Je me suis intéressée à la question suite à la pétition qui circule en ce moment sur le net, de SOS éducation.
En France, on a une grande tradition du redoublement. D’ailleurs, il y a des arguments « pour » assez simple : pourquoi faire passer un élève dans la classe supérieure quand on sait qu’il n’a pas acquis les connaissances de base nécessaires à l’année suivante? Est ce que ce n’est pas l’envoyer au casse pipe?

Pourtant, plusieurs pays pratiquent le passage automatique en classe supérieure sans avoir de plus mauvais résultats que la France.
Alors quid du redoublement, de son efficacité, de sa nécessité supposée?

Je ne me voyais pas critiquer le travail de SOS éducation sans me renseigner un peu. Du coup, j’ai cherché (et trouvé) des comptes rendus de recherche sur le redoublement et son efficacité.
J’ai donc déniché :
-L’étude de Marcel Crahay : « Peut on conclure à propos des effets du redoublement? » publié en 2004 dans la revue française de pédagogie
-Un rapport établi à la demande du haut Conseil de l’évaluation de l’école, publié en décembre 2004
-Un article daté de 2005, visible sur Psychologie.com
-Un texte de M.D.Meuret, non daté (qui a le mérite de donner les principaux arguments en faveur du redoublement, et pas juste ceux contre)
et le support écrit d’un atelier de réflexion sur le redoublement, québécois, publié en 2003
(je vais m’appuyer essentiellement sur le texte de Crahay et de Meuret, sinon, je ne m’en sortirai pas…)

Tous ceci n’est pas hyper récent, j’en conviens. Mais je pense malgré tout que c’est toujours valable.

Le sujet m’a interpellé car, dans mon ressenti, SOS éducation défend le redoublement et le prône comme une punition, pour aider à rassoir l’autorité du prof. (C’est mis au même niveau que remettre les notes de conduite au goût du jour). Ce qui me semble une trèèèès mauvaise idée (à part si on veut braquer les élèves…)

Qu’en dit Meuret dans les arguments en faveur du redoublement :

-les élèves seront incapables de suivre dans la classe supérieure, par manque de connaissances. Cet argument est en quelque sorte le plus ancien : Dans les collèges tels qu’ils se développent en Europe à partir du XVeme siècle, les élèves entrent à des âges très divers. Ils ne sont donc pas regroupés selon leur âge, mais selon leur niveau scolaire, et, par une extension de ce principe, ils ne passent dans le niveau supérieur que quand ils possèdent les compétences jugées requises pour cela. D’où le redoublement (Van Haecht, 2001ii)

– les élèves n’ont pas la maturité suffisante pour réussir dans la classe suivante. Crahay (2003) note, à partir de recherches en Suisse et en Belgique, que les instituteurs utilisent un vocabulaire plus volontiers psychologique que pédagogique pour justifier les redoublements.

– C’est une épée de Damoclès pour les élèves, une façon de leur faire comprendre qu’ils doivent travailleriv. Une autre version de cet argument est que la menace du redoublement fait que les élèves ont intérêt à travailler pour rester l’année suivante avec leurs copains.v

– C’est une façon d’éviter d’avoir des classes trop hétérogènes.

et ceux en sa défaveur :

-atteinte à l’image de soi, et donc à la motivation. Des entretiens avec des doublants montrent de la tristesse («ça voulait dire que j’étais un mauvais élève ). Cet argument pourrait expliquer les résultats de l’étude D. Bain dans le canton de Genève : la plupart de élèves bons dans une discipline et redoublant à cause des autres disciplines ne progressent pas dans la première au cours de l’année de redoublementvii.
– les élèves revoient inutilement des connaissances qu’ils avaient acquises
– recommencer quelque chose qui a échoué ne peut marcher
– nuisible à l’égalité des chances : à niveau égal, les enfants de pauvres reçoivent de plus basses notes, redoublent plus souvent, en sont stigmatisés, cela nuit à leur orientation (Crahay, M., 2000, L’école peut elle être juste et efficace ? De Boeck)
– Les décisions de redoublement sont prises en fonction du niveau moyen de la classe où l’élève est scolarisé. Elles sont donc entachées d’arbitraire. On a montré que les élèves faibles d’une classe forte avaient nettement plus de risque de redoubler que des élèves de même niveau scolarisés dans une classe plus forte (Grisay, 1984). De fait, ce type de remédiation gère seulement l’hétérogénéité au sein de la classeviii.

