diplôme en la matière. Enseignants et inscrits au cours se débrouillent pour trouver un local, souvent un de leurs domiciles (ce qui malheureusement limite grandement l’expansion du système), afin de partager un savoir. Chacun est libre de choisir les cours qu’il souhaite suivre. Il n’y a pas de test, il n’y a pas d’examen.
On retrouve aujourd’hui ce type de fonctionnement via internet, ne serait-ce que sur le site des VI qui propose d’échanger ce qu’on apprend via nos lectures, sur les blogs qui proposent des vidéos de tricot, ou qui expliquent comment réparer ses toilettes etc.

Apprendre en dehors de l’école, c’est aussi ne pas apprendre le savoir brut et dépouillé de son contexte, et voici un passage du livre qui m’a particulièrement marquée :

Quand il a commencé à travailler sur ce problème, Euler était mathématicien à la cour du tsar à Saint-Pétersbourg. Un jour, il entendit parler de l’excitation causée dans toute la population par une énigme concernant les nombreux ponts de Königsberg. Cette ville (alors en Prusse Orientale) s’étendait sur les deux rives d’une rivière et sur deux îles situées sur la rivière, une grande et une plus petite. La petite île disposait de quatre ponts, deux vers chaque rive, la grande d’un pont vers chaque rive, et un septième pont reliait les deux îles entre elles. Un jour, quelqu’un s’est demandé s’il existait une promenade permettant, à partir d’un point de départ au choix, d’y revenir en passant une et une seule fois par chaque pont. Bientôt, la foule se mit à marcher, cherchant en vain ce chemin magique. Euler, en vrai mathématicien, n’eut évidemment pas besoin de se rendre à Königsberg pour résoudre cette énigme. Il se mit à y réfléchir. Assez rapidement, il trouva un moyen de démontrer, pas seulement pour ce problème particulier des ponts de Königsberg mais pour tous les problèmes de ce type, s’il existe ou non une ou plusieurs solutions, et le cas échéant, quelles sont les solutions possibles. (…)

A la fin de mon voyage avec Euler, c’était comme si des voix criaient en moi : « Voilà ! C’est ça que font les mathématiciens ! Pourquoi personne ne me l’avait jamais dit ? Ce n’est pas étonnant qu’ils en fassent, des mathématiques : c’est magnifique ! Je veux en faire. Je vais en faire ! »

Connaître l’histoire du théorème, toute la recherche qu’il y a eu autour, donne une dimension toute autre au résultat. Les théorèmes ne tombent pas du ciel, il faut parfois des années pour les démontrer, des années de tâtonnement, de réflexion, d’erreurs et de retour en arrière.

L’histoire n’est pas aussi simple à construire qu’on pourrait le croire en lisant un manuel. On apprend ainsi que les historiens s’affrontent souvent sur ce qu’il faut considérer comme un fait : des chiffres ? des écrits de l’époque ? Les chiffres peuvent-ils tout traduire ? Les écrits ne sont-ils pas trop partiaux ?
On apprend dans un documentaire que la durée de construction de la grande pyramide en Egypte a été obtenue par déduction, et qu’elle n’est en aucun cas une donnée absolue, une certitude.
Remettre dans son contexte, c’est comprendre que les choses sont rarement aussi simples qu’on se l’imagine. Et c’est par delà, s’autoriser à se tromper, savoir prendre les problèmes dans leur ensemble, garder une part de doute et de curiosité.

Vaallos.