Est-ce que le fait de ne pas pouvoir connaître exactement la quantité de lait consommée par un bébé lors d’une tétée pourrait dissuader certaines mères d’allaiter? C’est ce que semble indiquer une étude publiée dans la revue PLOS One le 30 janvier dernier.

En effet, les auteurs de cette étude arrivent à la conclusion suivante:

Mothers who wish to be able to monitor milk intake or give feeds at particular times may choose to incorporate a bottle to gain this control. Therefore, maternal control may be dispositional and instead drive decision to breast or formula feed. Mothers who desire a feeding style which allows them to exert high levels of control may choose to formula feed, or struggle with the infant led nature of breastfeeding.

Que l’on pourrait traduire par:

Les mères qui souhaitent pouvoir mesurer la quantité de lait consommée ou offrir le sein selon un horaire particulier choisissent peut-être d’intégrer un biberon pour gagner ce contrôle. Ainsi, le contrôle maternel peut être une disposition de la mère et influencer sa décision de nourrir son enfant au sein ou au biberon. Les mères qui désirent adopter une approche de l’alimentation leur permettant d’exercer un plus grand contrôle choisissent peut-être de nourrir leur enfant avec des préparations commerciales pour nourrissons ou luttent contre le fait que la nature même de l’allaitement est d’être conduit par l’enfant.

C’est en fait cette dernière phrase que je trouve particulièrement intéressante puisqu’elle remet en question la façon dont on explique la gestion de l’allaitement aux mères. Je réalise alors que certaines mères sont peut-être très inconfortables avec cette idée d’allaiter à la demande. En fait, certaines le sont peut-être à un point tel que l’alimentation au biberon devient beaucoup plus facile à gérer pour elles. Si c’est le cas, cela oblige alors les intervenantes en allaitement à repenser leurs méthodes puisqu’elles sont maintenant devant un problème complexe. Comment réconcilier les impératifs de la production de lait avec le besoin de contrôle de ces femmes?

Cela devrait aussi nous amener à nous questionner sur ce besoin si fort chez certaines d’intervenir pour assurer la croissance de leur bébé. Est-ce, comme les auteurs semblent le croire, une disposition particulière de certaines femmes? Est-ce un effet secondaire du désir de productivité qui est partout de nos jours? Est-ce une conséquence d’une approche médicale qui quantifie tout et qui cherche à éliminer tous les risques possibles, aussi minimes soient-ils? La réponse est probablement un amalgame de toutes ces hypothèses et risque de demeurer une question de débat pour quelques temps encore.

Les chercheurs américains ont en effet remarqué que le mode d’alimentation choisi par la mère semblait associé à l’approche de cette dernière face à l’alimentation de son bébé. Pour en arriver à cette conclusion, les auteurs ont interrogés 384 mères sur la façon dont leur bébé était nourri à la naissance et sur leur approche par rapport à l’alimentation.
C’est ainsi qu’ils ont pu remarquer que les mères qui allaitaient avaient moins tendance soit à encourager leur bébé à boire davantage (en minutant la durée des tétées ou en réveillant leur bébé pour qu’il continue à boire), soit à limiter la quantité de lait consommée (en espaçant les tétées par exemple) que les mères qui utilisaient des préparations commerciales pour nourrissons (PCN) pour nourrir leur enfant. Les mères allaitantes étaient aussi moins préoccupées par le gain de poids de leur bébé. Par ailleurs, lorsqu’un bébé allaité était sevré, plus le sevrage survenait tôt, plus la mère avait une approche interventionniste dans l’alimentation de son bébé.
Il est aussi intéressant de noter que les mères qui offraient leur propre lait au biberon avaient plus tendance à encourager le bébé à boire davantage que les mères qui offraient des PCN. Elles ne limitaient toutefois pas la quantité de lait consommé par leur bébé de façon significative. Par ailleurs, le moment d’introduction des solides semblaient aussi être associé à l’approche de la mère par rapport à l’alimentation.

Selon les chercheurs, deux hypothèses pourraient expliquer ces observations.

D’une part, étant donné que l’allaitement à la demande est nécessaire à l’établissement d’une bonne production de lait et qu’il est difficile de savoir exactement la quantité de lait consommé par un bébé lors de la tétée, les mères allaitantes modifieraient peut-être leur approche de l’alimentation pour s’adapter aux exigences de l’allaitement.

D’autre part, l’inverse serait aussi possible. C’est-à-dire qu’il se pourrait que les mères qui se sentent plus à l’aise avec une approche plus interventionniste de l’alimentation soient plus attirées par l’alimentation au biberon pour leur enfant puisqu’elle leur permet une plus grande impression de contrôle.
En conclusion, le degré d’interventionnisme d’une mère face à l’alimentation de son enfant pourrait avoir un impact sur le choix du mode d’alimentation à la naissance du bébé. Cette observation pourrait donc nous aider à mieux comprendre les motivations qui influencent une mère lorsqu’elle décide d’allaiter ou non. De plus, cela pourrait nous amener à revoir notre façon d’aider les mères qui vivent des difficultés d’allaitement en tenant compte des perceptions que celles-ci entretiennent par rapport à l’alimentation.


Référence:
Brown A, Lee M (2013) Breastfeeding Is Associated with a Maternal Feeding Style Low in Control from Birth. PLoS ONE 8(1): e54229. doi:10.1371/journal.pone.0054229

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