Je pense qu’effectivement, le redoublement est toujours vécu comme très stigmatisant. Je me rappelle que c’était un peu l’angoisse de certains élèves, tandis que d’autres s’en fichaient car ils ne comptaient pas bosser plus pour autant en cas de redoublement…
On a de quoi se poser la question de l’intérêt du redoublement en effet.

Quand on compare les pays qui font redoubler et ceux qui ne font pas, ou très peu redoubler, voici ce qu’en dit Meuret:

Lorsque le redoublement est rare, la quasi totalité des élèves de 15 ans sont dans le même «niveau». Lorsqu’on peut redoubler souvent, ces élèves sont dispersés dans plusieurs niveaux (en France : seconde, troisième, quatrième). Si le redoublement est utile, si, effectivement, il vaut mieux que les élèves faibles redoublent parce qu’ils ne «pourraient pas suivre» si on les laissait passer, on trouvera que, dans les pays sans redoublement, le niveau moyen est plus faible. C’est plutôt l’inverse qu’on observe.

Crahay, lui, parle de l’étonnement suscité par le fait que certains pays ont réussi à s’affranchir du redoublement scolaire, sans grosses catastrophes dans les écoles :

Le fait même que des pays comme le Danemark, la Finlande (1), la Norvège, la Suède et le Royaume-Uni, mais aussi la Corée, la Malaisie, le Japon, la Nouvelle-Guinée, etc. aient aboli la possibilité de faire redoubler, est déjà objet d’étonnement pour certains. Cette information constitue en soi une réfutation de l’affirmation de certains enseignants qui proclament de façon péremptoire que « le non-redoublement, c’est impossible » ou d’auteurs qui écrivent que « l’école abesoin de l’échec scolaire » (Milner, 1984). De façon évidente, certains systèmes éducatifs fonctionnent sans échec et, surtout, sans redoublement. Bien évidemment, il reste à savoir s’ils fonctionnent bien.

Il faut donc comparer. Mais Meuret émet une réserve : il faut comparer ce qui est comparable. Ainsi, pour juger de l’intérêt du redoublement, il ne faut pas seulement regarder les avancées d’un redoublant au cours de son année de redoublement ; mais comparé cela aux avancées d’un élève de même niveau initial, mais qui n’a pas redoublé. (histoire de voir si un élève qui ne redouble pas s’en sort beaucoup plus mal ou pas qu’un redoublant, alors qu’ils avaient les mêmes niveaux à la base)

Si l’on compare ce que sait un élève au moment de la décision de redoublement et un an plus tard, après qu’il a redoublé son année, on constate qu’il a progressé, et cela explique en partie l’adhésion des enseignants au redoublement. En apparence, l’élève n’a pas perdu son année. Sur 114 études de ce type, presque toutes ont fait état de progrès cognitifs et socio-affectifs.
Mais peut être les élèves aussi faible que lui, mais promus, progressent-ils aussi ? Que les redoublants n’aient pas complètement perdu leur année est une bonne nouvelle, mais la vraie question est de savoir s’ils ont utilisé leur temps de façon plus productive que si on les avait laissé passer dans la classe supérieure.

Il y a alors une comparaison, dans l’article de Meuret entre études anglo-saxonnes et françaises.
Les conclusions des études anglo-saxonnes sont les suivantes (mais allez lire l’article, il y a plein de détails, de tableaux, j’ai trouvé ça très intéressant) :

Le tableau montre que le résultat moyen de la vingtaine d’études «à niveau scolaire identique » recensées par Holmes est que les élèves qui ont redoublé et ceux qui sont passés réussissent les épreuves de façon identique, que ce niveau scolaire se situe un, deux ou trois ans après le redoublement. Il montre donc que les redoublants ont perdu un an, pour rien.

Outch! Le verdict semble sans appel…
Et les études françaises alors, elles concluent quoi?

