Source : Le Nouvel Observateur

Source : Le Nouvel Observateur

Mon titre vous choque ? C’est pourtant la thèse développée dans un dossier du Nouvel Observateur (17 janvier 2013, n°2515) : « Nos enfants, ces tyrans » (découvert grâce à Mère Bordel). Je vous livre tout de suite la phrase introductive de la journaliste Nathalie Funès :

Après des siècles d’interdits, notre société a basculé dans la surconsommation et le tout-permissif. Et engendré des enfants rois. Choyés à l’excès mais pas forcément heureux.

Ce passage m’a tout de suite choquée par son côté caricatural. Bien sûr, certains enfants ne savent pas ce qu’est l’autorité et ne supportent pas la frustration (d’ailleurs, un même enfant peut vivre des périodes différentes : un jour toujours content, le lendemain en crise) mais je ne crois pas à cette thèse alarmiste disant que les parents ont laissé tomber l’éducation.

L’article sur le site n’étant pas complet, j’ai acheté le magazine entier pour mieux comprendre. Il s’agit de l’interview du psychologue clinicien Didier Pleux. La lecture de ses réponses m’a moins agacée (j’ai dit « moins ») que l’introduction de la journaliste, ce qui me fait dire que le but est de faire du sensationnel, d’attirer les foules avec de l’exagération et surtout, surtout une généralisation tout à fait déplacée :

Parents déboussolés, instituteurs excédés, pédiatres qui réclament le retour de la bonne vieille punition d’antan, psychiatres vent debout contre l’héritage de Françoise Dolto et son fameux « l’enfant est une personne », tous lancent le même cri d’alarme. (…)

Comment la jeunesse d’aujourd’hui s’est muée en despote ? Comment leurs parents ont fait d’eux des pachas ? Comment résister au « moi, moi, moi » ?

Le constat est simple : tous les spécialistes disent que tous les enfants d’aujourd’hui sont des tyrans. J’en connais pourtant qui ne sont pas du même avis (exemples : une interview de Marlène Schiappa qui, dans son livre L’enfant roi, donne un autre sens à cette expression ; un entretien avec Isabelle Filliozat sur les relations parents/enfants) mais ils ne sont pas pris en compte.

Quand commence l’interview, les propos sont un peu plus nuancés mais pour moi, le mal est fait.

Il y a trente ans, les enfants rois représentaient 2% de mes patients. L’écrasante majorité, plus de 90%, était constituée de jeunes qui souffraient d’un manque de confiance en soi ou d’un problème de personnalité. Aujourd’hui, c’est l’inverse, les neuf dixièmes des enfants qui passent par mon cabinet présentent une intolérance à la frustration et à l’autorité. On ne peut évidemment pas calquer ces statistiques au niveau national : seuls ceux qui ne vont pas « bien », comme on dit, consultent. Mais cela témoigne d’une tendance lourde. Ils sont de plus en plus nombreux.

Je surligne la phrase qui vient quelque peu nuancer les propos même si la thèse derrière reste la même. Je ne suis pas psychologue, je veux donc bien le croire quand il dit que ses patients n’ont plus les mêmes problématiques  (encore que, un « enfant roi », comme il dit, ne peut-il pas souffrir aussi d’un manque de confiance en lui ?). Mais je ne suis pas d’accord avec l’analyse : pour moi, cela ne parle pas forcément d’une démission des parents ou d’enfants de plus en plus affreux mais d’une société qui change, des problèmes différents et, de ce fait, d’une autre manière d’exprimer sa souffrance. Est-ce pour autant le signe d’une décadence ?

Pour ce psychologue, donc, les préceptes de Dolto ne sont plus d’actualité :

Elle voyait dans son cabinet des jeunes anéantis par une éducation rigide ou une carence affective. Reconnaître un être à part entière dans l’enfant était une nécessité. Mais l’époque n’est plus la même. Françoise Dolto est morte en 1988. Je suis prêt à parier qu’elle ne tiendrait pas le même discours aujourd’hui.

Venons-en aux conseils :

Limiter les listes de cadeaux, ne pas s’imaginer qu’on a engendré un surdoué, ne pas passer par pertes et profits les règles de vie (ranger, débarrasser la table…), ne pas expliquer pendant trois heures pourquoi l’autorisation de sortie s’arrête à minuit. En gros, il faut dire à l’enfant : oui, tu peux jouir de la vie, mais il y a des contraintes.

Ces principes n’ont rien de nouveau, je suis d’ailleurs plutôt d’accord, j’ai quand même l’impression que tout cela est bien connu. Est-ce que je suis dans un milieu privilégié ? Je n’ai jamais entendu personne (ou alors c’était marginal) dire que les limites ne servent à rien, que ce n’est pas à l’enfant de ranger, blablabla. Encore une fois, je ne suis pas psychologue, je passe peut-être à côté d’une réalité à laquelle, lui, est confronté. En revanche, je n’adhère pas à la généralisation des propos dans un hebdomadaire grand public. Je me mets à la place d’un parent quelque peu décontenancé par son enfant qui croira trouver là la réponse à ses problèmes. Le message est quand même qu’il faut frustrer son enfant (volontairement), qu’il faut donner la priorité aux règles et ne pas prendre en compte son âge, son niveau de maturation, son caractère. Jamais ne sont évoquées les particularités d’un enfant, ses différentes phases d’apprentissages, etc. Pour moi, tout est mélangé ici et cela n’apporte rien de bon.

Je vous livre également les derniers mots :

Les parents voient bien que leur progéniture, aussi « gâtée » soit-elle, n’est pas heureuse. Ils réalisent qu’ils doivent reprendre leur rôle d’éducateur, que les plus jeunes ne sont pas leurs égaux, qu’ils ont nécessairement moins de libertés. Un enfant doit pouvoir rêver du monde des adultes. S’il l’a eu, petit, quels rêves lui restera-t-il quand il aura grandi ?

Je me disais bien qu’on n’avait pas la même vision de l’enfance. Pour moi, il n’y a pas d’un côté les adultes libres et de l’autre les enfants à contrôler. L’enfance n’est pas là uniquement là pour préparer à l’âge adulte, même si je suis d’accord, il y a des règles à connaître, à apprendre. Mais l’enfance, en elle-même, a son « utilité » (je ne trouve pas de meilleur mot), il y a des choses à vivre dans l’enfance qui n’ont rien à voir avec l’âge adulte. Je ne sais pas si j’exprime bien mon propos mais j’aime à penser (et je ne suis pas la seule) que l’enfant n’est pas seulement un futur adulte, un être à former, c’est un enfant tout simplement avec ses réactions propres, sa façon de voir les choses. On apprend aussi d’eux et heureusement. La relation parents/enfants ne va pas dans un seul sens, c’est aussi un partage.

Je suis plutôt attristée de voir cette théorie des enfants tyrans se répandre et de constater que les spécialistes dont la thèse est différente (voire opposée) n’ont pas la même audience dans la presse généraliste.

Clem la matriochka

Edit : vous pouvez lire la réaction de Marlène Schiappa (auteure de Eloge de l’enfant roi et fondatrice du réseau « Maman travaille ») à ce même article du Nouvel Obs.