Troncin (2004) : Dans 90 cas sur 103, les compétences du promu ont été, en moyenne sur les quatre domaines, supérieure à celle du redoublant. Les résultats de Troncin confirment ceux obtenus par une étude plus ancienne sur un plus grand nombre d’élèves de CP
Grisay, (1993) Apparaît ici aussi un effet négatif du redoublement – les redoublants progressent moins que les promus, à niveau initial égal- mais un peu moins fort que dans les recherches anglo-saxonnes.

Il semble bien que le redoublement ne soit vraiment pas efficace, ni nécessaire manifestement…

D’ailleurs, Crahay souligne que cela fait longtemps que le sujet interpelle, que les études ont toujours montrées les mêmes conclusions mais que l’incrédulité prévaut parmi les décideurs.

Indéniablement, la question des effets du redoublement interpelle le monde de l’éducation depuis fort longtemps. Dans sa célèbre revue de question datant de 1975, Jackson fait état d’une recherche menée par Keyes en 1911 (cité par Jackson, 1975). Bref, il semble bien que l’on s’intéresse aux effets du redoublement depuis près d’un siècle et ceci sans que la problématique soit considérée comme définitivement résolue. Or, sans pouvoir établir une comptabilité précise, il est manifeste que le nombre d’études sur le sujet est impressionnant : plus d’une centaine, estimons-nous. Plus surprenant encore, les résultats engrangés au fil de ces multiples efforts de recherche sont substantiellement cohérents. Rien n’y fait : l’incrédulité du monde de la pratique, mais aussi celle de certains décideurs politiques, semble bien irréductible.

Je vous invite d’ailleurs à lire l’article de Crahay dans son ensemble (moi, je ne peux pas aborder tout ce qu’il dit. Je vais déjà faire un pavé…). Il explique en détail la méthodologie et l’étude des biais possible dans les études antérieures. Il reprend les résultats d’études sur la fiabilité des études cherchant à savoir l’intérêt du redoublement. (Ça devient compliqué là. Mais rassurez vous, il explique beaucoup mieux que moi. XD)

La conclusion des deux articles est sans appel :
Crahay :

Sauf à nier l’étendue des preuves et l’opiniâtreté des chercheurs à trouver la façon la plus valide d’appréhender les effets du redoublement, l’homme de raison doit admettre que les données de recherche ne plaident pas pour le maintien de cette pratique. […] Reste à savoir si, en matière d’éducation, les gens de terrain et les décideurs politiques sont prêts à se laisser convaincre par un faisceau de recherches qui, tout en améliorant significativement leur contrôle des biais de mesure, débouchent sur des résultats convergents.

Meuret :

les élèves faibles sont ceux qui ont besoin de plus de temps pour apprendre. Leur donner, en permanence, plus de temps pour apprendre, en les gardant davantage engagés dans la tâche pendant le cours, en leur proposant des activités de soutien, est donc plus efficace que leur permettre de redoubler. Le redoublement est justifié dans le cas d’élèves momentanément perturbés et auquel le redoublement permet de «repartir d’un bon pied». Mais ce cas est visiblement beaucoup moins fréquent que celui d’un élève «lent ».
Par ailleurs, avec le redoublement, on nie les acquis que même les élèves faibles ont réalisé pendant leur année, et on ne tient pas compte des difficultés spécifiques à chacun.
Enfin, il est probable que, lorsqu’à la fois l’élève et le professeur savent que le redoublement du premier est quasi certain, tous deux, ou au moins l’un des deux, font moins d’efforts, tandis qu’on peut penser que, lorsque le redoublement n’existe pas, l’enseignant au moins fait des efforts particuliers pour amener ses élèves les plus faibles à un niveau minimum avant de les «transmettre» à son collègue d’aval.

J’avoue qu’avant de me pencher sur la question à ce point, j’imaginais bénéfique de faire redoubler un élève qui n’a pas acquis toutes les bases nécessaires à l’année suivante. En tout cas, je pensais ça moins pire que le faire passer et l’envoyer au casse-pipe.
Et toi, tu en penses quoi?

Et on n’oublie pas d’aller voir le programme des rencontres des VI. Et je rappelle l’existence du forum des VI aussi, au passage. ;)

La Farfa